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Spectralités dans le roman contemporain (Italie, Espagne, Portugal) 

Spectralités dans le roman contemporain (Italie, Espagne, Portugal)

Publié le par Marc Escola (Source : Marine Aubry-Morici)

Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3

École doctorale 122 - Europe latine-Amérique latine

 

Spectralités dans le roman contemporain (Italie, Espagne, Portugal)

Journée d’études

24 juin 2016

Responsables: Marine Aubry-Morici et Silvia Cucchi

 

Le concept de spectralité, tel qu’il est forgé par Jacques Derrida dans Spectres de Marx (Paris, Galilée, 1993), nous invite à nous interroger sur le grand retour du refoulé dans nos sociétés contemporaines à travers la figure du spectre. Or, si le spectre, en « revenant » du passé, marque un point irrésolu de l’histoire, il est aussi une projection disjonctive du présent, et, avec ses menaces, aussi de l’avenir.

Le spectre, avec la spectralité derridienne et « l’hantologie », s’est ainsi peu à peu dégagé de sa propre phénoménologie et d’une certaine figure classique (topos du fantôme) pour devenir le signe d’un rapport particulier à l’histoire et à l’image : c’est sur ces deux aspects que cette journée d’études entend travailler, en s’intéressant au roman contemporain de l’Italie, de l’Espagne et du Portugal. En raison de leur histoire récente, marquée par la fin des grandes idéologies et par le développement significatif du pouvoir des médias, ces trois pays et leurs littératures entretiennent des rapports complexes avec l’histoire (désormais présente sous formes de trace) et l’image (horizon autoréférentiel de réalité). 

En écartant la question de la littérature fantastique et en prenant soin d’envisager à la fois les formes médiatiques et les moments historiques les plus marquants du XXe siècle – sans donc se limiter au fascisme et à la Shoah, afin de ne pas oublier les événements les plus récents, voire le « traumatisme provoqué par l’absence de traumatisme » (Giglioli) – nous voudrions comprendre si le concept de spectralité est pertinent pour analyser l’esthétique littéraire de ces trois aires culturelles, de la deuxième moitié du XXe siècle à nos jours. 

La journée d’études s’organisera autour de deux idées principales de la spectralité: 1) l’histoire sous forme de trace 2) l’image reliée à la question de l’(hyper-) réalité contemporaine. Quelle est, dans la littérature italienne, espagnole, portugaise contemporaine, cette forme moderne du spectre, en particulier dans une époque saturée d’images et de mémoire ? Que vient-il nous dire et que vient-il interroger ? Quel sens donner à sa présence au cœur de notre présent ?

 

AXE 1: Revenances de l’histoire

« Ce que le perdu exige, c’est non pas d’être rappelé et commémoré, mais de rester parmi nous en tant qu’oublié, en tant que perdu – et seulement dans cette mesure, en tant qu’inoubliable » précise Giorgio Agamben dans son essai Il tempo che resta. La littérature de l’Espagne, Italie, Portugal, à partir de la seconde moitié du XXe siècle, semble ainsi marquée par la représentation du passé historique sous la forme, amoindrie, d’une trace ou d’un spectre. Alors que le récit historique se fondait autrefois sur la triade de l’exactitude historique, du narrateur-témoin et des archives, à l’époque postmoderne de la « pensée faible » (Vattimo), l’expérience historique est devenue un héritage spectral. La fin des grandes idéologies du passé (fascismes, utopies révolutionnaires) et l’héritage problématique des politiques plus récentes laissent place à une mémoire floue, présente par bribes ou par échos, qui dans la fiction contemporaine exprime à la fois perte de repères et quête de sens. Comment ces différentes formes spectrales viennent-elles hanter, dans un rapport médiatisé à l’histoire, cette littérature ? Absence de mémoire, nostalgie de l’histoire, distanciation et fascination, autofiction historique, déplacement et décalages, sous quelles formes peut-on trouver ces présences fantomatiques ?

Rappelant le mot d’Hamlet (I,5), « The time is out of joint », Derrida précise dans Spectres de Marx que le revenant n’est pas un pont entre le passé et le présent. Il n’est pas mémoire réconciliatrice, mais signe dérangeant d’un anachronisme qui travaille à l’intérieur même du présent. Ainsi le revenant, par son intermittence comme par sa persistance, signe-t-il un présent qui diffère de lui-même mais aussi un temps et une mémoire non linéaires. Comment la littérature élabore-t-elle ce temps historique qui se désarticule ? Peut-on parler d’une crise ou d’un nouveau « régime d’historicité » dans la littérature à partir de la deuxième moitié du XXe siècle ? Que nous apprend ce rapport des écrivains des XXe et XXIe siècles à l’Histoire et surtout pour la construction de sens pour notre présent voire de l’avenir ?

 

AXE 2 : Spectralité et image

Si l’on considère la spectralité en relation à la réalité contingente, quel que ce soit le contenu de la vision, on remarque qu’elle appelle immédiatement à une dimension éphémère, floue et visuelle. L’étymologie même du mot spectre (du latin spectrum = apparition) renvoie au domaine de la vue et de l’image. En considérant l’influence des médias sur la littérature contemporaine italienne, espagnole et portugaise, quelle est la place du concept de spectralité entre les deux pôles réalité-image, notamment l’image médiatique, puissant produit de la consommation ?

À partir des années 2000, nombreux sont les textes littéraires qui ont essayé de représenter la médiatisation de la réalité. Surtout en Italie, mais aussi en Espagne et au Portugal, la télévision s’est imposée dans la société à la fois comme un instrument politique et comme une véritable « usine à simulacres ». « Au lieu d’aller au monde par la médiation de l’image, c’est l’image qui fait retour sur elle-même par le détour du monde » remarquait déjà Baudrillard dans son essai La société de consommation (1970). Aujourd’hui, l’image ne renvoie plus à un référent réel : elle se « spectralise », en devenant elle-même son propre et seul horizon de sens. Cette nouvelle façon de percevoir entraîne une remise en question du concept de vérité et de réalité : pour le spectateur anesthésié par cette hyper-réalité virtuelle, qu’est ce qui est le plus réel, l’image produite par l’écran de la télévision ou de l’ordinateur (fiction ou fait divers) ou sa vie dans le monde réel ? Il est alors intéressant de sonder comment la littérature contemporaine réagit à ce nouveau rapport entre réalité et image : à la fois d’un point de vue formel (en développant de nouveaux genres ou des formes hybrides tels que l’autofiction, la non-fiction) et d’un point de vue thématique (de nombreux ouvrages contemporains ont comme sujet des faits divers ou des événements médiatiques). La littérature est-elle capable de percer l’écran de l’hyper-réalité et de réveiller l’esprit critique du spectateur ? Comment peut-elle briser les simulacres médiatiques tout en utilisant les mêmes techniques représentatives des médias ? Quel sens donner aux simulacres qu’elle-même met en place ? 

 

 

MODALITES DE PARTICIPATION 

Les propositions de contribution de 300 mots maximum, rédigées en français, en italien,  espagnol, portugais, anglais, accompagnées d’une brève biobibliographie sur fichier séparé, le tout en format .pdf ou .doc, sont à envoyer au plus tard le 20 mars à :

Marine Aubry Morici (marine.morici-aubry@univ-paris3.fr et marine.aubry@gmail.com)

Silvia Cucchi (silvia.cucchi@univ-paris3.fr)

La durée prévue des communications sera d’environ 20 minutes. Nous prévoyons également la publication des communications sous forme d’ouvrage collectif.