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Voyages en théories (Revue ELFe XX-XXI)

Voyages en théories (Revue ELFe XX-XXI)

Publié le par Emilien Sermier (Source : Sabrina Parent)

Revue ELFe XX-XXI

(Revue de la Société d’études de la littérature française du XXe siècle)

Appel à contribution pour le numéro 4

« Voyages en théories »

 

(Coordination : Sabrina Parent, Anne Douaire, Romuald Fonkoua)

 

Les littératures francophones invitent naturellement à repenser le « fait littéraire » (qu’il s’agisse de ses production, réception, diffusion, institutionnalisation ou historiographie) hors du cadre strictement national. La discussion sur ce sujet est en pleine ébullition, comme en témoigne, par exemple, un dossier récent d’Acta Fabula intitulé « Anywhere out of the nation »1. C’est dans ce contexte stimulant que le quatrième numéro de la revue de la Société d’Études de la littérature française du xxe siècle encourage ses contributeurs à s’interroger sur les phénomènes de type « osmotique » —transferts et échanges— opérant entre champs littéraires français et « francophones », du Nord comme du Sud2.

Ayant à l’esprit le concept de « théories voyageuses »3 d’Edward W. Saïd, les transferts et échanges auxquels ce numéro de revue s’intéresse sont tout d’abord d’ordre méthodologique et/ou théorique. Ainsi, l’on se demandera ce que des méthodes et théories initialement mises au point sur des corpus occidentaux exigent comme adaptations pour fonctionner de façon pertinente sur d’autres types de corpus. Autrement dit : comment certains ensembles de textes, en résistant à telle approche méthodologique ou à tel concept théorique, permettent-ils de mettre en question, d’affiner ou de rendre caducs les outils d’analyse ? Remettent-ils éventuellement en question la portée dite « universelle » de l’approche ou du concept, voire le concept d’universalité lui-même ? C’est l’alternative posée par Edouard Glissant notamment entre universalité et diversalité. Un tel questionnement peut concerner, par exemple, des disciplines et approches théoriques aussi diverses que l’histoire littéraire, la sociologie de la littérature, la génétique textuelle, la critique féministe, l’approche psychanalytique ou se poser en regard de concepts tels que ceux de « littérature », « modernité littéraire », « autofiction », « ethos discursif », etc.

Le questionnement est aussi à envisager sous un angle complémentaire : les méthodologies et outils théoriques généralement employés pour les littératures « francophones » ne sont-ils adéquats que pour ces corpus spécifiques ? Ainsi —et pour n’envisager dans cet exemple que les francophonies concernées par la colonisation—, si avec Achille Mbembe, l’on définit la « postcolonie » comme l’ensemble des « sociétés récemment sorties de l’expérience que fut la colonisation »4, l’on ne voit pas pourquoi les théories postcoloniales, en dépit de la réticence voire de l’opposition qu’elles ont majoritairement provoquées en France5 comme en Belgique, ne pourraient avoir comme objet la littérature de ces anciennes puissances coloniales. En tout cas, d’un point de vue heuristique, l’on ne peut que souhaiter le développement d’analyses réflexives portant sur l’impact de la colonisation —passé ou actuel, conscient ou larvé— sur les mentalités des sociétés colonisatrices et des individus qui les constituent. Ce genre de perspective permet sans aucun doute un travail autocritique et une remise en question salutaires tels que les encourage, par exemple, l’historien Pascal Blanchard6 ou le philosophe Jérémie Piolat7

Dans la même veine, en partant du constat que les littératures en provenance des anciennes régions colonisées ont souvent été décriées sous prétexte qu’il s’agissait d’une littérature « engagée », de « combat » (Fanon) et revendicative, l’on peut toutefois émettre l’hypothèse que c’est en partie grâce à cette littérature que le souci éthique et politique est revenu en force dans les études littéraires françaises et ce, après que la vague des avant-gardes formalistes s’est épuisée8.  En réalité, comment l’histoire littéraire française subit-elle la poussée de ce corpus « francophone » ? Ou plus généralement : comment s’écrirait une histoire littéraire aujourd’hui qui tiendrait compte de la dimension transnationale qu’impose l’espace francophone, que celui-ci soit européen ou « d’implantation »9.

Si le bénéfice de la démarche qui consiste à combiner des corpus « français » et « francophones » (Panaïté, Bruyère) pour penser de nouvelles formes de l’historiographie littéraire est indéniable, l’on peut aussi s’interroger, dans une optique relevant davantage de l’analyse formelle, sur les types de fonctionnements affinitaires ou les interprétations inédites qui seraient constatés lorsque des corpus « mixtes » sont mis en co-présence : Kourouma, Tremblay et Céline, par exemple, pour les marques d’oralité.

C’est à un décloisement théorique et méthodologique que ce numéro invite, de nature réflexive mais aussi pratique. En effet, nous accueillerons favorablement des propositions concrètes ayant trait aux transferts et échanges, à leurs conséquences et enjeux, dans les domaines aussi variés que le monde de l’édition (politiques de publication, de diffusion et de traduction), l’enseignement (intitulés et programmes des cours du secondaire à l’université), la recherche, les institutions littéraires (Académies, Prix), et ce, dans les diverses zones du monde où le français se parle.

En résumé, le dialogue que nous voulons engager entre (1) littératures francophones (Nord/Sud), (2) littérature française et (3) théories/méthodologies concerne les sphères disciplinaires ci-dessous, le relevé n’en étant pas exhaustif :

- l’histoire de la littérature : quels critères originaux seraient à même de rendre compte de la mondialisation des lettres écrites en français et, corollairement, de la sortie des lettres françaises stricto sensu de l’étreinte nationale ?

- la philosophie : comment la prise en compte des interrogations philosophiques contemporaines permet-il de comprendre les nouveaux corpus littéraires (l’exemple des thèses de Rancière —sur le politique— ou d’Agamben —sur la biopolitique— pourrait servir de base de réflexion) ? ;

- la sociologie : comment les théories bourdieusiennes ont-elles été appréhendées dans les études des francophonies littéraires (Afrique Antilles, Caraïbes, Québec, Belgique, etc.), permettant l’éventuelle inscription d’une « spécificité théorique » ? ;

- le féminisme : quelles résistances les textes francophones opposent-ils à l’approche féministe occidentale ?

- l’esthétique : quel statut les textes francophones visent-ils ou acquièrent-ils ? Ainsi l’opposition de Miller entre Nationalistes et Nomades pourrait être intéressante à considérer si, plutôt que de l’enfermer dans une dimension politique radicale (revendication/défense d’une partie/nation contre l’extérieur), on la ramenait à une interrogation sur le littéraire lui-même ;

- la critique génétique : quels nouveaux problèmes les archives d’écrivains francophones mises récemment à la disposition des chercheurs posent-ils éventuellement à la recherche dans le domaine ?

Merci de bien vouloir adresser vos propositions (25-30 lignes) accompagnées d’une courte notice bio-bibliographique (5-10 lignes) pour le 10 décembre 2013 à Sabrina Parent (sabrina.parent@gmail.com). Les contributeurs sélectionnés seront avertis au plus tard le 30 décembre et s’engagent à remettre l’article définitif pour le 30 mars 2014.

 

Notes:

1 « Anywhere out of the nation », Acta Fabula, vol. 14, n° 1, janvier 2013. URL : http://www.fabula.org/revue/sommaire7410.php, page consultée le 24 septembre 2013.

2 Pour reprendre la terminologie de François Provenzano dans Historiographies périphériques, Bruxelles, Académie Royale de Belgique, 2011.

3 Said, E.W., « Travelling Theory », in The World, the Text, and the Critic, Cambridge, Harvard University Press, 1983 ; Said, E. W., « Retour sur la théorie voyageuse », in Réflexions sur l’exil et autres essais, Arles, Actes Sud, 2008.

4 Achille Mbembe, De la postcolonie. Essai sur l’imagination politique dans l’Afrique contemporaine, Paris, Karthala, 2000, p. 139.

5 À tort, soit par conservatisme la plupart du temps, mais aussi parfois à raison, comme nous en convainc Jean-François Bayart dans Les Études postcoloniales. Un carnaval académique, Paris, Karthala, 2010.

6 Dans un entretien figurant dans le documentaire d’Arnaud Ngatcha, Noirs, l’identité au cœur de la question, France 5/France 3/Arno Production/Tabo Tabo film, 2006.

7 Portrait du colonialiste, La Découverte, 2011.

8 Dans un article où il s’interroge sur la fin du vingtième siècle dans le champ littéraire français, Dominique Viart pose l’hypothèse d’un « court » vingtième siècle « formaliste » (de 1913-24 à la fin des années ’70- début ’80). Cfr. Dominique Viart, « Historicité de la littérature : la fin d’un siècle littéraire », ELFe xx-xxi. Quand finit le xxe siècle ?, n° 2, octobre 2012, 93-126.

9 Jean-Marc Moura, Littératures francophones et théorie postcoloniale, P.U.F., 1999 [2013].