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Temps, rythme et histoire

Temps, rythme et histoire

Publié le par Camille Esmein (Source : Gisèle Séginger)

Temps, rythme et histoire

Colloque organisé en collaboration par les universités Paris VII et Marne-la-Vallée

3 au 5 novembre 2005

 Penser l'histoire, n'est-ce pas forcément réfléchir à des questions de rythme ? Depuis les temps les plus anciens, la représentation de l'histoire s'est construite à partir de l'idée de périodes, d'époques, de cycles. Que l'on songe par exemple au mythe de la "grande année" qui, pour certains peuples de l'Antiquité – les Étrusques dit-on – aurait donné la mesure pluriséculaire des règnes et des empires. Joachim de Flore et sa théorie des trois âges, Vico et ses corsi et ricorsi illustrent cette quasi-nécessité pour la vision historique de donner au temps une forme spécifique, qui permette de penser le jeu de la différence et de la répétition.

Trouvant peut-être son origine dans les conceptions religieuses, l'interrogation sur les scansions de l'histoire survit à la laïcisation de cette dernière et trouve même une nouvelle dynamique à la charnière des XVIIIe et XIXe siècles. Dans ce moment de rénovation épistémologique, la pensée historiciste élabore des représentations et réfléchit intensément à ce qui fait rupture, à la lumière de la chronologie problématique de la Révolution. Alors que l'histoire au XIXe siècle continue de s'écrire littérairement, tant dans les ouvrages savants que dans les oeuvres littéraires, le rythme constitue une articulation entre le récit et la conceptualisation. Au cours de la période contemporaine, l'apport des différentes sciences humaines à la théorie de l'histoire ainsi que les changements dans la façon de concevoir la recherche et d'en exposer les résultats n'ont pas rendu caduc ce type de questions. Les économistes du XXe siècle ont mis en évidence des cycles de croissance et de récession. Les fondateurs de la "Nouvelle Histoire" ont distingué des rythmes d'évolution différents en fonction des domaines considérés : mentalités, économie, politique, techniques… Le mouvement du devenir est maintenant perçu comme la superposition de ces différents rythmes.

À travers ces diverses façons d'aborder les scansions de l'histoire, celle-ci peut apparaître tantôt comme ce qui construit un rythme dans le flux arythmique du devenir, tantôt comme ce qui déconstruit la régularité des rythmes naturels, comme le temps de l'accident, de l'événement, de la rupture imprévisible et déconcertante. Cependant, même dans cette dernière perspective, il est bien rare que l'historien ne mette pas en route, pour comprendre l'événement singulier, un système de comparaisons qui fait apparaître des ressemblances, de la répétition au niveau même des ruptures. La perception d'un rythme a partie liée avec la scientificité de l'histoire c'est-à-dire sa capacité de dégager des lois générales.

Si la pensée de l'histoire a besoin de schèmes rythmiques, on pourrait en revanche se dire que l'expérience de l'événement, l'histoire vécue, échappe à ce qui apparaît comme un travail d'élaboration, de rationalisation rétrospectives. La restriction de champ au contemporain, le refus des larges perspectives artificiellement construites, s'exprimeraient dans une arythmie subie ou travaillée. Pourtant, l'histoire au présent ne se donne-t-elle pas à ressentir fréquemment comme un changement de rythme ? Le cas du renouveau de la discipline historique au début du XIXe siècle, montre combien la conscience de vivre selon un nouveau rythme a de l'importance pour relancer l'analyse des scansions du passé. Les contemporains de la Révolution ont insisté sur l'accélération de l'histoire, sur la succession de "révolutions" qu'ils ont connue en quelques décennies. Elle leur a donné, disent-ils, des instruments nouveaux pour comprendre évolutions et bouleversements du passé. Éprouver l'histoire pourrait donc aussi se rattacher à l'expérience du rythme. L'événement bouscule les rythmes habituels. Suspens – plage blanche où cessent de s'écrire les reprises – ou nouveau tempo – battement fiévreux des journées insurrectionnelles. Parfois même les artisans du changement historique affichent clairement leur volonté d'ancrer celui-ci dans de nouveaux rythmes, comme la Convention lorsqu'elle décide de changer l'organisation du calendrier et de la semaine selon un système décimal.

Écrire l'expérience contemporaine et quotidienne de l'histoire, enregistrer la répercussion de l'événement sur les rythmes individuels (biologique, affectif, relationnel…) et sur le rythme de l'écriture, ce serait peut-être devenir le sismographe du bouleversement.

Aux antipodes d'une construction intellectuelle de l'histoire, mais sans être incompatible avec elle, le rythme nous apparaîtrait comme l'expression la plus spontanée, la plus "vitale" par laquelle se transmet la force de l'événement, la violence de la catastrophe, ou au contraire l'étouffement de l'absence d'histoire.

Le colloque que nous proposons voudrait amorcer une réflexion sur les différentes façons dont le rythme fait sens en histoire, chez les historiens, chez les écrivains et les témoins de l'histoire (journaux intimes, lettres, chroniques…)

Propositions à envoyer avant le 30 mai