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Une méthode Illich ? (Paris Sorbonne)

Une méthode Illich ? (Paris Sorbonne)

Publié le par Marc Douguet

Journée organisée par Milad Doueihi et la chaire Humanum (Université Paris-Sorbonne, labex OBVIL)

#Illich

L’oeuvre d’Ivan Illich (1926-2002) frappe par sa diversité et par sa cohérence. S’il aborde des questions relatives à l’apprentissage, à la santé ou à la mobilité, c’est pour critiquer les institutions (l’école, l’hôpital, les transports) qui en assurent le fonctionnement ; s’il analyse la lecture au XIIe c’est pour situer la naissance d’outils qui se sont développés en système technique jusqu’à défaire l’usager de son autonomie.
 
Mais Ivan Illich ne s’est pas contenté de pourfendre nos institutions en montrant comment elles pouvaient devenir contre-productives et abêtir, rendre malade, ralentir ; il nous a légué une méthode dont nous souhaitons évaluer la pertinence, alors que la recherche semble parfois osciller entre une dénonciation radicale de la culture numérique et une ambition politique atone, sous couvert de « neutralité » scientifique.
 
Dans son étude historique des besoins publiée en 1988, Illich propose ce qui pourrait être un programme de recherche sur les discours sur les besoins et leur agencement au sein du capitalisme industriel et des théories économiques du développement :

Une étude historique des besoins présuppose une périodisation. Je propose la suivante : (1) La sociogenèse du discours centré sur les besoins peut être établie pour le milieu du XXème siècle. (2) Une histoire des besoins tournés vers la marchandise peut être construite pour la période que, dans Le Genre vernaculaire, j’identifie comme celle du « genre brisé ». (3) La période qui va de la fin du XIIème siècle au début (différent selon les régions) de la production proto-industrielle devrait être vue comme la préhistoire des besoins modernes. (4) Ce que fait Karl Polanyi dans son étude du marché chez Aristote, je le ferais volontiers mien au titre de l’histoire des origines de la rareté, mais uniquement en tant que recherche sur l’archéologie des besoins ». in La perte des sens, trad. par Pierre-Emmanuel Dauzat, Fayard, 2004, p. 78.
 
La « méthode Illich » articule ainsi l’analyse diachronique des représentations et l’observation synchronique des pratiques pour dégager des généalogies et des lignes de fractures des objets choisis. Au moins deux aspects de cette approche critique attirent l’attention dans le cadre d’une réflexion sur les objets et systèmes numériques. D’une part, la diachronicité de son analyse repose de façon quasi systématique sur un détour archéologique par l’évolution des institutions et discours épiscopaux au cours du 12ème siècle. D’autre part, une anthropologie du corps sentant et percevant ancre l’approche des objets et des institutions occidentales. À la diversité des objets choisis s’oppose donc une régularité méthodologique et dialectique, qui a fini par nourrir l’étude des effets symboliques de “l’âge des systèmes”.

“L’âge des systèmes”, dont l’écriture informatique serait le point d’aboutissement, désigne le processus qui confirme et ratifie définitivement notre dépendance aux prothèses techniques. En réduisant toujours plus l’autonomie des individus, cet âge a fait des individus des usagers, c’est-à-dire des éléments constitutifs du système censé les servir. Or, “l’homme a besoin d’un outil avec lequel travailler, non d’un outillage qui travaille à sa place”. Son plaidoyer pour un “techno-jeûne” censé raviver des “sens vivants”, “dans les terres dévastées par le “show”, au milieu des informations écrasantes(...)” invite ainsi à poser la question d’un rapport à la technique dans le cadre d’une analyse des pratiques numériques contemporaines.