Revue
Nouvelle parution
Snobismes (Equinoxes, printemps / été 2007)

Snobismes (Equinoxes, printemps / été 2007)

Publié le par Gabriel Marcoux-Chabot (Source : Site web de la revue)


Equinoxes is an electronic journal committed to academic excellence and creative scholarship published twice yearly by the graduate students of Brown University 's Department of French Studies in conjunction with its annual conference, a tradition since 1993. Intended as a forum for exchange among graduate students in French & Francophone Studies and related fields, Equinoxes publishes scholarly articles in both French and English, as well as book reviews, interviews, commentaries on the field, short fiction, poetry and translations. In the interest of promoting dialogue across periods and genres, each issue is designed around a proposed theme. However, the journal also maintains an "open" space for quality writing that falls under any of the above-mentioned categories, regardless of its subject.


No 9 (printemps / été 2007)


Barbara Boyer
Snobisme et vêtement de luxe: la banlieue est-elle en train de perdre ses marques?

Introduction : Snobisme et banlieue, voilà une juxtaposition de deux termes que tout semble à priori dissocier.  Cette approche paraît s’inscrire en faux contre le sens d’élitisme que l’on donne généralement au terme de snobisme.  Pourtant, phénomène de mode ou fait social, on ne peut s’empêcher de constater que le vêtement haut de gamme inonde les banlieues populaires françaises, semblant ainsi gommer les distinctions sociales par l’apparence.  Roland Barthes, pour qui « la Mode est entièrement système de signes, explique que « la description du vêtement est le signifiant du code vestimentaire », et que le logo est la structure iconique de ces codes.  La critique du logocentrisme, qui est centrale à la théorie de déconstruction de Jacques Derrida, remet en question le ‘logos’ comme critère de connaissance de l’être humain.  Des questions se posent alors : avec la démocratisation des produits de luxe et l’appropriation des grandes marques de vêtements par les jeunes des quartiers défavorisés, le logo revêt-il, à travers la structure iconique des codes vestimentaires, une valeur discursive et communicative d’un message à dessein de revendications identitaires et idéologiques ?  Snobisme de fait ou anti-snobisme de façade, quelles sont les caractéristiques de la réappropriation des grandes marques par ces faux mondains des banlieues qui provoquent et bousculent l’ordre symbolique en reprenant les attributs de luxe construits en référence aux univers bourgeois du tennis, du golf ou de la voile ? Le vêtement haut de gamme continue-t-il d’être compris en termes de luttes symboliques entre les classes sociales, comme semble le suggérer Gilles Lipovetsk? Enfin, si l’on considère l’effet de mimétisme vestimentaire occasionné par l’adoration des jeunes de banlieue pour les stars et les idoles du sport ou du hip hop, cette particularité du snobisme qui consiste à se confondre à des personnes d’un rang ou d’une richesse supérieure en les imitant, est-elle une source de connaissance et de plaisir comme semble l’indiquer Aristote, ou plutôt un danger potentiel de dissolution de l’individu, comme le suggère Plato?


Cécile Barraud
Une revue d'élite, la revue blanche

Introduction : Apparue en octobre 1891 dans le champ littéraire français, sans programme nettement défini –“Nous ne nous proposons, ni de saper la littérature installée, ni de supplanter les jeunes groupes littéraires organisés”(N.-B.1) – la Revue Blanche s’inscrit dans l’espace singulier des avant-gardes culturelles de la fin de siècle. Sa trajectoire est analogique de la vision spécifique de la vie intellectuelle qu’elle reflète: d’abord “champ de développement pour quelques jeunes personnalités” (Malquin 97), elle constitue l’un des hauts lieux de l’individualisme fin de siècle, offrant l’image d’un cénacle raffiné, d’une juxtaposition d’esprits éclairés marquant leur singularité critique et esthétique par l’expression d’un certain “mandarinat”. Le passage de l’individualisme à l’action politique détermine dans un second temps l’apparition d’un autre type d’élitisme, à travers la figure émergente de l’“intellectuel” par laquelle s’affirme définitivement la position exigeante de la Revue Blanche dans l’espace social et culturel contemporain, exigence qui contribuera à faire d’elle, au seuil du XXe siècle, une grande revue intellectuelle.


Jean-Baptiste Chantoiseau
De la fascination à l'abjection: enquête sur la perte d'aura de la figure du snob dans la littérature contemporaine

Introduction : Le siècle dernier a été témoin d’un désenchantement profond des représentations littéraires de la figure du « snob » et, de manière plus générale, la mise en scène du « snobisme » dans la littérature de notre temps semble avoir perdu de cet « éclat » qui constitue pourtant l’essence même de ce phénomène. Une telle mutation appelle la réflexion : pourquoi et comment est-on passé du Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde (1890) à Dorian, Une imitation de Will Self (2002), des œuvres de Francis Scott Fitzgerald, Marcel Proust, Colette aux romans de Michel Houellebecq, Christine Angot, Guillaume Dustan, emblématiques, chacun à leur manière, de leur temps ?


Paul-André Claudel
Fardeau du capital et rêve de l'acte gratuit: les tourments du riche amateur Archibald Olson Barnabooth

Introduction : « Ça fait toujours plaisir de rencontrer quelqu’un auprès de qui Gide paraît pauvre », remarquait malicieusement Charles-Louis Philippe en découvrant les Poèmes par un riche amateur, signés par A. O. Barnabooth, que lui envoyait en 1908 Valery Larbaud1. L’univers romanesque du très fortuné André Gide – cette bourgeoisie cossue dans laquelle se déchaînent les pulsions de l’« immoralisme » – apparaîtrait presque étriqué, en effet, devant la démesure du personnage de Barnabooth : ce milliardaire indolent, occupé à parcourir l’Europe à la recherche de plaisirs rares, constitue, dans son outrance même, l’un des portraits les plus marquants de la littérature française de la première moitié du siècle.


Jana Dratvova
Silence éloquent du snob

Introduction : ”Si je ne suis pas mon propre juge, qui me jugera, et si je déplais à moi-même, que m’importe de plaire à autrui? Quel autrui? Y a-t-il un monde de vie extérieur à moi-même ? C’est possible, mais je ne le connais pas. Le monde, c’est moi, il me doit l’existence, je l’ai créé avec mes sens, il est mon esclave et nul sur lui n’a de pouvoir. - ainsi Hubert d’Entragues expose à Sixtine, au début de leur relation, le principe constitutif de sa vision du monde. C’est une telle philosophie, véhiculant l’idée d’une liberté vertigineuse ainsi que de ”l’effroyable solitude où nous naissons, où nous vivons, où nous mourrons“, attractive et inquiétante en même temps, qui se trouve à l’origine du comportement des personnages littéraires (et sans doute non seulement littéraires) caractéristiques de la période fin-de-siècle.
Au terme snob l’on aurait préféré celui d’être excentrique, expression générique qui recouvrirait toutes les nuances possibles du phénomène nommé esthétisme, élitisme, dandysme ou bien snobisme, qui se réfèrent toujours d’une manière ou d’une autre à la philosophie mentionnée. L’équivalent anglais de ce mot – an outstanding being – serait peut-être dans ce cas encore plus pertinent car le fait de se trouver de côté, à l’écart, désintégré, est justement le point commun entre toutes nos ”variantes“ du snob, terme qui pourtant sera ici employé pour ne pas brouiller les définitions.
Comme le titre l’indique, notre attention se concentrera sur la problématique communication du snob avec son entourage. Même si au premier regard ce corpus pourrait paraître hétérogène, nous allons démontrer comment tous ces personnages sont condamnés à vivre dans un silence perpétuel sans pourtant arrêter le flot de la parole. Pour expliquer notre point de vue sur la problématique l’on esquissera d’abord le monde du snob pour après pouvoir exposer la question principale de cet article – la question du silence éloquent du snob.


Maria Moreno
Du bovarysme à la créolité: le rapport des écrivains antillais à la langue française

Introduction : " Tous les Antillais ont un rapport problématique à la langue française. Lorsque j’étais à l’école, je pensais en créole. Toutes me pensées étaient en créole et lorsque la maîtresse nous interrogeait pour nous demander de nous exprimer sur un sujet, comme : "Qu’est-ce que vous avez fait ce week-end ?"…, [on] mélangeait les deux langues et il y avait des fautes de français. À l’époque, lorsqu’on faisait une faute…, on était poursuivi dans la cour de l’école par toute une meute d’enfants qui se moquaient de nous parce qu’effectivement, ne pas maîtriser le français était le signe d’une sorte de nègrerie, de basse condition. Donc, il fallait, pour être quelqu’un, pour exister et briller, maîtriser la langue française. Tout le monde avait une peur terrible de faire ce qu’on appelle « un carreau », c’est-à-dire de créoliser. Ce qui fait que j’avais beaucoup de problèmes à m’exprimer oralement en français mais je compensais cela par une écriture très appliquée en langue française."
Les mots cités ci-dessus appartiennent à Patrick Chamoiseau, l’un des écrivains martiniquais les plus reconnus des deux dernières décennies. Le souci linguistique qu’il y exprime s’avère symptomatique de la classe intellectuelle de son pays et peut facilement s’appliquer, par extension, à l’actualité littéraire des autres îles de la région. En effet, il n’est pas osé de dire que, dès ses origines, la littérature caribéenne d’expression française a témoigné d’une certaine ambivalence face à la langue dont elle se sert. Mélange d’admiration et de résistance, le rapport des romanciers antillais au français - langue du colonisateur - est un rapport essentiellement problématique.


François Rosset
Le snobisme: coquetterie et quête d'identité

Introduction : Difficile à définir avec précision, le mot snobisme revêt des sens divers. Il peut de nos jours désigner l’ « admiration pour tout ce qui est en vogue dans les milieux tenus pour distingués » ou encore l’attitude d’une « personne qui admire et imite sans discernement les manières, les goûts, les modes en usage dans les milieux dits distingués ».  Il représente aussi, et c’est un peu différent, l’ « ambition qui consiste à (désirer) fréquenter certains milieux sociaux jugés supérieurs et à se faire adopter par eux ».  Ces définitions mettent l’accent sur une forme de snobisme lié au désir, souvent mis en scène dans la littérature française depuis Molière, surtout à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. En lui donnant une vaste portée dans A la recherche du temps perdu, Marcel Proust lui a ainsi conféré, si l’on ose dire, ses lettres de noblesse.
Une autre forme de snobisme, symétrique de la précédente,  est celle du mépris d’où le verbe « snober » est issu, verbe qui « semble avoir été lancé (1921) par Proust (ou dans son milieu). »  Forme moins souvent décrite, dont l’auteur de la Recherche a campé l’archétype dans le personnage du baron de Charlus.
L’analyse du mécanisme du snobisme a fait l’objet de nombreuses études, parmi lesquelles nous retiendrons celle de René Girard dans Mensonge romantique et vérité romanesque. Un aspect que nous voudrions mettre ici en lumière est le rôle du snobisme dans la recherche de l’identité. 
Nous analyserons d’abord les deux aspects du snobisme : désir d’assimilation à un groupe de personnes auquel on n’appartient pas,  et maintien en dehors du groupe auquel on appartient des personnes extérieures. Nous appelons le premier « vain désir », car l’objet - ou la récompense -  pour lequel le snob voudrait être assimilé n’existe pas. Le second,  « mépris snob », tout aussi vain  que le « vain désir » car le rejet hors du groupe vise à conserver pour soi un objet irréel. Ensuite nous montrerons que le snobisme fait intervenir à la fois « vain désir » et « mépris snob », l’un ne pouvant exister sans l’autre, dans un cercle vicieux que l’on peut avec Girard attribuer à la « médiation double », celle de la coquetterie.  Nous conclurons sur la relation entre snobisme et quête d’identité. Nous nous limiterons dans cette étude à des illustrations du snobisme « mondain » tirées du grand roman proustien.


Kate Seward
En remontant le Boul'Mich: Zazous and the collaborationist press in occupied Paris, 1942

Introduction : In an article titled “En descendant le Boul’ Mich...” in the collaborationist weekly, Jeunesse, in early 1941, the right-wing journalist Max Davigny wrote what seems to be the first of many derogatory descriptions of Paris’s wartime “swing kids”. Taking the reader on a tour of the Latin Quarter, Davigny lamented what he saw as French youth’s degeneracy.

Before us is the old Soufflot, now the Dupon-Latin. Let’s go in.... Noise, neon lights, a crowded smoke-den! Where are the joyful students and the grisettes of “days bygone”? It’s a cosmopolitan scrum, an international exhibition.
Bum-fluffed youths parade there, pale, hair slicked back, coloured scarves and dirty shirts; girls go round, clumsily made-up, with eyes circled in blue eye-shadow, with lips too red, with tatty furs on their shoulders; strange, disturbing individuals come and go: brownish-yellow complexions, frizzy hair, noses hooked over thin lips, a jumble of wogs, of crooks, of people without a fatherland.
Is “that” French youth? No, that’s not French youth. We can’t rely on “that” to rebuild France. Come on, let’s go, I feel the need to breathe some fresh air....


Marina Van Zuylen
Snobbery and the Shameful Familiarity of Selfhood
Introduction : In the long history of writing about snobbery—from Stevenson to Proust, from Balzac to James, from Girard to Bourdieu—one thing is clear.  Neither democracy, vigilance, nor asceticism has ever done much to stop it.   I am a snob for hundreds of reasons and my snobbism wears different masks.  I loudly proclaim that I prefer Renoir’s early portraits to his late nudes; I proudly announce that I would eat MacDonald French Fries any day over those at the Ritz Hotel, and I am a snob because I confess that I would not be displeased if Judith Butler caught me reading Hegel’s Phenomenology of the Spirit in the subwayrather than People magazine.  These examples of snobbery, you will agree, are rather mild.  What distinguishes them, though, from the great narratives of snobbery, those particularly relished by the likes of René Girard, is that they are not part of a larger narrative of good and evil, of ambition and renunciation.  Great snob stories, especially nineteenth-century ones, usually cast the snob within an Augustinian narrative of conversion and redemption, alienation and recognition.  We end up being inspired by the transformations of Stendhal’s Julien or Proust’s Marcel because they have gone from practices of deception and vanitas to sobering tales of disillusionment.  They have renounced idolatry for love and hypocrisy for lucidity.  On the other end of the spectrum, Bourdieu’s assorted readings of snobberies resist such cathartic deliverance; his theories of distinction, of art appreciation, of status anxiety, make snobbery the central and unmovable actor in an inescapably Hobbesian struggle for recognition.  Snobbery, the visceral, universal, hateful need to distinguish ourselves, to be distinguished from others, might just be what finally generates taste, ignites ambition, and is part of what makes us finally less platitudinous. To be a snob, at least willfully so, means to believe that there are standards of wealth, culture, and taste that are simply more desirable than others.  To be a snob is to enforce these standards by putting down those who do not meet them.  But don’t get me wrong.  This is not a defense of the snob.  Rather, what I would like to examine is the delicate zone that Proust calls the “travail intermédiaire,” that fatally missing step in our capacity to evaluate how the snob came to feel so superior, how the erstwhile dominated suddenly reemerged as the dominating. No better snob-sleuths than Flaubert, Proust, or Nathalie Sarraute to trip up these so-called arbiters of taste and status, to peel off the palimpsests of self-righteous posing.  Posing, in fact, is just what I did when I was first asked to give this keynote address on Snobismes.  When I was told on the phone that I seemed to be the perfect person to speak on snobbery, I laughed, agreed heartily, set the date for the lecture, but then had a sinking feeling--why me? Is it really because I’m not a snob that they asked? Or is it because I am one?  Like the word itself, the very concept of snobbery is a tremendous litmus test about the instability of selfhood.  From its original definition—sine nobilitas was placed in front of the names of the English university students who did not have their lettres de noblesse—to today’s inverted meaning—a snob is somebody who feels and acts superior--this changeable and slippery word reflects the fragile individual it describes.  The snob, indeed, is anything but solid, usually nervously projecting the distorted reflection of the power he or she tries to emulate.  Being a snob, and this applies even more pointedly to le snob intellectuel, suggests a rootless condition, one that is painfully aware of codes and expectations.  Such deep-seated sensitivity to l’opinion publique makes this social wannabe eternally “excluded, displaced, in disequilibrium, off-balance.” Perpetually at the mercy of others, the snob is rootless, perpetually circulating, in Régis Debray’s words, “through the world like money, with no idea of a homeland… in a word, he is Jewish… “