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Tangence, no 89 (hiver 2009) - L'invention de la normalité au siècle des Lumières

Tangence, no 89 (hiver 2009) - L'invention de la normalité au siècle des Lumières

Publié le par Gabriel Marcoux-Chabot (Source : Érudit)

Publiée par le Département de lettres de l'Université du Québec àRimouski (UQAR) et le Département de français de l'Université du Québecà Trois-Rivières (UQTR), la revue Tangence peut se prévaloir d'une riche tradition intellectuelle qui remonte à plus de vingt ans. D'abord connue sous le nom d'Urgencesde 1981 à 1991, puis sous le nom actuel depuis 1992 (n° 35), la revue afait paraître à partir de 1987 plus de quarante dossiers issus detravaux de recherche provenant des horizons les plus divers.

Comme son nom l'indique, Tangenceprend pour objet les relations qu'entretient la littérature avec lesautres arts, la philosophie et les sciences, de manière à fédérer lessavoirs au sein d'une réflexion commune. Libre de toute formed'affiliation à une école, la revue a pour ambition de servir de lieude convergence entre des domaines d'investigation trop souventdissociés en favorisant la polyvalence des thèmes et des problématiquesqu'elle interroge.

No 89 (hiver 2009) - L'invention de la normalité au siècle des Lumières

Sous la direction de Frédéric Charbonneau

Frédéric Charbonneau

Liminaire. L'usage, la norme, la transgression

Hélène Cazes

Alphonse Leroy, Recherches sur les habillemens des femmes et des enfans, 1772 : un discours de la réforme des habitudes ?

La tentative d'Alphonse Leroy dans ses Recherches sur les habillemens des femmes et des enfans,publiées en 1772, tient de l'équilibrisme : pour ce médecin féru delittérature et de philosophie, il s'agit de réconcilier norme etraison. L'entreprise est plus périlleuse encore lorsque cette norme,encore innommée, est en formation, et que le nouveau discours de lasensibilité met à mal l'idée classique de raison. En effet, lecontinuateur et critique de l'Émilea pour ambition de fonder une réforme du vêtement par la critique dupréjugé et par la connaissance de l'anatomie. Philosophiquement,l'habit ne saurait être légitimé par l'état de nature, dont l'idéalenudité illustre l'union de l'homme et de son milieu. Culturellement, ladiversité des usages et leur signification symbolique trahissent leuréloignement de la pureté originelle. Néanmoins, c'est bien la nuditéque Leroy remet en cause : à la différence des philosophes et desromantiques, qui rejettent le vêtement comme une entrave à la communionnaturelle, il recommande un vêtement adapté et « naturel », qu'iloppose aux habitudes et aux modes tout comme à l'intransigeancerousseauiste. L'anatomie, en dernière instance, justifie la réforme duvêtement, à défaut de la fonder en droit. Du coup, c'est bien de normequ'il est question : d'un usage reconnu et répandu, que ni la nature nila raison ne peuvent justifier mais qui reçoit valeur de la pratique.

Bernard Andrès

Les Canadiens et la norme au temps de Lahontan et de Saint-Vallier

Que nous révèlent les écrits du baron de Lahontan et de Mgr de Saint-Vallier sur les Canadiens, au tournant du xviiiesiècle ? En décrivant le comportement et les traits de mentalité des« créoles » de Nouvelle-France, l'aventurier comme le prélat témoignentd'un rapport nouveau à la norme métropolitaine et, parfois, del'élaboration d'une nouvelle norme locale. L'examen des écritscontrastés du militaire et de l'évêque permet de cerner la figure duCanadien sous le régime français, afin de mieux saisir son évolutionjusqu'au régime anglais qui tentera, lui, d'imposer aux conquis denouvelles formes de régularités. Qu'il s'agisse de son rapport à lanorme française (avant 1760) ou, par la suite, à la norme britannique,le Canada se révèle un excellent terrain d'observation dans la mesureoù il se construit dans l'ambivalence, avec une population volontiersréfractaire aux deux normes.

Geneviève Langlois

Athéisme et invention d'une nouvelle norme chez Jean Meslier : pour une définition politique de la superstition

On ne doit pas se souvenir de Jean Meslier (1664-1729) pour sa seulevirulence et ses seules idées matérialistes. Certes, il fut le premierprêtre athée français à transmettre à la postérité une oeuvre toutentière consacrée à la nécessité de promouvoir l'incroyance, mais ilest impératif que lui soit maintenant restituée cette volonté qui futla sienne d'instaurer pour les générations à venir une norme en matièred'athéisme. Or, cette norme est fondée, chez Meslier, sur uneréorganisation préalable de l'État, laquelle a pu être envisagée à lafaveur de tout un travail d'infléchissement sémantique portant sur lemot « superstition ».

Michel Delon

Le visage d'Adonis sur le corps d'Hercule

L'opposition du masculin et du féminin est une des plus fortes de notreimaginaire social. Il est d'autant plus intéressant de suivre une imagequi trouve sa source dans l'emphase épique, mais se répand dans leregistre burlesque de l'âge classique. Un jeune homme aurait « levisage d'Adonis sur le corps d'Hercule ». L'expression revient sous laplume de Voltaire et cristallise les contradictions d'une société quivoudrait faire du corps masculin le sujet et non l'objet du désir,l'incarnation de la force et non de la beauté. La crise de l'AncienRégime est aussi celle d'une forme de libertinage où Faublas, travestien fille, prend la place de Valmont. Le masculin peut aussi être clivéentre des postulations contraires. Les figures de la fiction classiquene sont pas sans expérimenter ce qui s'affiche aujourd'hui comme la« métrosexualité ».