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Appels à contributions
Rousseau, les Lumières et la question nationale dans les pays arabo-musulmans.

Rousseau, les Lumières et la question nationale dans les pays arabo-musulmans.

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Jacques Domenech)

Colloque : appel à contributions

Rousseau, les écrivains des Lumières et la question nationale dans les pays arabo-musulmans

Université Stendhal Grenoble 3

 17 et 18 octobre 2013

 

 

Au printemps 2011, les peuples de plusieurs pays arabes, Tunisie, Egypte, Lybie, se sont soulevés contre leurs dirigeants. Quelques mois plus tard, le président syrien voyait lui aussi la contestation gagner son peuple.
Au moment où l’on célébrait le tricentenaire de la naissance de Rousseau et le cinquantième anniversaire des accords d’Evian mettant fin à l’occupation française en Algérie, les populations de plusieurs pays arabo-musulmans remettaient en cause leur gouvernement en revendiquant un espace démocratique mettant fin à la corruption et à la confiscation du pouvoir et de l’argent par des clans et des familles qui usurpaient le bien commun. Ces mouvements populaires ont exprimé la frustration de populations qui n’avaient pas connu l’euphorie de la lutte pour l’indépendance. Les printemps arabes ont exprimé l’échec des révolutions nationales indépendantistes. Nasser, Bourguiba, Ben Bella qui avaient suscité de grands espoirs au milieu des années cinquante, n’étaient plus que de lointains souvenirs. Ces pays, à peine sortis de la domination coloniale, sont tombés aux mains de clans ou de l’armée en mettant fin aux espoirs démocratiques. Cette dégénérescence de nouveaux Etats a montré la difficulté de créer de nouvelles constitutions. Ces régimes soutenus par nombre de pays européens qui voyaient souvent en eux un gage de stabilité, ont confisqué les indépendances à leurs propres profits. Et cette collusion entre les régimes autoritaires et leurs soutiens occidentaux a été dénoncé à plusieurs reprises par les opposants qui réclamaient une véritable liberté et une nouvelle indépendance.
Si l’on admet que Rousseau puisse être le grand précurseur de l’idée nationale voire du nationalisme, il est pertinent de s’interroger aujourd’hui sur le développement de l’idée nationale dans les pays arabo-musulmans durant le XIXe siècle jusqu’à aujourd’hui au regard de la philosophie politique de Rousseau, de ses réflexions sur l’appartenance, la patrie, la religion, la négation d’un droit colonial ou d’un droit de conquête.
On pourra aussi contester cette place de l’idée nationale de Rousseau  – en effet Rousseau a peu écrit sur les pays arabo-musulmans même s’il s’intéresse à l’Islam – dans les pays arabes et y voir d’autres influences, celles Montesquieu, de Voltaire, de Condorcet ou de bien d’autres en s’interrogeant sur les concepts de peuple-nation ou peuple-classe. Trois axes de réflexion peuvent se dégager des revendications nationales des pays arabo-musulmans depuis plus d’un siècle qui s’appuient parfois sur la pensée politique de Rousseau ou sur d’autres écrivains des Lumières. Il s’agit dans cette réflexion de comprendre d’une part les influences de Rousseau et des Lumières sur la question nationale mais aussi de saisir par ailleurs les modalités de leurs réceptions et de leurs usages politiques, les deux pouvant aussi se croiser. La réception des textes nous oblige souvent à leurs relectures. C’est la raison pour laquelle, si nous pouvons évoquer une instrumentalisation idéologique des textes des Lumières, il faut aussi comprendre sur quel socle repose l’instrumentalisation.


1° Dénonciation chez Rousseau du colonialisme. On a tous en tête la Lettre à Bordes à propos du Discours sur les sciences et les arts : « Ainsi de ce que n’avons pu pénétrer dans le continent de l’Afrique, de ce que nous ignorons ce qui s’y passe, on nous fait conclure que les peuples en sont chargés de vices : c’est si nous avions trouvé le moyen d’y porter les nôtres qu’il faudrait tirer cette conclusion. Si j’étais chef de quelqu’un des peuples de la  Nigritie, je déclare que je ferais élever sur la frontière du pays une potence où je ferais pendre sans rémission le premier Européen qui oserait y pénétrer, et le premier citoyen qui tenterait d’en sortir. » Plus encore que Montesquieu, Rousseau condamne, après quelques louvoiements relevés par Michal Launay dans son Jean-Jacques Rousseau écrivain politique, les guerres de conquêtes et les colonies. Il souligne les conséquences économiques et politiques des guerres de conquête qui ont souvent pour objectif de détourner les citoyens des affaires de l’Etat. On peut aussi se demander si les ricochets de sa pensée au moment de la révolution, dans la société des Amis des Noirs, chez Robespierre, dans la révolte haïtienne, n’ont pas trouvé des échos bien plus tard dans les pays colonisés.  


2° Le nationalisme chez Rousseau est un nationalisme essentiellement défensif. On pourra s’intéresser ici aux réflexions de Rousseau dans les Considérations sur le gouvernement de Pologne souvent considéré, y compris par des rousseauistes comme Jean Guéhenno comme un texte qui a pu nourrir les pires nationalismes agressifs du XXème siècle. Rousseau n’a-t-il pas au contraire montré la voie de l’indépendance des peuples occupés, comprenant en outre que les peuples émergents, fragiles, doivent se protéger ? Rousseau, par ce biais s’intéresse aussi aux nouvelles méthodes de guerre, à l’artillerie tout en ayant l’intuition de nouvelles formes de guerre pour les peuples pauvres, celle de la guérilla lorsqu’il écrit sur la Pologne. Lorsqu’il remet en cause l’idée de cosmopolitisme et rejette le mélange des peuples et des races, surtout dans les Considérations sur le gouvernement de Pologne, on croirait entendre certains discours de Nasser appelant à la création d’une littérature arabe indépendante libérée de toute influence étrangère.


3° Place de la religion dans la formation et le maintien de la cité. On s’intéressera ici à la réflexion de Rousseau sur un patriotisme qui serait d’essence religieuse, ou sur une instrumentalisation politique du religieux comme ciment de l’Etat. Rousseau défend l’idée de l’exigence d’une unité de l’Etat. Puisque « tout ce qui rompt l’unité sociale ne vaut rien », il faut une religion qui fasse aimer l’Etat. Il faut un Dieu pour garantir l’institution. La loi seule est impuissante à faire aimer la cité. Il importe que chaque citoyen ait une religion qui lui fasse aimer ses devoirs. On relira également les textes de Rousseau sur l’islam pour comprendre en quoi cette religion pouvait l’intéresser et nourrir sa philosophie politique.


Ce colloque s’intéressera aussi au courant des Lumières dans un sens plus large et à l’écho que celui-ci a pu rencontrer dans l’élaboration des Etats-nations.
Pour des raisons de cohérence et de clarté, nous nous en tiendrons exclusivement aux pays arabo-musulmans qui offrent un large éventail d’expériences politiques, nationales et religieuses.

Modalités

Les projets de communications sont à envoyer à Pascale Pellerin, pascale.pellerin2@wanadoo.fr ou à Jacques Domenech, jadomenech@orange.fr le 01 mars 2013 au plus tard.