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Tiphaigne de la Roche et les ambivalences du merveilleux moderne

Tiphaigne de la Roche et les ambivalences du merveilleux moderne

Publié le par Bérenger Boulay (Source : M.Dubacq)



Premier Colloque International
Tiphaigne de la Roche et les ambivalences du merveilleux moderne


Université de Grenoble
Jeudi et vendredi 25 et 26 mars 2010


Charles-François Tiphaigne de la Roche (1722-1774), même s'il reste un auteur méconnu, paraît faire l'objet d'un début de reconnaissance critique : même si les travaux exclusivement consacrés à ses oeuvres continuent à être rares, de plus en plus d'études thématiques (sur l'utopie, sur le merveilleux, sur le conte, sur l'imaginaire scientifique) incluent l'un ou l'autre de ses écrits dans leur corpus. La mise à disposition de la quasi-intégralité de ses livres sur Gallica a sans doute contribué significativement à cette re-découverte. Le moment paraît venu de rassembler les chercheurs qui ont travaillé sur lui durant les trente dernières années à l'occasion d'un premier colloque qui lui soit entièrement dédié.


On connaît la variété de genres et de thèmes qui caractérise la demi-douzaine de titres qu'il a publiés entre 1749 et 1765. Ses textes les plus souvent commentés sont à l'évidence la série de récits que l'on hésite à classer dans le registre de la science-fiction ou de l'utopie (Amilec ou la graine d'homme, 1753 ; Giphantie, 1760 ; L'Empire des Zaziris sur les humains, 1761 ; L'Histoire des Galligènes, 1765), et qui ont fait l'objet de ses rares rééditions modernes. Son oeuvre comprend pourtant également un conte moral Sanfrein (aussi intitulé La girouette, histoire dont le héros fut l'inconséquence même, 1765), qui reste pour ainsi dire vierge de toute exploration critique, malgré l'image frappante qu'il propose des errances du désir humain. Quant à ses écrits philosophiques et scientifiques, quiconque les a parcourus n'a pu manquer de sentir à quel point ils étaient nourris du même imaginaire audacieux et inventif que ses romans, depuis L'Amour dévoilé ou le système des sympathistes, 1749, ses Bigarrures philosophiques (1759), ses Questions relatives à l'agriculture et à la nature des plantes (1759, réimprimées sous le titre Observations physiques sur l'agriculture, les plantes, les minéraux et les végétaux en 1765) et jusqu'à son Essai sur l'histoire oeconomique des mers occidentales de France (1760).


Ce colloque sera l'occasion de se donner une vue d'ensemble des différentes facettes de l'oeuvre de Tiphaigne de la Roche – qui semble d'ailleurs s'être plutôt identifié lui-même sous le nom de Charles Tiphaigne. De quels principes unifiants relèvent ses écrits, qui touchent aussi bien à la médecine qu'à la politique, à la botanique qu'à la morale ? Quels liens se tissent entre eux ? Cet imaginaire apparemment éclaté révèle une remarquable consistance sitôt qu'on prend la peine d'en rapprocher les différents aspects. À travers un effort de synthèse et de vue panoramique, ce colloque devrait permettre de faire sentir l'importance de l'oeuvre de Tiphaigne et de lui donner enfin la place éminente qu'elle mérite de recevoir dans la nouvelle image du XVIIIe siècle qui s'est mise en place au cours des dernières années.


L'oeuvre de Tiphaigne se situe en effet à l'intersection de courants de pensée que des préjugés passés considéraient comme incompatibles, mais dont l'unité complexe (quoique problématique) commence à peine à apparaître dans sa richesse. Médecin avide d'expliquer les activités mentales par des processus moléculaires, Tiphaigne avait tout pour attirer les historiens du matérialisme en énonçant des thèses qui recoupent souvent les propositions les plus audacieuses d'un Diderot ; il se prend toutefois souvent à critiquer « la Philosophie » (l'athéisme, le matérialisme) à partir d'un point de vue (apparemment) « réactionnaire » qui lui a aliéné les sympathies de la tradition « progressiste ». Il produit de grands textes utopistes qui déploient une inventivité technologique digne de la meilleure science-fiction, mais il en neutralise la portée « révolutionnaire » en les détournant vers une satire regrettant « le bon vieux temps » de nos ancêtres. Il entre en dialogue avec Lucrèce ou Locke, mais il fait baigner ses fictions dans une soupe magico-mystique d'Esprits élémentaires, de sylphes et de Génies qui relèvent davantage du conte de fée que du traité philosophique. Si l'historiographie dominante a ignoré Tiphaigne, c'est sans doute parce qu'elle ne savait pas quoi en faire ni où le classer : Lumières (radicales) ou Anti-Lumières ? Esprit scientifique ou imaginaire merveilleux ? Histoire du roman ou histoire de la philosophie ?


Au-delà et autour de Tiphaigne lui-même, ce colloque sera aussi l'occasion de revisiter les définitions possibles et les ambivalences constitutives d'un merveilleux moderne : dans la lignée des expérimentations littéraires menées dans les contes qui ont fleuri durant la première moitié du XVIIIe siècle, comment le merveilleux peut-il à la fois prendre les couleurs d'un archaïsme au sein d'une pensée à prétentions « scientifiques » et conserver ses vertus de précieux opérateur d'invention et d'émancipation intellectuelle ? En quoi le « merveilleux moderne » illustré par Tiphaigne relève-t-il à la fois de l'oxymore (dans la mesure où la modernité rationaliste espère dépasser l'émerveillement naïf exploité par la superstition) et d'une dynamique d'auto-dépassement (dans la mesure où la modernité s'est constamment mise au défi de produire une surnature émerveillante grâce à son travail d'imagination et d'inventions technologiques) ? Cette ambivalence envers les merveilles promises par la modernité a déjà été repérée dans les récits utopiques (ou dystopiques) de Tiphaigne, mais on pourra l'observer dans bien d'autres champs de son activité scripturaire, et la faire entrer en résonance avec bien d'autres phénomènes contemporains. Si le colloque se propose d'envisager ces questions à partir de l'oeuvre de Tiphaigne, il pourra également bénéficier de les voir abordées à partir d'autres écrivains, artistes et penseurs de son époque, ainsi qu'à partir de cadrages théoriques plus généraux.

Cette problématique s'inscrit dans le cadre des travaux menés depuis plusieurs années par l'UMR LIRE et la revue Féeries autour du conte merveilleux.


Tous les chercheurs intéressés par l'oeuvre de Tiphaigne de la Roche, ou par les thèmes et les problèmes qu'elle charrie, sont donc invités à envoyer une proposition de contribution à Marianne Dubacq (umrlire@u-grenoble3.fr) avant le 30 avril 2009.

Cette proposition pourra toucher n'importe quel aspect de son oeuvre, mais elle pourra aussi aider à définir le merveilleux moderne à partir d'éclairages venant d'autres auteurs contemporains ou de spéculations d'ordre théoriques. Elle devra comprendre un titre, une brève présentation du propos, ainsi que les coordonnées postales, téléphoniques et de courriel de l'intervenant (de même que son affiliation académique, s'il en a une).

(À défaut de message électronique, les propositions pourront être envoyées par courrier postal à l'adresse : Marianne Dubacq / UMR LIRE / Université de Grenoble / BP 25 / 38040 Grenoble cedex 9 / France.)


Le colloque se tiendra à l'université de Grenoble les jeudi 25 et vendredi 26 mars 2010. Les actes en seront publiés soit sous forme d'ouvrage, soit sur le site Internet dédié aux Études Tiphaignistes.