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Séminaire Espaces - Ecritures- Architectures :

Séminaire Espaces - Ecritures- Architectures : "Texte et architecture" (CSLF - Paris Ouest Nanterre)

Publié le par Marielle Macé (Source : Emmanuel Rubio)

Séminaire Espaces - Ecritures- Architectures 2013-2015

Cycle de Conférences « Texte et Architecture »

Appel à contributions

« L’architecture est un poème parlant ; c’est dans son ensemble que les Anciens s’instruisaient comme dans un Livre », écrit au XVIIIe siècle le théoricien Viel de Saint Maux. Et Victor Hugo de renchérir : « Durant les six mille premières années du monde, depuis la pagode la plus immémoriale de l’Hindoustan jusqu’à la cathédrale de Cologne, l’architecture a été la grande écriture du genre humain. » Des Lumières au romantisme, l’architecture pourrait bien ainsi être apparue comme un livre d’avant le livre, un texte d’avant le texte, avec sa grammaire générale (« le pilier qui est une lettre, l’arcade qui est une syllabe, la pyramide qui est un mot…. », écrit encore Hugo), sa mission signifiante et ses énigmes à interpréter. L’analogie ne va pourtant pas sans difficultés. Hegel ne voyait en l’architecture que « le commencement de l’art » : ne trouvant en elle-même « ni les matériaux convenables, ni la forme qui lui correspond », elle « doit se borner à des essais » ; ses œuvres « ne peuvent porter l’empreinte d’une signification, dans leur aspect extérieur, que d’une manière symbolique ». Et la difficulté, pour les Lumières, à cerner une origine mimétique de l’architecture peut passer pour significative. Peut-être même est-ce parce qu’elle échappe à la mimèsis, parce qu’elle est « sans modèle sous le soleil » (Diderot), que l’architecture montre alors comme une rage de signifier, d’exprimer, voire de « parler », que ce soit dans la langue codifiée des théories académiques (avec l’arsenal de convenances, destination, caractère…), ou par la voie puissante du symbole, chez Ledoux ou Boullée.

Si le paradigme de l’écriture arrache l’architecture à la seule présence de ce qui est, l’anime, en quelque sorte, le mouvement ne va sans paradoxe, ni ne saurait se figer à nouveau en un système stable et cohérent a priori. L’architecture ne se réduit jamais à ce qu’elle dit, non plus que son « dire » ne se fixe en un message plein. Plutôt qu’à la transparence supposée de la « parole », il conviendra peut-être ainsi d’en revenir à l’instabilité du texte, tel qu’on a travaillé à le définir, autour de Roland Barthes et Julia Kristeva, dans les années 1960-1970. Du texte comme « appareil translinguistique qui redistribue l'ordre de la langue », dans la langue mais comme « étranger à la langue » (Kristeva), emporté par le mouvement de désintégration du statut assuré des notions liées de sujet et de signe, et contesté comme structure présente à elle-même. Le déplacement serait même d’autant plus tentant que le texte, ne coïncidant plus avec les structures finies des anciennes unités linguistiques ou rhétoriques, se révélant feuilleté en hyper-texte, inter-texte, phéno-texte, géno-texte … n’est même plus restreint « à l’écrit (à la littérature) ». « Il suffit qu’il y ait débordement signifiant pour qu’il y ait texte » : « toutes les pratiques signifiantes peuvent engendrer du texte : la pratique picturale, la pratique musicale, la pratique filmique, etc. » (Barthes)

Certains architectes n’hésitèrent pas à user de cette nouvelle acception du texte, revisitée par l’enseignement de Derrida, et mise en avant non plus comme « un terme vague et générique pour signification », mais bien comme « un terme qui disloque sans cesse la relation traditionnelle entre une forme et sa signification » (Peter Eisenman). A l’aube de la nouvelle vague numérique, Greg Lynn pouvait encore s’inspirer de Georges Bataille pour défendre en architecture « une pratique anti-architecturale de l’écriture », qui « respecte et maintienne l’incomplétude, l’indécidabilité, l’informe »… Naturellement, il ne saura s’agir ici de s’en tenir à la lettre aux théories post-structuralistes, non plus que d’interroger uniquement les architectes de la déconstruction ou du pli. Mais bien de poser comme problématique, et plus complexe et mutable qu’il n’y paraît, la relation entretenue entre architecture et écriture, pour interroger les supports architecturés et écrits les plus divers. La tension entre la volonté de dire de Boullée et Ledoux et celle d’Eisenman d’interdire tout « signifié unique » pourrait ici servir d’emblème, pour interroger un tremblement qui ne manque pas de resurgir dans nombre d’efforts théoriques contemporains au confluent des disciplines académiques traditionnelles, qu’ils poursuivent la pensée déconstructiviste (Wigley), convoquent la psychanalyse lacanienne (Hays), la philosophie (Goetz), les chronotopes de Bakhtine (Keunen), supposent une paradoxale catharsis (Rubio), ou décryptent les palimpsestes de la mémoire et ses inter/hypertextes (Corboz, Marot)…

La place, la forme, les enjeux de l’écriture se trouvent d’ailleurs sous d’autres aspects encore au cœur des problématiques proposées. Car la saisissante image hugolienne de l’imprimé déclassant  l’édifice, dans un mouvement mortifère du type « ceci tuera cela », trouve aussi son contraire dans les formidables mutations opérées dans l’imaginaire architectural par le développement du livre et de l’imprimerie. La place qu’occupent le texte et le travail du texte dans le projet même de l’architecte mérite de ce point de vue d’être auscultée, en particulier quand celui-ci se perçoit aussi comme écrivain, dans cette lignée qui va d’Alberti à Rossi en passant par Le Corbusier. Que nous disent les procédés textuels eux-mêmes (comme le « style figuré » de Ledoux censé faire « respirer les murs », ou l’aphorisme et la sentence « à l’emporte pièce » de Le Corbusier) sur l’esthétique architecturale elle-même ? Plus largement, la littérature dans son ensemble se confronte à l’architecture pour une réinvention commune. Qu’elle se rêve littéraliste et joue paradoxalement d’une architecture anti-scripturale (Pleynet : « Le mur du fond est un mur de chaux », l’ouverture de La Jalousie de Robbe-Grillet), qu’elle entraîne au contraire les murs imaginaires dans d’impossibles constructions (Le Château de Kafka, la bibliothèque borgésienne, les décors du même Robbe-Grillet), la littérature participe assurément de cette constitution de l’architecture comme un de ces « objets feuilletées », essentiellement complexes, dont Barthes affirmait qu’« on ne peut en séparer un des feuillets sans les détruire ».

Les propositions de communication pourront donc privilégier soit le versant architectural soit le versant textuel, en favorisant sans exclusive les rencontres interdisciplinaires. Elles seront à envoyer par mail aux responsables du cycle de conférences avant le 15 septembre (2 feuillets maximum), aux adresses suivantes : rubio.emmanuel@laposte.net ; pierre.hyppolite@wanadoo.fr ; marc.perelman@u-paris10.fr ; moulinfabrice@yahoo.fr ; jp.vallier@aliceadsl.fr.

Les conférences, organisées dans le cadre du CSLF (Paris Ouest Nanterre La Défense), en collaboration avec l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Paris Malaquais se tiendront un mercredi par mois sur les deux années 2013-2015, à Paris Malaquais.