Édition
Nouvelle parution
Thackeray, Le Veuf et l'Ingénue

Thackeray, Le Veuf et l'Ingénue

Publié le par Bérenger Boulay (Source : Editions du Revif)

William Makepeace Thackeray, Le Veuf et l'Ingénue

Traduction de Karine Lemoine 

Editions du Revif, "Collection mauve", 2011.

EAN13 : 9782357000056


Présentation de l'éditeur:

«Qui sera le héros de cette histoire ? Pas moi, je l'écris. Je ne suis que le fil conducteur de la pièce. Je fais des remarques sur la conduite des personnages, je raconte leur histoire, simple, faite d'amours et de mariages, de chagrins et de déceptions.» Ainsi se présente le narrateur avant de faire entrer en scène le protagoniste, son vieil ami Lamoureux, un homme d'affaires prospère mais malheureux.
Affublé de parents croquignolets, d'une belle-mère acariâtre, de deux enfants insupportables et d'une gouvernante au passé louche, Lamoureux peut se féliciter d'avoir perdu son épouse autoritaire, cependant il n'a guère le loisir de jouer les veufs joyeux. Le ballet des parasites, attirés tels des insectes par sa fortune, les secrets d'alcôves, les rivalités des uns et des autres se resserrent autour de lui...
D'une construction étonnamment moderne, ce roman de Thackeray, écrit dans un style mordant et hilarant, fait partie de ses chefs-d'oeuvre à redécouvrir.

William Makepeace Thackeray (1811 - 1863) est, avec son ami Anthony Trollope, l'un des auteurs majeurs du XIXe siècle anglais. Il excelle dans la satire de la société victorienne qu'il dépeint de façon magistrale dans La Foire aux vanités, L'Histoire de Pendennis ou Le Veuf et l'ingénue. L'un de ses romans les plus célèbres, Les Mémoires de Barry Lyndon, a été adapté au cinéma Stanley Kubrick en 1975.


Extrait:


Qui sera le héros de cette histoire ? Pas moi, je l'écris. Je ne suis que le fil conducteur de la pièce. Je fais des remarques sur la conduite des personnages, je raconte leur histoire, simple, faite d'amours et de mariages, de chagrins et de déceptions. La scène : un petit salon et la zone située au-dessous de ce petit salon. Ou plutôt non (car il se peut, dans ce cas, que le petit salon se trouvât au même niveau que la cuisine). Il n'y est point question de gens qui mènent la grande vie - sauf, bien sûr, à considérer que la veuve d'un baronnet ne menât grande vie. Ce peut être le cas de quelques-unes de ces dames, mais certainement pas de toutes. Je ne pense pas qu'il y ait de méchants dans cette histoire. Il y a bien une odieuse égoïste, un bandit de grands chemins, un parasite, profitant de la bonté d'autrui, un vieil habitué des pensions de famille de Bath et Cheltenham (mais que pourrais-je bien connaître des pensions de famille de Bath ou Cheltenham, n'y ayant moi-même jamais mis les pieds ?), une vieille qui escroque les commerçants, tyrannise le petit personnel et brime les pauvres gens - celle-ci pourrait certainement faire office de méchante, bien qu'elle se considérât comme la femme la plus vertueuse au monde. L'héroïne n'est pas sans défauts (ah ! voilà qui en soulagera certains, puisque nombre de braves femmes nées de la plume des écrivains sont... comment dire ?... totalement insipides). Peut-être trouverez-vous que le personnage principal n'est guère qu'un raté. Mais est-il beaucoup d'hommes respectables, parmi nos relations, qui vaillent mieux que lui ? Et les ratés ont-ils conscience de l'être, ou en souffrent-ils, le cas échéant ? Les filles refusent-elles d'en épouser un s'il est riche ? Refuse-t-on de dîner avec l'un d'eux ? J'en ai écouté un à l'église dimanche dernier ; toutes les femmes pleuraient et sanglotaient. Oh ! quel beau sermon ce fut là ! Ne leur reconnaît-on pas une grande sagesse, une grande éloquence à la Chambre des Communes ? Ne leur donne-t-on pas de hautes responsabilités dans l'armée ? Pouvez-vous, oui ou non, en citer un que l'on a élevé au rang de pair ? Votre femme n'en appelle-t-elle pas un dès que l'un de vos enfants est malade ? Ne sommes-nous pas les lecteurs de leurs jolis poèmes, voire de leurs romans ? Si, et comment ! Et peut-être que celui-là même qui écrivit ces mots, ou celui qui les lit... Eh, quoi ? Quid rides ? Insinuez-vous que je suis en train de peindre le portrait de celui que je vois chaque matin dans ma glace en me rasant ? Et après ? Croyez-vous que je me croie exempt des infirmités de mes voisins ? Suis-je faible ? Aucun de mes amis n'ignore l'existence d'un certain mets auquel je ne puis résister - jamais, pour sûr, même si j'ai déjà mangé deux fois trop au dîner. Et vous, cher Monsieur ou chère Madame, n'avez-vous pas votre petite faiblesse ? Votre mets irrésistible à vous ? (si vous ne savez me répondre, vos anus, eux, le peuvent sûrement). Non, cher ami, il y a toutes les chances que vous et moi ne soyons dotés ni d'un intellect hors du commun, ni d'une fortune immense, d'une famille des plus anciennes, d'une vertu des plus achevées, du visage et de la silhouette correspondant parfaitement aux canons de la beauté. Nous ne sommes ni des héros, ni des anges ; ni des monstres issus de lieux indicibles ; ni de noirs assassins, des Iago, des traîtres usant du poignard et du poison, de ceux pour qui le crime est un passe-temps, la dague un jouet et l'arsenic le pain quotidien, ceux dont chaque parole est mensonge et tout écrit contrefaçon. Non, nous ne sommes pas de monstrueux criminels, ni des anges du ciel descendus sur terre - en tout cas, j'en connais au moins un qui n'est pas de cette espèce-là, comme on peut s'en rendre compte à chaque fois qu'à la maison le couteau est émoussé ou le mouton mal cuit.