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Une rhétorique de l’histoire de l’art ? Pratiques et dispositifs de l’écriture

Une rhétorique de l’histoire de l’art ? Pratiques et dispositifs de l’écriture

Publié le par Matthieu Vernet (Source : Myriam Metayer)

Comme toute discipline, l’histoire de l’art communique au travers de formes discursives normalisées. La littérature grise dont les articles et les thèses, les catalogues d’exposition, les essais ou bien encore les ouvrages de vulgarisation scientifique sont censés répondre à des critères de narration implicites (énonciation impersonnelle, emploi du conditionnel, vocabulaire spécialisé…) qui légitiment d’autant mieux l’argumentation de leurs auteurs. Dans sa pratique dite académique, l’écriture apparaît à bien des égards comme le point nodal entre la synthèse des recherches et la diffusion des connaissances. Ainsi, en organisant cette journée d’étude, nous invitons les historiens de l'art à s'interroger sur la nature et la qualité des principes langagiers de leurs propres discours, héritiers d’une discipline qui, en Europe, s’est imposée au cours du XIXe siècle en tant que champ de savoir autonome avant d’être institutionnalisée, notamment en France en 1899 lorsque la Sorbonne créa, pour Henry Lemonnier, sa première chaire d’histoire de l’art. Depuis cette période comment et en quoi l’histoire de l’art s’est-elle constituée en tant que communauté disciplinaire jusque dans l’essence de son écriture ?

Désigner ici l’existence possible d’une rhétorique de l’histoire de l’art renvoie moins aux techniques de l’argumentation qu’à tenter de définir les contours du langage de l’historien de l’art en tant qu’extension et extériorisation de sa pensée. Expression d’un moment historique, l’écriture répond en effet à des conventions narratives et idéologiques auxquels n’échappent pas les spécialistes quelle que soit leur position ou leur fonction. En France, malgré le souhait de Roland Recht[1], le langage et l’écriture des historiens de l’art – que ces derniers aient revendiqué ou non cette dénomination et qu’ils aient fait ou non carrière à l’université – n’ont pas bénéficié d’études approfondies. Certes, tant dans le champ de l’histoire de l’art que dans celui des études littéraires, les rapports entre écriture et arts visuels ont largement été abordés. L’analyse des figures du discours, telles que la description, a aussi donné lieu à de nombreuses études mettant l’accent sur les rapports entre écriture et pratique artistique, qu’il s’agisse notamment de la peinture ou de la sculpture. Néanmoins, ces études ont souvent privilégié la catégorie des écrits sur l’art en laissant de côté des récits jugés trop académiques. Pourtant, de la subtilité des effets de style dans l’héritage de l’ut pictura poesis à la prétendue neutralité des normes de rédaction scientifique, la forme de l’écriture est porteuse des valeurs de celui qui écrit. Depuis la fin du XIXe siècle, dans un contexte intellectuel positiviste, l’histoire de l’art, à l’égal et en autonomie de l’histoire, veut satisfaire aux exigences de la science tout en affirmant ses fondements humanistes. « Laisser l’initiative aux mots, comme le voulait Mallarmé », pour citer Pierre Vaisse, a pu parfois paraître salutaire, « mais ne faut-il pas rappeler à trop d’historiens de l’art que ce conseil ne s’adressait pas à eux ? »[2]. Ainsi, dans quelle mesure le vocabulaire et la structure du langage de l’historien de l’art ont-ils été au service de la pensée disciplinaire? Jusqu’à quel point sont-ils aujourd’hui révélateurs des mécanismes d’une discipline dont la pratique a d’abord reposé sur les qualités spécifiques de l’œuvre, son objet d’étude ?

 

Plusieurs pistes de recherche seront ainsi envisagées :

 

Enjeux méthodologiques et interdisciplinarité

  • L’étude du langage de l’histoire de l’art et l’analyse de son récit – c’est-à-dire son développement et sa structure narrative – constituent un axe de recherche qui reste encore peu exploré dans le champ même de la discipline. Comment l’historien de l’art peut-il alors emprunter aux théories et méthodes d’analyse littéraire (narratologie, linguistic studies …) ?

 

 

Genre et corpus

  • Texte de vulgarisation, ouvrage didactique, article de recherche, thèse, monographie, catalogue d’exposition, essai …. : quel genre narratif pour quel genre éditorial ?
  • Quel rapport au langage en fonction du lectorat ?

 

Lieux communs

  • Les procédés d’écriture stéréotypés et les lieux communs dans la dynamique du discours et l’opération énonciatrice ;
  • Argumentation, consensus et idéologie : dans quelle mesure les prises de positions idéologiques influencent-elles la forme des récits ?
  • Les présupposés relatifs à une écriture jugée « datée ».

 

Style et vocabulaire

  • L’usage que l’historien de l’art fait de la langue en fonction de son parcours personnel et de la pluralité de ses activités (universitaire, conservateur, critique d’art …) ;
  • Quel ton (polémique, ironique, humoristique, emphatique …) l’historien de l’art s’autorise-t-il dans ses écrits ?
  • Les formes de l’énoncé qui donnent son armature au récit.

 

Cette liste n’est pas exhaustive. Les historiens de l’art antique, médiéval, moderne et contemporain seront tous conviés à échanger sur les modalités narratives des pratiques d’écriture de leurs pairs afin de mieux réfléchir leur propre pratique, telle qu’envisagée aujourd’hui.

 

Les propositions des communications, de 300 mots environ, accompagnées d’un titre et indiquant les principales sources utilisées, de même qu’une brève notice biographique, sont à adresser avant le 15 mars 2015 à :

 

-Myriam Metayer (Maître de conférences en histoire de l’art Université Bordeaux Montaigne) : myriam.metayer@u-bordeaux-montaigne.fr

-Adriana Sotropa (Maître de conférences en histoire de l’art Université Bordeaux Montaigne) : adriana.sotropa@u-bordeaux-montaigne.fr.

 

Les réponses seront communiquées au plus tard à la fin du mois de mai 2015.

 

Les communications ne devront pas excéder 25 minutes ; après soumission à un comité de lecture, elles pourront être intégrées aux actes de la journée d’étude.

 

[1] R. Recht, « L’Écriture de l’histoire de l’art devant les modernes - remarques à partir de Riegl, Wölfflin, Warburg et Panofsky », Les Cahiers du Musée national d’art moderne, Paris, Centre Pompidou, 1994.

[2] P. Vaisse, « Considérations intempestives sur le vocabulaire de l’histoire de l’art » in D. Chaperon, P. Kaenel, Points de vue : pour Philippe Junod Paris, L'Harmattan, 2003.