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Sous le regard du citadin. Études de la citadinité et de l’urbanité : journée jeunes chercheurs (Dunkerque)

Sous le regard du citadin. Études de la citadinité et de l’urbanité : journée jeunes chercheurs (Dunkerque)

Publié le par Romain Bionda (Source : Stéphanie Bulthé)

« Sous le regard du citadin. Études de la citadinité et de l’urbanité »

Journée d’Étude Jeunes Chercheurs
Dunkerque, le mercredi 11 avril 2018
Université Littoral Côte d’Opale
Unité de Recherche sur l’Histoire, les Langues, les Littératures et l’Interculturel

(UR H.L.L.I., E.A. 4030)
Équipe de recherche « Modalités du Fictionnel »

 

« Une ville : de la pierre, du béton, de l’asphalte. Des inconnus, des monuments, des institutions »
Georges Pérec, Espèces d’espace, Galilée, 1974, p. 85

 

Argumentaire
Dans la continuité des travaux présentés lors de la journée d’Étude jeunes chercheurs 2017 consacrée à l’urbanité, nous nous proposons dans ce second volet de prolonger les recherches en approfondissant cette notion. Nous aimerions poursuivre nos investigations autour du champ très riche de l’imaginaire de l’espace urbain en analysant plus spécifiquement la pensée de la citadinité, notion qui se définit en corollaire de celle d’urbanité.

La ville est un vaste territoire qui existe par les échanges commerciaux qui s’y tissent. Elle est un espace en continuelle mutation et métamorphose ; elle conditionne les relations des groupes sociaux, comme le rappellent Pierre Ansay et René Schoonbrodt : « La liberté qu'offre la ville permet en principe à chaque instant de nouer ou de renouer d'autres liens sociaux, d'abandonner des traits culturels anciens et d'adhérer à des contenus culturels neufs[1] ». C’est, à elle seule, un condensé de modernité. Toute évolution moderne correspond à un phénomène urbain parallèle. Vienne à elle seule se trouve le siège de nombreuses innovations culturelles : Freud y crée la psychanalyse, Schönberg la musique dodécaphonique, Robert Musil y écrit L'Homme sans qualité et les peintures de Schiele et Kokoschka symbolisent l'effroi devant les révélations de la sexualité.

Dans l’histoire de l’humanité, l’individualisation du discours sur la ville est un lent processus. La ville est perçue négativement par les textes fondateurs de la civilisation judéo-chrétienne et ce, de manière globale, sans distinction entre les villes. La Bible rappelle que le premier criminel de l’humanité, Caïn, est aussi le fondateur de la première ville, Hénoch. Toutes les villes bibliques, hormis la Jérusalem céleste, connaissent des destinées tragiques : la Babylone de Nabuchodonosor est assimilée à la notion d’orgueil ; la « Grande Prostituée » de L’Apocalypse de Jean annonce le jugement divin ; l’anéantissement de Sodome, Gomorrhe et autres « villes des plaines » prend un rôle purificateur. Pourtant, la « chose humaine par excellence », selon la formule de Claude Lévi-Strauss dans Tristes Tropiques[2], est indissociable de l’histoire de l’homme. Dans le prolongement de cette perception négative, des textes moraux condamnent une ville aux dépens d’une autre. Il en va ainsi dans Les Caractères de Théophraste que traduit La Bruyère, dans une comparaison de Paris et d’Athènes, au désavantage évident de la ville moderne : « Athènes était libre, c’était le centre d’une république, ses citoyens étaient égaux ; ils ne rougissaient point l’un de l’autre, ils marchaient presque seuls et à pied dans une ville propre, paisible et spacieuse ». La capitale parisienne n’est finalement dans les textes moraux qu’un exemple visant à dévaloriser le présent par rapport au passé de l’humanité.

Vers la même époque, émerge un discours plus personnel sur la ville. Descartes, dans sa lettre du 5 mai 1631 à Guez de Balzac, fait l’éloge d’Amsterdam en même temps qu’il invite son correspondant à l’y rejoindre. La solitude urbaine lui semble préférable à celle de la campagne ; on peut y jouir du plus parfait anonymat de la ville-monde : « J’y pourrais demeurer toute ma vie sans être jamais vu de personne. Je me vais promener tous les jours parmi la confusion d’un grand peuple, avec autant de liberté et de repos que vous sauriez faire dans vos allées ». La conscience de la ville est une prémisse à la pleine conscience de soi. Bientôt, la ville fascinera les auteurs et leurs personnages, comme Saint-Preux dans la Nouvelle Héloïse, qui découvre, enchanté, la politesse et l’urbanité des mœurs parisiennes. Mais il faut attendre Baudelaire pour que résonne dans la poésie la conscience de la ville moderne, que scandent ses pas de flâneur dans les poèmes des « Tableaux parisiens » à ceux du Spleen de Paris. Avec lui, la ville, véritablement sublime, ne peut être appréhendée par les bornes et les limites de la conscience. À partir de ce moment-là, émerge une caractéristique propre de la citadinité : la conscience d’appartenir à une ville.

La distinction entre urbanité et citadinité a été formalisée dans le Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés[3]. L’urbanité y recouvre deux notions : le « caractère proprement urbain d’un espace » et l’« ensemble de traits de comportements positifs, impliquant courtoisie, respect de l’autre, bonnes mœurs et usages », se positionnant ainsi en tant que synonyme de civilité. La citadinité renvoie aux pratiques et aux représentations des individus et des groupes, appréhendés comme des acteurs sociaux. Elle incarne « […] une relation dynamique entre un acteur individuel (individuel au premier chef mais aussi collectif) et l’objet urbain. […] La citadinité constitue un ensemble – très complexe et évolutif – de représentations nourrissant des pratiques spatiales, celles-ci en retour, par réflexivité, contribuant à modifier celles-là[4] ». Dans ce sens, pour Philippe Gervais-Lambony, la citadinité se distingue de l’urbanité en ce qu’elle interroge le lien qui unit les habitants d’un espace au lieu où ils habitent. La citadinité est pour lui, « la forme individuelle de rapport à l’espace urbain[5] ».

La réflexion s’oriente sur les rapports que les habitants construisent avec une citadinité entendue ici comme relation dialectique entre les individus (y compris dans leurs appartenances collectives) et la ville, à différentes échelles spatiales et dans différents types d’espaces différenciés (quartiers centraux, périphériques, planifiés, non réglementaires, riches, populaires, etc.). Elle interroge également les représentations individuelles ou collectives de l’espace urbain.

La notion se différencie à la marge de l’urbanité « par une connotation plus culturelle. La citadinité a trait aux mœurs, aux habitudes et aux comportements des habitants des villes par opposition à ceux des campagnes[6] ». En effet, selon Michel de Certeau, les citadins qu’il considère comme « les pratiquants ordinaires de la ville » sont « des marcheurs dont le corps obéit aux pleins et aux déliés d’un “texte” urbain qu’ils écrivent sans pouvoir le lire. [7] »  À la croisée d’un passé riche de son histoire et d’un futur ouvert à tous les possibles, la ville devient un espace à faire sien le temps d’une appropriation scopique tout en restant un lieu de partage que chacun a pour tâche d’interpréter.

Ce sont les citadins qui créent la ville ; la flânerie est le « régime de l’imaginaire citadin » selon Isaac Joseph[8]. La circulation urbaine rejoint la circulation mentale. Cette démarche sera celle de Jacques Réda dans Le Citadin, qui se veut la chronique d’une année de déambulations dans Paris et sa banlieue. Il y arpente le paysage urbain, au gré de ses pas en même temps que de ses réflexions, certain qu’ « une cathédrale, une gare, un ministère, un palais sont aussi des constructions philosophiques[9] ». La ville prend une épaisseur particulière, à la fois collective et personnelle, voire intimiste, comme le Nantes de Julien Gracq dans La Forme d’une ville. La matérialité de l’espace est conditionnée par les connaissances topographiques immédiatement accessibles (nom de lieux, localisation des quartiers), des références biographiques (souvenirs ancrés dans ses lieux) et des réminiscences littéraires.

« Outil de compréhension des changements sociaux et spatiaux en ville[10] » selon l’analyse de Philippe Gervais-Lambony, la citadinité interpelle les littéraires, les géographes, les sociologues, les historiens, les écrivains, les urbanistes. Nous souhaiterions accueillir des communications autour des pistes suivantes (liste non exhaustive) :

- rapports de la citadinité et de l’urbanité,

- rapports d’un auteur à sa ville, 

- rapports d’un personnage à sa ville,

- rapports des habitants (réels ou fictifs) à leur ville.

 

Modalités de soumission :
Nous invitons tous les doctorants ou post-doctorants en histoire ou littératures, française ou étrangères, anciennes ou modernes et civilisationnistes à nous envoyer une proposition de communication sur ces thématiques.

Les propositions de communication doivent comporter un titre, un résumé de 250 à 300 mots, et une courte présentation de l’intervenant (laboratoire de rattachement, publications...). Les interventions se limiteront à vingt minutes.

Les propositions seront envoyées sous un format facilement lisible (WORD, PDF…) à l’adresse indiquée ci-dessous pour le jeudi 28 décembre 2017 :

 

jeuneschercheurs.littoral@gmail.com

 

Une réponse individuelle sera communiquée dans la semaine du 8 janvier 2018.

Pour toute information pratique supplémentaire concernant la Journée d’Étude, merci d’écrire à la même adresse. L’Unité de Recherche H.L.L.I. ne prend pas en charge les frais de déplacement. Une attestation pourra être fournie pour un remboursement par votre laboratoire de rattachement.

 

[1] Penser la ville : choix de textes philosophiques, dir. Pierre Ansay et René Schoonbrodt, Bruxelles, Archives d’architecture moderne, 1989, p. 17.

[2] « Elle est à la fois objet de nature et sujet de culture ; individu et groupe ; vécue et rêvée : la chose humaine par excellence. » Claude Lévi-Strauss, Tristes Tropiques, Paris, éditions 10 /18, 1962, p. 228.

[3] Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, dir. J. Lévy et M. Lussault, Paris, Belin, 2003.

[4] Id. p. 160.

[5] Philippe Gervais-Lambony, « La citadinité, ou comment un mot peut en cacher d’autres… », Vocabulaire de la ville. Notions et références, dir. E. Dorier-Apprill, Paris, Éditions du Temps, p. 92-108 ; p. 93.

[6] Dictionnaire de la ville et de l’urbain, dir. D. Pumain, T. Paquot, R. Kleinschmager, Paris, Economica-Anthropos, 2006, « Villes ».

[7] Michel Certeau (de), L’invention du quotidien, Tome I : Arts de faire, Paris, Gallimard, 1990, « Folio Essais », p. 141.

[8] Isaac Joseph, Le Passant considérable, Paris, Librairie des méridiens, 1984, p. 45.

[9] Jacques Réda, Le Citadin, Paris, Éditions Gallimard, 1998, p. 154.

[10] Philippe Gervais-Lambony, Vocabulaire de la ville. Notions et références, p. 92.