Actualité
Appels à contributions
Séminaire Formes mixtes Vers et prose

Séminaire Formes mixtes Vers et prose

Publié le par Florian Pennanech (Source : Philippe Postel)

Séminaire proposé par la Section de Littérature Comparée du Département de Lettres modernes (Laboratoire Textes, Langages, Imaginaires/Marges, Modernités, Antiquités) de l'Université de Nantes

Formes mixtes : vers et prose

Années 2009-2011

Jeudi après-midi (environ une fois par mois)

Le lecteur moderne a sans doute tendance à considérer comme « impures » les formes mixtes qui mêlent la prose et le vers. Cela résulte sans doute d'un certain conformisme, car le bon goût, depuis l'époque classique latine, exclut le mélange et la variété, catégories esthétiques reléguées au genre « mineur » de la satura. La difficulté de lire aujourd'hui les formes mixtes résulte aussi probablement d'un processus de « désapprentissage » : nous avons oublié, en quelque sorte, que, dans notre histoire littéraire, nombreuses sont les oeuvres où se mêlent d'une façon ou d'une autre les deux modes d'expression que constituent la prose et la poésie versifiée. En effet, pour s'en tenir à la tradition écrite et sans tenir compte des formes mixtes relevant du poème en prose, la mixité formelle est repérable depuis le Satyricon de Pétrone jusqu'à To Axion Esti d'Odysseus Elytis, en passant par les « incontournables » que sont La Consolation de la Philosophie de Boèce (VIe s.), la Vita Nuova de Dante (XIIIe s.), et Aucassin et Nicolette (XIIIe s.). Mais elle est encore présente à l'âge baroque : songeons aux romans du Siècle d'Or espagnol, ou bien à L'Arcadie de Philip Sydney répondant à celle de Sannazar (XVIe s.), ou encore à l'opéra qui fait alterner récitatifs et airs. Elle semble encore resurgir chez romantiques allemands, dans les romans de Tieck ou de Brentano par exemple. On pourrait aussi évoquer la littérature irlandaise et galloise ainsi que les sagas islandaises. A pousser l'exotisme plus loin, on s'aperçoit que mêler prose et vers est une pratique littéraire qui s'étend bien au-delà du domaine européen : en attestent la tradition orale indienne ainsi que les formes écrites qui en héritent, mais aussi certains genres narratifs arabes ou encore les romans classiques japonais et chinois.

Pour tenter de se repérer dans le maquis des formes mixtes associant prose et vers, il convient de distinguer plusieurs aspects. Du point de vue des formes, deux possibilités semblent prévaloir. Nous avons évoqué les formes où alternent des passages en prose et des passages versifiés, nettement différenciés les uns des autres, comme dans la satire Ménippée, ou le roman chinois ou japonais. Nous les nommerons les formes « alternantes », pour les distinguer des formes « hybrides » qui tendent au contraire vers un idéal de fusion (ou de dépassement) de la poésie et de la prose : c'est le cas de la prose rythmée des traditions arabes (saj') ou chinoises (le fu 賦ou le pianwen駢文 par exemple), ou encore de notre poème en prose moderne (Novalis, Baudelaire ou Tourguéniev). Outre ces deux formes mixtes (alternantes et hybrides), il faut mettre à part le cas particulier des transpositions de la poésie versifiée vers la prose ou, inversement, de la prose vers la poésie : ce cas existe notamment dans le contexte des exercices scolaires dans la latinité tardive (voir Curtius), mais on peut songer aussi au genre de l'opus geminatum où la vie d'un saint est rédigée une fois en prose puis une fois en vers, ou encore, dans un tout autre contexte, à certains poèmes de Tao Qian (IVe-Ve s.), comme le fameux Récit de la source des fleurs de pêcher.

Une autre façon de s'orienter dans le massif des formes mixtes mêlant prose et vers est de prendre en compte l'histoire littéraire. La plupart de ces formes s'inscrivent dans une tradition bien attestée : on peut penser à la longue tradition de la satura (voir l'ouvrage de Nathalie Dauvois, De la Satura à la Bergerie, Le Prosimètre pastoral en France à la Renaissance et ses modèles, Champion, 1998), ou encore celle des différents genres narratifs oraux qui sont à l'origine de la forme mixte du roman chinois classique. D'autres semblent relever d'une démarche originale, voire expérimentale, dans la mesure où elles s'opposent à l'esthétique dominante, comme peut-être à l'époque romantique, lorsque des poèmes sont insérés dans les romans, ou bien lorsque se crée le poème en prose.

De nombreuses autres entrées existent, permettant de guider nos pas dans ce vaste territoire. Il est par exemple utile de distinguer entre la tradition orale (en particulier dans les domaines indien ou africain, mais aussi chinois) et la tradition écrite, et éventuellement d'analyser le lien de l'oral à l'écrit. Autre entrée possible, le rapport quantitatif entre vers et prose, qui est rarement équilibré : on distingue alors le « prosimètre » au sens étroit, où la partie versifiée l'emporte, et la « versiprose » (terme qui n'a guère fait fortune), où, au contraire, c'est la prose qui domine.

A partir de ces quelques entrées qui m'ont été fournies en particulier par les travaux rassemblés en 1997 par Joseph Harris et Karl Reichl dans l'ouvrage intitulé Prosimetrum. Cross-cultural perspectives on narrative in prose and verse (D.S. Brewer), mais aussi à partir d'autres entrées que je n'ai pas mentionnées, nous pourrions envisager plusieurs pistes de réflexions qui animeraient notre séminaire.

1. Les formes hybrides constitueraient un champ de recherche en soi. Nous pourrions comparer entre elles les formes hybrides traditionnelles, souvent appelées « prose rythmée », relevant de domaines linguistiques distincts, comme le saj' arabe et le sanwen 散文chinois, et ainsi tenter de décrire les modes formels qui les régissent, et peut-être de définir leurs fonctions à l'intérieur de la création littéraire, tant savante que populaire. Il serait aussi intéressant d'explorer la façon dont le poème en prose se conçoit et se manifeste, tout au moins dans les littératures européennes.

S'agissant des formes alternantes, un certain nombre de problématiques semble s'imposer :

2. On peut légitimement se poser la question des fonctions respectives de la prose et de la poésie versifiée dans ce type de forme mixte : a priori la poésie est liée au chant, à l'oralité, et renverrait au mode lyrique, tandis que la prose serait avant tout le support du récit proprement dit, et relèverait du mode épique ; mais cette distinction est à questionner, ne serait-ce que parce que l'on trouve des contre-exemples. De façon corollaire, il faut tenter de définir l'effet produit par l'alternance des deux modes : tension ou bien complémentarité ?

3. On peut aussi se demander si certains genres ne sont pas, en quelque sorte, prédisposés à accueillir la forme alternante mêlant prose et vers. Le dialogue s'y prête naturellement : c'est dans ce genre que Boèce (avant ses nombreux imitateurs) choisit de composer sa Consolatio. Les poèmes coexistent bien souvent avec la prose dans le conte (pensons aux Märchen ou au conte arabe) et la fable (la moralité se formule en vers dans le Pañcatantra), mais aussi dans certaines hagiographies, tant dans la tradition chrétienne que bouddhique (voir les Lalitavistara ou Vies de Bouddha, dans le contexte indien, ou les bianwen變文 dans le contexte chinois). L'alternance entre prose et vers est également repérable dans les autres genres narratifs comme l'épopée, entendue au sens large, ce qui permet d'inclure par exemple les ayyām al-‘arab (récits des batailles entre tribus hostiles dans le contexte arabe), les « épopées » extra-européennes, ainsi que les chroniques historiques comme la Gesta Danorum de Saxo Grammaticus (XIIe s.). Le « simple » roman peut aussi présenter cette caractéristique, à condition d'envisager certaines périodes (l'époque baroque par exemple) ou certaines régions (voir le zhanghuixiaoshuo 章回小說chinois, le monogatari japonais ou le maqāma arabe). On pourrait enfin mentionner, mais la liste des genres concernés par l'alternance de la prose et du vers n'est pas fermée, le récit de voyage : le kikō japonais comme le pratique Bashō (XVIIe s.) pourrait-il se comparer au Voyage dans le Limousin de La Fontaine ? A côté de ces genres qui accueillent, en les faisant alterner, la prose et le vers, il en existe d'autres qui se définissent par cette alternance même : la chantefable (ou cante fable) française, le cihua詞話 chinois, le campū indien, ou encore l'opéra classique, tant en Occident qu'en Chine.

4. Dans le cas des oeuvres où la prose domine, on peut envisager de déterminer, autant que possible, une typologie des poèmes  insérés dans la prose, en tentant de répondre aux questions suivantes : où sont situés les poèmes (au début ou à la fin, donc en marge de la narration prosaïque, ou bien au coeur du récit) ? les poèmes sont-ils des citations ou bien sont-ils créés ad hoc ? font-ils partie de la fiction ou bien constituent-ils un commentaire extérieur sur le récit ? etc.

5. Enfin l'on pourrait réfléchir aux problèmes que pose la traduction de ces formes mixtes (tant alternantes qu'hybrides). Dans le cas des formes alternantes où la prose prédomine, pendant longtemps, les poèmes n'étaient tout simplement pas traduits, soit que la traduction en elle-même pose des difficultés, soit que la mixité formelle qui en résulte ait été analysée comme trop éloignée de l'horizon d'attente des « lecteurs cibles ». Mais on peut aussi se demander, dans le cas où les poèmes sont effectivement traduits, par quels moyens formels précis est restituée la tension entre la prose et la poésie. Du reste la même question se poserait pour la traduction de la prose rythmée ou du poème en prose, défi en effet pour le traducteur. Les phénomènes de transposition de la poésie vers la prose ou, inversement, de la prose vers la poésie, que nous avons évoqués, pourraient également se rattacher à la question générale de la traduction des formes mixtes.

Il est bien évident, et cela est souhaitable, que les communications parcourront probablement plusieurs des pistes de réflexion que nous avons distinguées : la présence de poèmes à l'intérieur des romans chinois, par exemple, s'inscrit dans une tradition littéraire ancienne, peut donner lieu à une typologie, a posé et pose encore des problèmes aux traducteurs, etc. Par ailleurs, il est certain que certaines orientations qui n'ont pas été envisagées ici pourront s'intégrer dans les séances du séminaire.

Le séminaire est prévu sur deux années, de 2009 à 2011. Il a lieu le jeudi après-midi à l'Université de Nantes. Les interventions commenceront au mois de janvier pour l'année 2009-2010. La durée des interventions serait de trois-quarts d'heure environ, une heure au maximum.

Si vous souhaitez m'adresser une proposition, je vous prie de m'envoyer un courriel le plus rapidement possible, avant le 16 novembre 2009 pour l'année 2009-2010, et avant le 24 mai 2010 pour l'année 2010-2011, à l'adresse suivante :

Philippe.postel@univ-nantes.fr

Vous voudrez bien préciser vos coordonnées (Université ou établissement, adresse électronique, adresse postale, numéro de téléphone), un titre de communication (même provisoire), un résumé (ou du moins un aperçu en quelques lignes), ainsi que la date limite à laquelle vous pourriez intervenir.