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Rhétoriques des arts, XVIII: L'inversion

Rhétoriques des arts, XVIII: L'inversion

Publié le par Bérenger Boulay (Source : Bertrand Rougé)

Rhétoriques des arts, XVIII : L'inversion

CICADA (EA 1922)

Université de Pau - 15-17 janvier 2009. [Salle non communiquée]


JEUDI 15 JANVIER

APRÈS-MIDI (Président: Jean LANCRI)
14h30: Jean-Gérard LAPACHERIE (Université de Pau)
“L'inversion entre grammaire et rhétorique”
15h15: Tania VLADOVA (Centre Allemand d'Histoire de l'Art, Paris)
“Inversion, point de vue et singularité”
16h00: Bruno-Nassim ABOUDRAR (Université Paris 3)
“Voile vs nu vs drapé”
16h45: Pause
17h00: Jean ARROUYE (Université de Provence)
“Inversion et bande dessinée”
17h45: Dominique CHATEAU (Université Paris 1)
“Logique de l'inversion et discours philosophique (antinomie et dialectique)”

VENDREDI 16 JANVIER

MATIN (Président: Jean ARROUYE)
8h30: Laurence CONSTANTY (Université Toulouse 3)
“Gravir, graver et inverser: voyage à travers l'écriture de John Ruskin”
9h15: Marie-Dominique POPELARD (Université Paris 3)
“L'envers vaut l'endroit”
10h00: Pause
10h15: François JEUNE (Université Paris 8)
“ESSITAM : l'inversion du temps dans la peinture”
11h00: Ronald SHUSTERMAN (Université Montpellier 3)
“L'inversion : logiques et esthétiques des sens”

APRÈS-MIDI (Présidente: Marie-Pierre GAVIANO)
14h00: Pierre-Henry FRANGNE (Université Rennes 2)
“L'inversion artistique ou ‘le plaisir à regarder les images les plus soignées des
choses dont la vue nous est pénible dans la réalité”
15h30: Suzanne LIANDRAT-GUIGUES (Université Lille 3)
“Le devenir d'une inversion (L'argent. Robert Bresson, 1983)”
16h15: Pause
16h30: Filippo FIMIANI (Università di Salerno)
“A la rencontre du contre. Anti-images et anti-mémoires du témoignage”
17h15: Bernard LAFARGUE (Université Bordeaux 3)
“L'inversion, retour mélancolique au présumé même ou jeu de l'autre en soi-même?”

SAMEDI 17 JANVIER

MATIN (Président: Pierre-Henry FRANGNE)
9h00: Bertrand ROUGÉ (Université de Pau)
“Figuration et mouvement d'inversion”
9h45: Bertrand PRÉVOST (Université Paris 1)
“Inverser-traverser. L'irréversible image”
10h30: Pause
10h45: Marie-Pierre GAVIANO (Université de Besançon)
“Voir à l'envers : artifice ou méthode ?”

APRÈS-MIDI (Présidente: Suzanne LIANDRAT-GUIGUES)
14h00: Gilles CABANES (Université de Pau)
“Musique mixte et inversions”
14h45: Jean-Louis LEUTRAT (Université Paris 3)
“Pourquoi Godard a-t-il retourné le Noli me tangere de Giotto?”
15h30: Pause
15h45: Jean LANCRI (Université Paris 1)
“Inversions et double renversement chez Paul Klee”
16h30: Jean-Pierre COMETTI (Université de Provence)
“Logiques de l'inversion”
17h15: Débat


L'INVERSION

Qu'est-ce qui se joue de fondamental dans le simple geste d'inverser? Qu'est-ce qui relie inversion et création? En quoi l'inversion — une forme de la répétition ? — peut-elle être considérée comme un des gestes premiers de l'art ou de la production de sens, comme un processus élémentaire et fondamental de la pensée créatrice ?

De fait, l'inversion est au fondement des pratiques et techniques artistiques les plus diverses. Les «symétries inversées» relevées par Boas (Primitive Art), les inversions analysées par Lévi-Strauss (La voie des masques) en seraient des exemples «premiers», de même que les écritures en boustrophédon. L'anastrophe, comme les anagrammes en miroir ou l'hystérologie, applique ce procédé rhétorique et artistique «fondamental» (Dupriez). Le simple choix d'inverser l'ordre usuel d'une séquence de lettres, de mots, de sons, d'images, de gestes, etc, mais aussi bien de tout type de surface ou d'espace, est porteur de sens et d'effets esthétiques liés à la surprise, au décalage, au bouleversement des usages perceptifs. Songeons à un film ou un enregistrement passés à l'envers, à certains plans tête en bas chez Bergman, aux gestes inversés de telle chorégraphie, au contrepoint renversable. L'inversion peut endosser ou incarner des significations diverses (critiques ou politiques avec le monde renversé carnavalesque ou la révolution qui inversent haut et bas), mais aussi produire un effet ou une fiction d'accident (idéologiquement ou poïétiquement valorisés dans l'art moderne comme renversement des valeurs de la beauté ordonnée). Quoi qu'il en soit, demeure la question (dialectique?) de ce qui, du désordre, du chaos ou d'un ordre autre, voire supérieur, ressort de l'inversion d'un ordre donné.

Autant que son résultat, le processus de l'inversion nous arrêtera, opération spécifique de disjonction/conjonction que l'on peut repérer dans le conte, le mythe, maintes autres formes de création humaine et qui peut constituer un mode de liaison ou de structuration associant des éléments apparemment disparates dans la forme achevée. En outre, depuis les mains négatives, le processus d'inversion positif/négatif ou gauche/droite caractérise bien des démarches et techniques artistiques—images gravées et imprimées, empreintes, reflets, moulages, photographie—et il devient un élément majeur, voire un objet privilégié, de la pensée artistique. Il s'impose parfois au spectateur et remet en cause ses habitudes de lecture. Il est aussi souvent associé à un phénomène de révélation (propre à l'image ou à la représentation conçues comme inversion ou reflet ?). Et si le renversement du tableau révèle certaines images d'Arcimboldo, il révéla aussi l'abstraction à Kandinsky. L'inversion vaut nouveauté et devient un opérateur de modernité, autant que de création : la figuration défigure et se fait abstraite, l'urinoir renversé devient Fountain, illustrant (comme le jeu surréaliste de « l'un dans l'autre ») la pratique du contrepied moderne, lui-même héritier de la baroque dynamique des contraires.

Doublée et croisée, l'inversion est au principe du chiasme, et touche ainsi, au-delà du simple procédé rhétorique ou formel, à la topologie, à la phénoménologie et à la structuration de l'espace, au rapport du même et de l'autre et de l'homme au monde. On pourra donc s'interroger sur le rôle de l'inversion dans toutes les formes artistiques du chiasme, mais aussi sur ces notions connexes de l'inversion que sont le réversible et la réversibilité : ainsi, en quoi l'oeuvre d'art fonctionne-t-elle comme lieu d'inversions ou de réversibilités (par exemple, de la création en réception, de l'inscription en adresse, de l'expression en affects, de l'usage en mésusage, etc.) — mais aussi bien de leur mise en scène réflexive ?

On interrogera aussi les enjeux de telles inversions, la nature du basculement qu'elles opèrent (vers quel autre monde ou quelle autre dimension qui vaudrait le pari de ce geste artistique ; comment faire ou (re)présenter les choses à l'envers donne accès à un imaginaire «envers des choses»). On se demandera quels sont les éventuels opérateurs ou adjuvants d'inversion (dans les cas ou cette inversion serait un processus complexe). On pourra également interroger cette ligne d'inflexion qui parfois définit le moment (ou le pli) de l'inversion — par exemple, quand celle-ci, à l'image du renversement de la marée, est un processus qui se déroule dans le temps. En quoi l'inversion est-elle la marque ou l'occasion d'une réflexivité ? un moment dialectique ? une manifestation de la pensée à l'oeuvre dans l'art ?

Enfin, on se demandera de quelles manières l'inversion peut être ce qui, autorisant un nouveau regard (inverse ?) au sein d'un espace ordonné et sur lui, produit ce lieu réel et critique hors normes, cet envers réflexif que Foucault appela hétérotopie—et dont l'art (ou l'oeuvre d'art) pourrait être un cas exemplaire.