Vient de paraître :
Antoine Prévost dExiles : Cleveland, Desjonquères, 2003, éd. J. Sgard et P. Stewart, 1140 p., 24 euros.
Les éditions Desjonquères viennent de rééditer lun des grands chefs duvres romanesques du dix-huitième siècle : Le Philosophe anglais ou Histoire de M. Cleveland, fils naturel de Cromwell (1731-39). Cest le plus ample des romans-mémoires de labbé Prévost (plus de mille pages), et certainement le plus ambitieux. Véritable somme romanesque et intellectuelle, le Cleveland contient à la fois un récit de formation (pour échapper à son père, Cleveland est élevé par une mère philosophe dans une caverne), un roman daventures (le héros traverse lAmérique et devient un moment chef dune tribu dindiens), un roman libertin (où lon voit Cleveland tenté par le libertinage de murs et par la libre-pensée), un roman noir (avec dans le rôle du méchant le Français Gelin, séducteur de Fanny, lépouse de Cleveland), un roman utopique (en particulier lépisode de la colonie de Protestants rochellois établie près de lîle de Ste-Hélène), et un roman philosophique sur les passions, sur le désespoir, et sur le caractère irrationnel des conduites. Lauteur y déploie une poésie du malheur et un lyrisme qui impressionneront les lecteurs (Jean-Jacques Rousseau se souviendra dans ses Confessions de lincipit du Livre III : « jentre dans la mer immense de mes infortunes », p.155). Prévost, qui se voulait aussi historien, brosse un tableau sans concession des années sombres du règne de Louis XIV et de lAngleterre sous Cromwell (tyrannie, persécution des Protestants, assassinat des opposants politiques, empoisonnement dHenriette dAngleterre).
Le texte est soigneusement annoté et élégamment présenté. Les éditeurs ont eu lheureuse idée de proposer un résumé des quinze livres en fin de volume (p.1127-31), et de faire suivre leur présentation du Cleveland dune bibliographie commentée ainsi que de lhistorique de la publication (p.19-34). Le prix modique de lensemble rend enfin accessible à un plus large public un roman aussi profond et complexe que La Nouvelle Héloïse ou Clarissa Harlowe.
Erik Leborgne