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Traduire sans papiers

Traduire sans papiers

Publié le par Alexandre Gefen (Source : Eric Dayre)

« Traduire sans papiers » : Poétiques de la traduction/politiques de la traductologie

Illegal Translation : Poetics/Politics of Translation (English follows)

Proposition d'appel à communications

ENS Lyon - CERCC (Centre d'Etudes et de recherches Comparées sur la création, EA 1633)

Dates prévues du colloque : 10, 11, 12 octobre 2012

« La traduction favorise la compréhension entre les peuples et la coopération entre les nations », lit-on dans les actes de la conférence de Nairobi organisée par l'Unesco en 1976. On se figure volontiers la traduction comme un pont permettant de passer d'une « langue source » à une « langue cible » comme on se rend d'une rive « de départ » à la rive « d'arrivée ». Conciliatrice en apparence, cette représentation ne risque t-elle pas de favoriser l'instrumentalisation identitaire des langues ? La traduction est-elle un moyen de bâtir des arches de concorde ou bien de sécuriser des tracés de frontières ?

Les langues semblent, en effet, sommées d'assurer une ligne de partage entre « soi » et « l'étranger », de préférence en épousant les frontières des états nations. La métaphore du pont préserve de rassurantes oppositions et garantit des dualités pratiques, mais elle tend à escamoter les ruptures langagières ou, pire encore, à les consolider en objets théoriques.

Dans un contexte de « débat » sur « l'identité nationale » et de rétablissement des frontières européennes, il y a peut-être une forme d'urgence à modifier cette représentation de l'acte de traduire. Sitôt dissipée l'illusion du pont, on s'aperçoit que la traduction ne se réduit pas à un passage ni à un transfert d'une langue source vers une langue cible. Elle semble plutôt réactualiser, à un autre point du temps, le battement d'une énonciation dont l'origine étrangère est la marque d'une désassurance, d'une incertitude, car ce battement ouvre une brèche dans les langues, dévoile leurs stratifications et leurs lignes de faille. Il est impossible, dès lors, de concevoir « la langue » comme une entité stable et indivisible.

« Traduire sans papiers », ce n'est pas chercher l'équivalent linguistique de cette expression en anglais ou en inuqtikut : c'est se donner pour tâche de penser la traduction dans sa dimension la plus subversive de mise en crise des identités. Résolument international et transdisciplinaire, ce colloque est ouvert à de multiples propositions. Parmi les pistes possibles, on peut mentionner de manière non exhaustive :

- L'analyse des marques spécifiques du texte traduit. Qu'est-ce qu'une énonciation traduisante ? L'examen concret des textes est nécessaire pour ramener la théorie de la traduction à sa nature d'expérience : il s'agit d'élaborer une véritable pensée-pratique, seule à même de rendre compte de l'évènement qu'est la traduction. Ramenée à l'échelle microscopique des indices de l'énonciation, la distinction entre texte « original » et texte traduit s'avère épineuse. Qu'en est-il des cas limites qui semblent relever d'une tératologie de la traduction: pseudo-traductions, textes faussement bilingues, traductions sans originaux ou encore textes simultanément sources et cibles ?

- Comment lit-on un texte traduit ? C'est à dire, indissociablement, à qui s'adresse t-il et comment ? Où situer l'instance d'énonciation d'une traduction ? Vient-elle s'ajouter ou bien se substituer à l'énonciateur initial ? La situation du traducteur n'est pas sans évoquer le texte de Gayatri Spivak, Can the Subaltern Speak ? Y a t-il un risque d'usurpation, de parole soufflée en traduction? D'autres approches des textes, comme celle de l'anthropologie esquissée par Karin Barber, nous permettent d'avancer dans cette interrogation.

- L'exploration de l'historicité des traductions. La traduction est fondamentalement intempestive. Elle donne le mouvement des traditions et en accompagne la déhiscence. Il ne s'agit pas de lisser le devenir diachronique de la traduction mais de localiser les télescopages entre les textes et entre les pratiques. Le « contexte » semble rester extérieur au texte comme le ferait un contenant neutre. Dans quels termes saisir les circonstances qui participent de la trame du texte, de son grain et de la manière dont il s'adresse à ses coénonciateurs ? Peut-on montrer que le court-circuit de la traduction rend brusquement lisibles les circonstances particulières du texte de départ ?

- Les politiques linguistiques. Les événements de traductions ne sont pas indépendants de leurs conditions de possibilité - décisions éditoriales, moyens financiers, etc. D'ordinaire, l'importance octroyée à la traduction résulte des politiques linguistiques. Pourrait-on, à l'inverse, imaginer d'autres formes de politiques à partir de la traduction ? Envisagé selon cette perspective, l'intraduisible se déleste de sa dimension métaphysique pour apparaître sous un autre jour : ne donne t-il pas à lire une forme de résistance ?

 

dayre@orange.fr
myriam.suchet@ens-lyon.fr

 

English Version

According to the Unesco, "translation promotes understanding between the people of the world and co-operation among nations." Translation is usually described as a form of bridging that links a "source language" to a "target tongue," as if the issue consisted in passing from one shore to another.

Such an image contributes to reducing languages to mere vectors of identities. Is translation really a way of building lines of agreement, or is it rather a way of establishing and strengthening borders? Languages are required to separate what is "ours" from what is "foreign" and in doing so, they echo and confirm national borders. The bridge metaphor maintains reassuring and practical oppositions, also because it conceals speech acts and discursive gaps, and tends to transform these gaps into established theoretical objects.

Given the contemporary debates over "national identity" and the closing of European borders, it may well be urgent to modify such a representation of the act of translation. Translation should perhaps not be considered as a transfer from a source language to a target language, but rather as a new enactment of a speech act that has previously occurred. The speech act as such makes every single tongue insecure, be it foreign or familiar, in the sense that it opens up a whole range of contexts, strata, faults and gaps, which make it impossible to conceive any "tongue" as a stable and homogeneous entity. The idea of "Illegal Translation," as in the phrase "illegal immigrants," invites us to explore the most subversive aspects of translation as they are linked to the crisis that occurs within every identity, and that displaces the sense of identity itself.

We would like to open this international and interdisciplinary conference to different proposals. Among the many possible perspectives, let us mention but a few - without closing the list:

- Historicity and translation. Translation, as a form of oblique judgement, is in some sense always illegal. Translation is untimely: it opens the way to transmission; it reopens forms that have been traditionally established and therefore accompanies their dehiscence. Translating is always retranslating. Our aim is not to consider a diachronic movement of translation that would result in producing a smooth tradition or history, but rather to localize moments in which established texts and contemporary or re-enacted practices clash with one another. Because it implies a form of interpretive crisis within the act of re-enactment, translation provides a form of critical breach, which may be considered as illegal deformation of the original, or on the contrary as a judgmental re-formation. Both these forms, de-formations or re-formations are likely to reveal the history of the original, and imply a point of view, some form of judgement on the original itself.

- How do we read a translation? What are the specific marks of a translated text? It is only through the detailed enunciation of a given text that we are likely to grasp translation as an event. The close-reading of translations is required to elaborate a theory that will acknowledge the fact that translating is essentially a practical experience, a practical re-enactment of a speech act. Writing a translation is a specific act. To whom is the translation destined? and how is it given as such to the reader ? How is it possible to situate its sender? Does the specific sender-producer of a translation reduplicate the initial speaker/narrator, or does s-he replace him or her ? and how? How does the text reveal or mask the risks of usurpation contained in translation? How is the "difference and repetition" of translation inscribed? The "anthropology of texts" developed by Karin Barber might help to address this issue. Gayatri Spivak's essay, Can the Subaltern Speak? involves the question : "can the subaltern stop translating? And how?".

- Are linguistic policies possible without taking into account the question of the Untranslatable? Events of translation are made possible by certain circumstances - editorial programs, financial subsidies, etc. The importance of translation usually relies on political decisions. It may be interesting to address this issue the other way around, and to imagine linguistic policies from a multilingual and translational perspective? One of the first consequences of such a "translational turn" in the conception of languages would be to abandon the metaphysical notion of the "untranslatable" and to favour a pragmatic approach of idiomatic variations and diversities within any form of language and speech act. "Untranslatability" is perhaps the form of inner resistance that language establishes within its own constitutive movement and poetic variability.

 

dayre@orange.fr
myriam.suchet@ens-lyon.fr

 

 

 

Invités d’honneurs / keynote speakers :

Trois confé­ren­ces plé­niè­res seront don­nées par Emily Apter, Naoki Sakai et Sherry Simon.

Organisation générale :

Outre les com­mu­ni­ca­tions scien­ti­fi­ques indi­vi­duel­les d’un format de 20 minu­tes sui­vies de 10 minu­tes de ques­tions, se tien­dront des ate­liers de tra­vail col­lec­tif autour d’une pro­blé­ma­ti­que spé­ci­fi­que dans une langue au choix des par­ti­ci­pants. Nos réflexions seront accom­pa­gnées de deux moments de par­tage artis­ti­que : une mise en scène de Jean Mouchard à partir d’un scé­na­rio du cinéaste ira­nien Javad Zeiny et une lec­ture croi­sée de textes poé­ti­ques en tra­duc­tion par Pierre Joris et Habib Tengour.

Comité scientifique :

Abecassis Frédéric, Maître de confé­ren­ces en his­toire contem­po­raine à l’ENS, membre du Laboratoire de Recherche Historique Rhône-Alpes (LARHRA) 

Coquio Catherine, Professeure de lit­té­ra­ture com­pa­rée à Paris 8, Présidente de l’Association Internationale de Recherches sur les Crimes contre l’Humanité et les Génocides

Dayre Eric, Professeur en lit­té­ra­ture com­pa­rée à l’ENS-Lyon, direc­teur du Centre d’Etudes et de Recherches Comparées sur la Création (CERCC),

Godeau Florence, Professeure de Littérature géné­rale et com­pa­rée à Lyon 3

Joubert Claire, Professeure de lit­té­ra­tu­res anglai­ses à Paris 8

Matheron Carole, Maître de confé­ren­ces HDR de lit­té­ra­ture com­pa­rée à Paris 3

Pollock Jonathan, Maître de confé­ren­ces à l’Université de Perpignan Via Domitia, Directeur du centre de recher­ches Voyages, Echanges, Confrontations, Transformations,

Poulin Isabelle, Professeure de Littérature com­pa­rée à l’Université Michel de Montaigne de Bordeaux 3

Samoyault Tiphaine, Professeure et res­pon­sa­ble du dépar­te­ment de lit­té­ra­ture com­pa­rée à Paris 8

Suchet Myriam, ATER en lit­té­ra­ture com­pa­rée à l’ENS-Lyon, membre du CERCC