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Théories et pratiques de la traduction. Une approche contrastive

Théories et pratiques de la traduction. Une approche contrastive

Publié le par Camille Esmein (Source : Tanel Lepsoo)

Dans le passé, la traduction a été souvent conçue comme un transfert normatif d'une langue à l'autre, d'un code à un autre, d'un découpage linguistique à un autre. De ce point de vue, respect' et fidélité' envers l'original ont été les paradigmes conceptuels de référence du traducteur.

Toutefois, un univers de significations possibles s'ouvre au traducteur et au théoricien si le grave devoir de transporter' se transforme en réflexion' sur les processus dynamiques de la traduction et sur les pratiques différentes des divers traducteurs : dans cette perspective, la traduction se dessine comme un dépôt textuel de connaissance esthétique et culturelle à révéler.

« Chaque langue ayant son atmosphère et son attraction propres, le préalable à la bonne traduction est d'échapper à cette atmosphère, de se libérer de cette attraction afin d'évoluer en toute liberté dans la langue adoptée » (Michel Tournier).

Est-il possible de saisir cette liberté' dont parle Tournier à travers un regard théorique ? La liberté est-elle le pendant symétrique d'un système de règles auquel il faut inévitablement se soumettre ou au contraire échapper ? La liberté du traducteur est-elle concevable comme l'espace découpé, par un acte de parole, dans les interstices non intégrés du système de la langue d'accueil (Saussure) ?

De notre point de vue, il ne s'agit peut-être pas de justifier cette attraction de la langue adoptée, mais de s'en servir pour mettre en relief les processus dynamiques impliqués dans toute traduction (Paul Valéry). Si l'on considère communément une traduction' comme le résultat figé du passage d'une langue à l'autre, on voudrait au contraire dans ce colloque mettre l'accent sur le parcours des choix possibles', sur les avant-textes qui précèdent' le texte d'arrivée, sur la traduction entendue en tant que pratique et procès de construction' plutôt que produit final.

Si, par conséquent, les théories restent un point de référence inéluctable dans le travail du traducteur, la question à se poser est comment se produit ce passage à l'acte (Émile Benveniste) et comment se dessine la multiplicité des pratiques traductives. Dans ce but, et afin d'éclairer les rapports entre théories et pratiques (Pierre Bourdieu), on peut donc faire appel à son propre travail spécifique (presque génétique) de traducteur et à l'éclairage pourvu par ses propres références théoriques ; mais on peut aussi comparer, de l'extérieur, des théories et/ou pratiques différentes afin de révéler leur caractère différentiel ou similaire, leur nature paradigmatique et leur déploiement syntagmatique ; on peut se poser la question du rapport entre la théorie et la pratique (ou une pratique), mais aussi réfléchir comparativement sur le métalangage utilisé dans la construction d'une théorie explicite et son application concrète, ou sur les théories implicites contenues dans les différentes traductions d'un même texte de départ.

Au-delà de la démarche spécifique empruntée par les intervenants au colloque, le présupposé de fond est constitué par le privilège accordé au contraste et à la comparaison, au processus et à l'enchaînement : on ne traduit jamais des langues mais des textes singuliers (à partir des langues dans lesquelles ils sont écrits) et les textes eux-mêmes sont traduits par des sujets qui réfléchissent et s'interrogent sur les fondements de leur pratique et sur leurs références théoriques. Par conséquent, une question possible à se poser concerne la manière dont certaines théories sur la traduction deviennent des textes' (syntagmes linéarisés de catégories sémantiques sélectionnées) et comment certaines pratiques se figent et deviennent (ou pourraient devenir) un parcours exemplaire, un prototype de la traduction. On pense ici à des poètes et traducteurs tels que Yves Bonnefoy ou Philippe Jaccottet, mais aussi à des philosophes tels que Paul Ricoeur ou Jacques Derrida ou à des sémiologues tels que Algirdas Julien Greimas ou Youri Lotman.

Il faut préciser que, dans nos intentions, l'approche contrastive n'est pas à entendre comme un simple parallèle émanant d'une seule linguistique contrastive', mais comme une véritable comparaison et mise en relief de théories entre elles, de théories et de pratiques, ou encore de pratiques différentes. À partir de cette problématique sémiotique où théorie(s) et pratique(s) s'éclairent réciproquement, des écrivains et des traducteurs interviendront dans ce colloque, dans le but d'enrichir le rapport fascinant qui se crée non seulement entre le résultat final (une traduction) et le processus qui le procède, mais aussi entre traduction et création, langage et pensée. Suivant l'exemple d'Antoine Berman, il s'agira de découvrir si, parallèlement à une « pensée philosophique », une « pensée traductive » se met en forme et en pratique, sans oublier que dans la dialectique processus/résultat (et théorie/pratique) s'insère un implicite à mettre à nu : le traduire contient une mise en regard de langues différentes, mais aussi de textes singuliers et de cultures hétérogènes. Si par conséquent, la discussion sur la priorité du linguistique' (Roman Jakobson) ou du poétique' (Henri Meschonnic) est toujours ouverte et débattue, il faut alors aussi y ajouter la réflexion sur la traduction des cultures et la manière de les lire (James Clifford, Clifford Geertz).

Organisation : Section d'études françaises du département de philologie germanique et romane de l'université de Tartu, en collaboration avec le département de sémiotique de l'université de Tartu et l'Institut estonien de sciences humaines de l'université de Tallinn.

Avec le soutien de la Fondation scientifique de l'Estonie (Grant 6466 et 5717) et du Centre culturel français de Tallinn

Comité scientifique : Francis Claudon, Jaan Kaplinski, Jean-René Ladmiral, Eric Landowski, Stefano Montes, Ülar Ploom, Jüri Talvet, Peeter Torop, Jaan Undusk, Françoise Wuilmart.

Pour de plus amples renseignements, contacter : Stefano Montes (montes.stefano@tiscalinet.it) ou Tanel Lepsoo (tanel@tdl.ee).