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Revue de Littérature Comparée 344, n°4, 2012 :

Revue de Littérature Comparée 344, n°4, 2012 : "Partages de l'Antiquité. Les classiques grecs et latins et la littérature mondiale"

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Véronique Gély)

Revue de Littérature Comparée 344, n°4, 2012 : "Partages de l'Antiquité. Les classiques grecs et latins et la littérature mondiale"

Sous la direction de Véronique Gély

Paris : Editions Klincksieck, 2013.

ISSN:00351466.

136p.

Prix : 20EUR

 

Introduction

Partages de l'Antiquité : un paradigme pour le comparatisme, par Véronique Gély

Articles

Daniel-Henri Pageaux • Permanence et métamorphoses de la culture classique au Nouveau Monde

Elena Langlais et Claudine Le Blanc • Conflit de classiques, et au-delà : déterritorialisations indiennes des classiques grecs et latins (M.M. Dutt, Meghnâdbadh Kâbya ; Aurobindo, Love and Death, Ilion, Perseus the Deliverer)

Alexis Tadié • La littérature classique selon Salman Rushdie

Véronique Porra • Sur quelques Orphée noirs. Reproduction, adaptation et hybridation du mythe d'Orphée en contexte post(-)colonial

Patrice D. Rankine • Black is, black ain’t: Classical Reception and Nothingness in Ralph Ellison, Derek Walcott, Wole Soyinka

Virginie Soubrier • Une nouvelle Renaissance ? Les auteurs dramatiques postcoloniaux et l’héritage grec au tournant du XXIe siècle

Kevin J. Wetmore, Jr. • Black Skin, Greek Masks: Classical Receptions, Race Reception, and African-American Identity on the Tragic Stage

Crystel Pinçonnat • Le complexe d’Antigone. Relectures féministes et postcoloniales du scénario œdipien

Résumés

Abstracts

Table annuelle

 

Résumés

Véronique Gély, Introduction : « Partages de l’Antiquité : un paradigme pour le comparatisme », RLC 344, n°4, octobre-décembre 2012, p.387-395.

La crise de l’humanisme, les études postcoloniales et les études de genre ont convergé pour déconstruire l’«  incomparable  » exemplarité des Anciens grecs et latins, et l’idée que l’Europe ou l’Occident seraient leurs héritiers privilégiés. En les défamiliarisant et en les déterritorialisant, elles ont fait d’eux des cas d’école pour l’épistémologie du comparatisme. Elles conduisent à repenser la valeur d’universalité auparavant associée aux «  mythes  » et aux « classiques », et à proposer de fonder le comparatisme sur la notion de partage, dans ses deux acceptions : séparation et répartition.

Daniel-Henri Pageaux, « Permanence et métamorphoses de la culture classique au Nouveau Monde », RLC 344, n°4, octobre-décembre 2012, p.397-410.

La présence des lettres et de la culture classiques n’intéresse pas seulement les siècles «  coloniaux  » pendant lesquels l’usage du latin et dans une moindre mesure le grec se manifeste dans l’enseignement et en poésie, épique ou lyrique. L’abondance des références classiques, en particulier mythologiques, illustre un état de dépendance culturelle par rapport à l’ancien monde. Mais cette situation se poursuit au long du XIXe siècle, avec la persistance d’une tradition «  néo-classique  », en particulier en poésie, et elle survit au XXe siècle dans l’imaginaire de certains écrivains. Ont été retenus Alfonso Reyes, nourri de culture hellénique, Alejo Carpentier et Jorge Luis Borges. La permanence d’une tradition humaniste est donc évidente, mais elle n’exclut évidemment ni les altérations ni les métamorphoses.

Elena Langlais et Claudine Le Blanc, « Conflit de classiques, et au-delà : déterritorialisations indiennes des classiques grecs et latins (M.M.Dutt, Meghnâdbadh Kâbya ; Aurobindo, Love and Death, Ilion, Perseus the Deliverer) », RLC 344, n°4, octobre-décembre 2012, p.411-427.

Pourquoi avoir recours aux classiques grecs et latins quand on dispose de ses propres classiques  ? Comme le révèle de façon exemplaire l’œuvre de Michael Madhusudan Dutt et de Sri Aurobindo, l’usage des classiques gréco-latins dans l’Inde sous domination britannique a donné lieu à une confrontation complexe avec les classiques indiens. Par-delà le geste d’appropriation du patrimoine du vainqueur qu’ils partagent avec d’autres sujets des empires coloniaux européens, Dutt et Aurobindo mettent en œuvre une écriture à double détermination dont la visée est une comparaison critique, mais aussi un dépassement des déterminations.

Alexis Tadié, « La littérature classique selon Salman Rushdie », RLC 344, n°4, octobre-décembre 2012, p.429-440.

Cet article se penche sur l’utilisation par Salman Rushdie de références à la littérature classique dans ses romans, afin d’explorer le rôle que peuvent jouer les références classiques dans la littérature postcoloniale. Apulée, Ovide, Lucrèce sont de fait d’importants points de passage dans Les Versets sataniques ainsi que dans La Terre sous ses pieds. C’est le pouvoir régénérateur des mythes, leur capacité à interpréter le monde contemporain qui apparaît ici. Mais c’est aussi un rapport à l’histoire et au temps, à l’Empire, que l’utilisation de la référence classique permet de repenser. C’est enfin la plasticité protéenne des mythes anciens qui les rend essentiels.

Véronique Porra, « Sur quelques Orphée noirs. Reproduction, adaptation et hybridation du mythe d’Orphée en contexte post(-)colonial », RLC 344, n°4, octobre-décembre 2012, p.441-455.

Le texte de Jean-Paul Sartre «  Orphée noir  » [1948] ouvre et marque de son empreinte l’adaptation du mythe d’Orphée comme grille de lecture de l’émergence et de la célébration des voix poétiques «  nègres  ». Ainsi le film Orfeu negro [1959] de Marcel Camus, qui transpose ce motif dans le Rio des années 1950, est-il très éloigné du traitement du mythe dans la pièce de Vinicius de Moraes Orfeu da Conceição [1953/56] dont il prétend s’inspirer. Le placage sur le contexte brésilien de la structure binaire élaborée par Sartre pour expliquer la prise de parole de la négritude, crée un décalage que Carlos Diegues tentera, en 1999, de corriger dans son film Orfeu. De leur côté, des auteurs africains livreront, à partir des années 1970, des œuvres dans lesquelles ils procèderont à une appropriation du mythe antique. Le roman Orphée Dafric [1981] de l’auteur camerounaise Werewere Liking livre une illustration des procédés d’hybridation caractéristiques des esthétiques postcoloniales, avec tout ce que cela implique de déconstruction du récit mythique initial.

Patrice D. Rankine, « Black is, black ain’t : la réception des classiques et le néant chez Ralph Ellison, Derek Walcott et Wole Soyinka » (in English), RLC 344, n°4, octobre-décembre 2012, p.457-474.

L’association de l’Europe avec la lumière et de l’Afrique avec l’obscurité est tellement ancrée dans la pensée occidentale qu’elle a acquis une forme de pérennité ontologique. Dès lors que l’on évoque des personnes d’origine africaine, le fait d’imposer ce type d’images sur la description de corps leur donne une forme d’existence. L’une des façons dont les auteurs postcoloniaux se sont confrontés à la modernité occidentale est de faire retour vers certains aspects de l’Antiquité classique, parfois présents, bien que refoulés, qui perturbent la dichotomie rassurante entre lumière et obscurité, bien et mal, blanc et noir. Fondé sur une analyse philosophique en profondeur de l’ontologie heidegerrienne de Levinas, cet article examine la façon dont Ralph Ellison, Wole Soyinka et Derek Walcott se penchent sur les points sensibles de la tradition classique occidentale pour en extraire du sens. Ce sont, respectivement, les enfers virgiliens sombres, mais créatifs, le chaos générateur de Dionysos, l’Ogun de Soyinka, et le désordre constructif des ruines antiques, qui sont comme la mer. Ceci n’implique pas que chaque auteur soit noir, du point de vue de son identité sociale, mais plutôt que «  l’obscurité de la lumière  » constitue une réponse phénoménologique au chaos et à l’ordre, à la nation et à la signification artistique.

Virginie Soubrier, « Une nouvelle Renaissance ? Les auteurs dramatiques postcoloniauxet l’héritage grec au tournant du XXIe siècle », RLC 344, n°4, octobre-décembre 2012, p.475-486.

Dans la lignée du congolais Sony Labou Tansi (1947-1995) qui exprimait au début des années 1980 son refus de «  fouiller dans le culte de Dionysos  », les auteurs de théâtre postcoloniaux, au tournant du XXIe siècle, ont définitivement rompu avec les modèles occidentaux, avec l’héritage grec en particulier. Leurs écritures, nourries d’inspirations multiples, participent à l’émergence d’une nouvelle Renaissance où la tragédie grecque entre désormais en résonance avec le jazz.

Kevin J. Wetmore, Jr., « Peau noire, masques grecs : les réceptions des classiques, la réception de la race et l’identité afro-américaine sur la scène tragique » (in English), RLC 344, n°4, octobre-décembre 2012, p.487-493.

La diaspora africaine privilégie deux types d’approches vis-à-vis des textes de l’Antiquité  : l’adaptation textuelle ou le casting non-traditionnel. Cette dernière fut ignorée par la critique canonique, mais apparut dans les débats au sein du théâtre américain. En proposant un débat sur les castings qui ne tiennent pas compte de la couleur de la peau, et en reprenant les idées de Fanon à propos du «  jouer blanc  » dans la culture africaine, cet article explore brièvement la façon dont le casting d’acteurs de couleur pour jouer dans des tragédies grecques efface l’ethnicité, ou alors utilise cette ethnicité pour mettre au premier plan des questions de politique, de pouvoir et de race.

Crystel Pinçonnat, « Le complexe d’Antigone. Relectures féministes et postcoloniales du scénario œdipien », RLC 344, n°4, octobre-décembre 2012, p.495-509.

«  Que serait-il arrivé si la psychanalyse avait pris Antigone et non Œdipe pour point de départ  ?  », écrit Judith Butler dans Antigone  : la parenté entre vie et mort (Antigone’s Claim  : Kinship between Life & Death, 2000). À partir de cette réflexion, on tente aujourd’hui de repenser l’architecture freudienne du drame œdipien pour privilégier en son sein la figure d’Antigone et inverser la tendance historique qui, depuis la fin du XVIIIe et le début du XIXe siècle, a voulu, selon George Steiner, qu’«  Œdipe supplante Antigone.  » L’article poursuit ce travail de révision et propose une lecture de certains textes d’Assia Djebar, de Linda Lê et de Zahia Rahmani, romancières d’expression française dont l’imaginaire est puissamment marqué du sceau de la colonisation. L’œuvre de chacune est hantée par le complexe d’Antigone  ; il donne corps à une condition historique aux retombées familiales tragiques.