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Séminaire TIGRE «Mythes et illustration», 5. Versions comiques des mythes en Europe centrale (X. Galmiche et J. Boutan)

Séminaire TIGRE «Mythes et illustration», 5. Versions comiques des mythes en Europe centrale (X. Galmiche et J. Boutan)

Publié le par Vincent Ferré (Source : Evanghelia Stead)

    Xavier GALMICHE (Sorbonne Université, UMR 8224 Cultures et sociétés d’Europe orientale, balkanique, médiane EUR’ORBEM, « Les métamorphoses de Momus : le moment de la trivialisation dans la culture comique d’Europe centrale (1820-1860) »
    Un grand nombre d’œuvres comiques, du champ de la littérature ou des beaux arts (et parfois des deux, dans le cas des textes illustrés) de la fin du XVIIIe siècle et de la première moitié du XIXe siècle, illustrent un moment de bascule dans le rapport au trivial. D’une part, en accord avec les règles du genre héroïcomique, elles tendent à faire jouer l’un contre l’autre les pôles du noble et de l’humble, du haut et du bas, du sublime et du vulgaire. Mais d’autre part, les mutations radicales de la production et de la diffusion de la culture, que l’on peut caractériser comme une première vague de massification, aboutissent à une tendance inverse, où le trivial tend à être cultivé pour lui-même : non pas seulement, donc, la trivialisation comique, mais trivialisation du comique.
    On trouve un bon exemple de cette contradiction dans les métamorphoses du motif abdéritain dans les littératures nationales d’Europe centrale : son « lancement » est marqué par la parution du célèbre roman de Wieland (Geschichte der Abderiten, 1774), adaptation à la matière allemande de la critique ancienne, et même antique, du philistinisme . Au XIXe siècle, les genres « à l’antique », comme la fable, l’épigramme, les poèmes héroïcomiques sont obsolescents en Europe occidentale. En revanche, en Europe centrale et orientale, ils font la preuve d’une remarquable rémanence : les références cultivées, voire érudites, aux modèles comiques antiques voisinent avec des références au populaire, et les deux registres se concurrencent et se contaminent, entraînant des effets inattendus : un motif d’un registre soutenu peut être employé à rebours, pour mieux affirmer la trivialité de la réalité .
    Cette dissociation esthétique s’illustre à travers les figures emblématiques de la moquerie et de la dérision. A travers l’Europe moderne, c’est la figure de Momus, Dieu de la moquerie mis en scène par Lucien de Samosate, qui s’est imposée dans le contexte du genre héroïcomique, dont l’apogée est à situer au XVIIIe siècle .  Au XIXe siècle, qui voit l’essor de nombreux autres genres satiriques et parodiques, elle s’efface au profit de celle du fou, du bouffon, souvent représenté sur l’arrière-fond d’un contexte moyenâgeux largement fantasmé. En Europe centrale et orientale, Momus coexiste partiellement avec le fou. L’exposé se propose d’examiner quelques occurrences de ces « néo-Momus » (Hongrie, Pologne, Bohême) qui, sous couvert d’une référence antiquisante, organisent le jeu populaire, voire populiste, de l’humour et du divertissement.

    Jean BOUTAN (ERC PuppetPlays, Université Paul Valéry-Montpellier 3) : « Héroïnes burlesques : amazones et vierges guerrières dans les épopées héroïcomiques au tournant des XVIIIe et XIXe siècles »
    Objet privilégié du rire et de la satire depuis l’Antiquité, c’est tout naturellement que les femmes sont aussi les héroïnes du genre héroïcomique en vogue à l’époque des Lumières, qui se réclame volontiers du patrimoine esthétique et littéraire classique. Le personnage de l’amazone, empruntant à la fois aux épopées antiques et à des traditions nationales redécouvertes à l’époque moderne, devient en même temps un lieu commun dans les nouvelles conceptions de la féminité qui se développent à la faveur de la Révolution française. A l’époque d’une renégociation du statut et de la place des femmes dans les sociétés européennes, ces personnages donnent matière à des représentations diverses aussi bien dans les textes que dans les programmes d’illustrations qui les accompagnent, conduisant à mettre en évidence différents motifs dans la réinterprétation des mythes : sujets licencieux, figures de mégères, femmes émancipées et Athéna casquées.
    La rémanence du genre héroïcomique en Europe centrale  montre bien les évolutions que connaissent alors ces personnages : la comparaison entre l’édition illustrée de La Pucelle de Voltaire parue en 1790 et les frontispices des deux parties du poème héroïcomique Děvín écrit par Šebestián Hněvkovsk? dans la dernière décennie du XVIIIe siècle, mais publié à Prague en 1805 seulement , souligne non seulement la circulation de ces motifs mythiques à l’échelle européenne, mais aussi le tournant que représentent ces années dans la représentation littéraire et graphique. Pour saisir la manière dont elles s’inscrivent dans le jeu pratiqué par les genres satiriques avec les clichés véhiculés par une société donnée, les illustrations de ces textes demandent à être situées dans un contexte plus large d’histoire de l’image, incluant également les corpus de caricatures qui fleurissent à partir de la Révolution française, y compris en Allemagne et dans les pays de l’Empire d’Autriche . Tantôt conservatrices et tantôt progressistes, elles apportent une perspective irrévérencieuse et critique sur cette période complexe de transition entre les Lumières tardives et l’aube du romantisme.