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RiLUnE 8 – La réception des idéogrammes dans la poésie européenne du début XXe siècle

RiLUnE 8 – La réception des idéogrammes dans la poésie européenne du début XXe siècle

Publié le par Bérenger Boulay (Source : Enrico Monti)

RiLUnE n. 8 – La réception des idéogrammes dans la poésie européenne du début XXe siècle

Date limite propositions (400 mots) : 10 juillet 2008 (à envoyer à Enrico Monti, en spécifiant «Rilune» dans le sujet/objet de votre courriel)
Date limite articles : 30 novembre 2008

RiLUnE – Revue des Littératures de l'Union Européenne (www.rilune.org), ISSN 1827-7047
dir. Ruggero Campagnoli et Anna Soncini

Numéro monographique dirigé par Enrico Monti

RiLUnE n. 8 – La réception des idéogrammes dans la poésie européenne du début XXe siècle

Like nature, the Chinese words are alive and plastic,
because thing and action are not formally separated.
(Fenollosa/Pound 1920)

Le rêve : connaître une langue étrangère (étrange) et cependant
ne pas la comprendre... en un mot, descendre dans l'intraduisible.
(Barthes 1973)

Les premières descriptions systématiques de l'écriture chinoise paraissent en Europe à partir de la deuxième moitié du XVIe siècle et elles soulignent le caractère «universel» des idéogrammes ; dans ces derniers on entreverrait en effet la «naturalité» de la langue parfaite, la langue universelle prébabelique.

En 1920 Ezra Pound – qui à l'époque était l'un des intellectuels les plus influents en Europe – édite à Londres l'essai du philosophe américain Ernest Fenollosa (1853-1908), The Chinese Written Character as a Medium for Poetry : c'est pour Pound l'occasion d'attribuer aux idéogrammes chinois le statut de moyen poétique par excellence. Pound propose une sorte de réinterprétation poétique de l'idéogramme, réinterprétation qu'on retrouve aussi, sous des formes différentes, chez plusieurs poètes plus ou moins liés aux mouvements européens d'avant-garde. Comme de nombreux sinologues l'ont amplement démontré, il s'agit d'une déformation créative des caractères chinois, qui toutefois participe à jeter les bases d'un véritable ars poetica, une poétique de l'idéogramme.

La fascination pour l'idéogramme en poésie naît avant tout du désir de renouvellement du langage qui est typique des avant-gardes. On entrevoit dans l'idéogramme la possibilité de revenir à des formes primitives, pures, concrètes, aux mots «avec une âme» rêvés par Paul Claudel : les mots-objets dont le rapport avec les choses n'est pas arbitraire, mais graphiquement motivé. La leçon de Saussure sur l'arbitraire du signe date de ces mêmes années, mais Fenollosa et Pound voient dans cet arbitraire, et plus en général dans la forme abstraite et généralisante des langues occidentales, les causes profondes de l'anémie de la poésie moderne. Ensuite, c'est l'énorme versatilité combinatoire de l'idéogramme qui le rend particulièrement intéressant aux fins du langage poétique : en effet, ses mécanismes de juxtaposition font de chaque idéogramme composé une petite métaphore sous les yeux du lecteur. De plus, la langue chinoise semble présenter une nette majorité de verbes par rapport aux autres éléments grammaticaux et, en particulier, une nette majorité de verbes transitifs. Ceci est vue comme la «forme naturelle du langage» par Fenollosa, qui se démontre très critique aux égards de l'«immobilité» acquise des langues alphabétiques. Finalement, l'idéogramme pourrait fournir à la poésie la virulence intraduisible d'un langage qui contient «l'idée verbale d'action» et qui procède par accumulation et juxtaposition, «au-delà» des logiques abstraites des langues occidentales.

La fascination et l'expérimentation sur l'idéogramme trouvent de nombreuses réalisations dans l'oeuvre des poètes du début du siècle. D'un côté on découvre la magie de l'idéogramme en tant qu'écriture picturale, expression synthétique qui se colloque à moitié entre poésie et peinture. Il s'agit d'une fascination qui amène les poètes à insérer des véritables idéogrammes à l'intérieur de leurs poèmes, en les combinant avec les autres signes alphabétiques (c'est le cas de Pound, Paul Claudel, Victor Segalen et Henri Michaux). Plus loin dans cette même direction, l'aspect visuel des idéogrammes ouvre la voie à de différentes formes de poésie visuelle, voire des poèmes pensés pour être vus ainsi que lus (cf. Guillaume Apollinaire, Corrado Govoni et Christian Dotremont). D'un autre coté, et à un niveau d'abstraction majeur, les idéogrammes (et particulièrement le mécanisme des idéogrammes composés) sont à la base d'une véritable poétique, que Pound nomme «méthode idéogrammatique» et applique à la composition des ses poèmes. Cette méthode consiste à structurer le poème autour d'une série d'images et de faits juxtaposés, de manière à induire chez le lecteur une expérience qui se fait à travers l'accumulation des détails.

Le présent numéro monographique de RiLUnE se propose d'analyser, à plusieurs niveaux, l'influence d'une poétique de l'idéogramme dans la poésie européenne de la première moitié du XXe siècle. Dans un moment historique marqué par l'éclectisme et le cosmopolitisme, il n'est pas inusuel de retrouver des tendances partagées et une forte proximité expressive dans des langues et des pays différents. Au-delà de la figure de Pound, on peut penser aux réflexions de Claudel sur la «religion du signe» et sur les «idéogrammes occidentaux», aux calligrammes d'Apollinaire, aux parole in libertà de Marinetti, aux expérimentations de l'Ultraísmo et du Creacionismo espagnols, aux stèles de Segalen, aux idéogrammes de Michaux, aux logogrammes de Christian Dotremont, ou encore aux ramifications (d'origine européenne) des madrigaux idéographiques de José Tablada et de la poésie concrète avec Eugen Gomringer et Augusto de Campos. L'objectif du présent numéro est donc d'étudier la dimension européenne de la redécouverte de l'idéogramme, en invitant une réflexion capable d'explorer ses multiples implications à travers des ouvrages et des auteurs différents.

On propose ci-dessous quelque possible parcours analytique :

- Les effets de la «re-découverte» de l'idéogramme dans le langage poétique. Le besoin d'un rapport concret et primitif avec les choses et la redécouverte de la «poésie fossile» dans le langage.
- La déformation créative de la base idéogrammatique des caractères chinois et ses développements : si et comment la perspective linguistique européenne peut interférer et isoler/exalter/déformer certaines caractéristiques, entre exotisme et culte de l'étrange comme possibilité esthétique.
- L'influence de l'idéogramme dans la spatialité de l'écriture poétique : directionnalité et dynamisme («interne», dans les traits des idéogrammes, et « externes », dans les langues alphabétiques) ; lignes horizontales juxtaposée aux lignes verticales ; une nouvelle forme d'énergie du langage.
- Les implications syntactiques de la «méthode idéogrammatique» appliquée à l'écriture poétique : une écriture par juxtaposition et accumulation, «libérée» des contraintes de la grammaire et de la logique occidentale et plus attachée à «l'ordre naturel des choses», à la transitivité. La méthode est reprise par le cinéma notamment avec Sergei Eisenstein qui, dans un essai de 1929, célèbre l'idéogramme comme principe du montage.
- Une poétique visuelle : de l'imagisme à la poésie visuelle, la volonté d'un langage aux tons qui «vibrent sous les yeux» (Fenollosa). L'idéogramme en tant que élément de synthèse entre peinture et écriture, son intégration dans le texte poétique, en dialogue avec l'écriture alphabétique. La recherche d'une forme d'écriture artistique («calligrammatique») comme idéal «synthétique» de la poésie des avant-gardes.
- L'idéogramme et la poésie visuelle. D'«Un coup de dès» de Mallarmé aux expérimentations d'Apollinaire, du futurisme italien (Marinetti et Govoni) à la Vangardia espagnole (Vicente Huidobro) : l'idéogramme comme outil de dissolution du vers libre en direction des formes plastiques de la poésie visuelle. On remarque aussi l'évolution de la poésie visuelle du représentatif au conceptuel, du calligramme à l'analogia designata (représenter «le vol, non pas l'aéroplane», dit Francesco Meriano en 1916).
- La qualité métaphorique de l'idéogramme, notamment dans les idéogrammes composés qui mélangent et juxtaposent deux entités pour créer des nouvelles significations. Claudel parle d'une logique de la métaphore pour les langues idéogrammatiques et Fenollosa remarque que les idéogrammes «portent la métaphore visible en face».
- La fascination de l'étymologie comme prérogative de la poéticité et les étymologies poétiques encouragées par la tradition «étymorhétorique» (Jin 2002) de la poésie classique chinoise (voir, entre autres, Claudel, Fenollosa et Michaux).
- La réception de l'idéogramme comme réalisation du rêve de Roland Barthes, de «connaître une langue étrangère (étrange) et cependant ne pas la comprendre». La descente «dans l'intraduisible» comme expérience poétique et la dissolution du sens dans les expérimentations poético-pictoriques de Michaux et Dotremont.


PROPOSITION D'ARTICLES

Date limite d'envoi des propositions (400 mots) + bref cv : 10 juillet 2008
Date limite de remise des textes : 30 novembre 2008

Les articles pourront être rédigés dans une des langues suivantes : français, anglais, espagnol, italien et allemand. Ils devront en tout cas être accompagnés par un résumé en français et anglais (200 mots).
Tous les articles seront évalués par les membres du comité de rédaction de la revue.

Pour tout renseignement complémentaire ou pour proposer un article, contacter : Enrico Monti (en spécifiant «Rilune» dans le sujet/objet de votre courriel)

Quelques suggestions bibliographiques sont disponibles sur le site de RiLUnE : http://www.rilune.org

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Rilune 8 – The Reception of Ideograms in Early 20th Century European Poetry

Deadline for abstracts (400 words): July 10, 2008
Deadline for completed articles: November 30, 2008

RiLUnE – Review of Literatures of the European Union (www.rilune.org), ISSN 1827-7047
Directed by Ruggero Campagnoli and Anna Soncini

Monographic issue edited by Enrico Monti


Rilune 8 – The Reception of Ideograms in Early 20th Century European Poetry


Like nature, the Chinese words are alive and plastic,
because thing and action are not formally separated.
(Fenollosa/Pound 1920)

Le rêve : connaître une langue étrangère (étrange) et cependant
ne pas la comprendre... en un mot, descendre dans l'intraduisible.
(Barthes 1973)

The first coherent descriptions of the Chinese writing system appeared in Europe in the second half of the 16th century and they agreed on underlining the «universal» character of the ideograms, seen as embedding the «naturalness» of the perfect language, the universal prebabelic language.

In 1920 Ezra Pound, at the time one of the most influential intellectuals in Europe, published in London The Chinese Written Character as a Medium for Poetry, an essay of the American philosopher Ernest Fenollosa (1853-1908), where the ideogram is seen as the poetic medium par excellence. Pound codified with that essay a poetic revaluation of the ideogram which, in different forms, can be found at the time in several other poets' work, more or less connected to the European avant-gardes. As many sinologists have since demonstrated, it is a case of creative misunderstanding of Chinese characters, but nonetheless a productive one, since it laid the foundations of a true ars poetica, a poetics of the ideogram.

The fascination for ideogrammatic writing in poetry found its premises in the Avant-garde desire to renovate poetic language. Poets saw in the ideograms the possibility to resort to primitive, concrete forms, to the «words with a soul» dreamt by Paul Claudel: words-objects in which the relationship with the thing was not arbitrary, but graphically founded. Saussure's teachings on the arbitrary of the sign dated from those same years, but Fenollosa and Pound saw in the arbitrariness of sign and in the generalising abstractness of European languages the deep causes for the anaemia of modern poetry. Secondarily, what made Chinese characters look particularly fit for poetry was their combinatorial versatility, thanks to mechanisms of juxtaposition which may turn every compound ideogram into a visual metaphor before the eyes of the reader. A further privilege of Chinese language was perceived in its sheer prevalence of verbs (as opposed to other grammatical forms), and most notably of transitive verbs. This was the most natural form of poetry according to Fenollosa, who was deeply critical of the «static» quality acquired by alphabetic languages. Ultimately, ideogrammatic writing was seen as providing poetry with the untranslatable virulence of a language which carried in itself «a verbal idea of action» and proceeded by accumulation and juxtaposition, «beyond» the abstract logics of western languages.

The fascination and experimentation with ideograms found multiple realizations in the works of several early 20th century poets. On the one hand, the magic of the ideogram as a means of pictorial writing led these poets to include ideograms in their poems and combine them with alphabetic writings (e.g. Pound, Victor Segalen, Henri Michaux and Paul Claudel). Further on this same line, the visual aspect of ideograms opened the way towards different forms of visual poetry, that is poems conceived to be seen as much as read (e.g. Guillaume Apollinaire, Corrado Govoni and Christian Dotremont). On the other hand, and at a deeper level of exploration, ideograms (and particularly the mechanics of compound ideograms) inspired a true principle of poetics, which Pound named the «ideogrammic method» and applied to the syntactic construction of his poems. This method consisted in structuring a poem around a series of juxtaposed observable images or facts, thus inducing a poetic experience built out of accumulation.

This monographic issue of RiLUnE will analyse the multifaceted influence of a poetic of the ideogram in early 20th century European poetry. In an historical period characterised by eclecticism and cosmopolitism, it is not unusual to discover shared tendencies and a manifest proximity of experimentations throughout different languages and countries. Apart from Pound, we can think of Claudel's reflections on a «religion of the sign» and «western ideograms», Apollinaire's calligrammes, the Italian futurists' parole in libertà, the experiments of the Spanish Ultraísmo and Creacionismo, Segalen's steles, Michaux's ideograms, Christian Dotremont's logograms or further away, the offshoots (of European origins) of Jose Tablada's ideographic madrigals and the concrete poetry of Eugen Gomringer and Augusto de Campos. This issue aims to investigate the European roots of this peculiar rediscovery of the ideogram, gathering contributions which may explore the implications of this discovery across different authors and countries.

Some possible lines of analysis within the reception of the ideogram are:

- The effects of the «re-discovery» of the ideogram in poetic language. The need for a concrete and primal relationship with things and the rediscovery of the «fossil poetry» in language.
- The creative misunderstanding of the ideogrammatic basis of the Chinese characters and its developments: whether and how the Indo-European linguistic perspective may interfere with and isolate/emphasize/distort particular features of the language, between exoticism and cult of the foreigner as an aesthetic possibility.
- The influence of the ideogram on the spatiality of poetic writing: directionality and dynamism («internal» in the signs of the ideogram and «external» in alphabetical languages); horizontal signs versus vertical signs, a new form of energy within the language.
- The syntactic implications of an «ideogrammic method» applied to poetry: a form of writing by juxtaposition and accumulation, «free» from syntactical constraints and linked to the «natural order of things», i.e. transitivity. Incidentally, the method is paralleled in cinema by Sergei Eisenstein who, in a 1929 essay, celebrated the ideogram as a principle of cinematographic montage.
- Visual poetics: from Imagism to visual poetry, the search for a language of overtones «vibrating against the eye» (Fenollosa). The ideogram as a means of visual synthesis between painting and writing, and its integration in the poetic text, in dialogue with alphabetical writing. The search for a form of artistic writing (i.e. calligrammatic) as an expression of the «synthetic» ideal of avant-garde poetry.
- The ideogrammatic roots of visual poetry. From Mallarmé's «Un Coup de dès» to Apollinaire's Calligrammes, from Italian futurism (Marinetti and Govoni) to the Spanish Vanguardia (Vicente Huidobro): the ideogram as a tool to dissolve the free verse into the plastic forms of visual poetry. Note also the evolution of visual poetry from representative to conceptual, from calligrammes to analogia disegnata (Francesco Meriano exhorted to represent «the flight, not the aeroplane» in 1916).
- The metaphorical quality of the ideogram, especially in compound ideograms, where two things or ideas are combined and juxtaposed to conjure up new meanings. Claudel speaks of a metaphorical logic for ideogrammatic languages and Fenollosa remarked how such a language «bears its metaphor on its face».
- The fascination for etymology as a prerogative of poetry and the license of poetic etymologies possibly encouraged by the «etymorhetoric» (Jin 2002) tradition of classical Chinese poetry (see, among others, Claudel, Fenollosa and Michaux).
- The reception of the ideogram as a realization of Roland Barthes' dream of «knowing a language without understanding it»: the descent to the «untranslatable» as a poetic experience, leading to the dissolution of meaning in Michaux's and Dotremont's picto-poetic experimentations.


SUBMISSIONS

Deadline for abstracts (400 words) plus a brief cv: July 10, 2008
Deadline for completed articles: November 30, 2008

Articles may be written in one of the following languages: English, French, Spanish, Italian and German. Two abstracts in English and French (200 words each) should accompany each submission.
All submission shall be peer-reviewed by the members of Rilune editorial board. 

Address your inquiries and submissions to:
Enrico Monti (identifying “Rilune” in the subject line)

Some bibliographical references are available on the RiLUnE website: http://www.rilune.org