Revue
Nouvelle parution
Revue d'histoire littéraire de la France, avril-juin 2005, n°2

Revue d'histoire littéraire de la France, avril-juin 2005, n°2

Publié le par Jean-Louis Jeannelle (Source : PUF)


LITTÉRATURE ET DÉMOCRATIE

MARC FUMAROLI, FRANÇOISE MÉLONIO, JOSEPH JURT, Michel. AUTRAND, Jérôme THÉLOT, Fritz NIES, Nelly WOLF

FLORENCE MAGNOT-OGILVY

L'économie de l'amitié dans la seconde partie des Confessions de J.-J. Rousseau : étude d'un fonctionnement du système du don

ANNE VIBERT

Fontanier : autour et au-delà La rhétorique dans le premier tiers du XIXe siècle

MATHILDE BERTRAND

Du « barbare à sensations » au « dilettante d'architecture ». Proseet poésie dans l'ouvre de Jules Barbey d'Aurevilly et de Marcel Proust.


RÉSUMÉS


« Une sorte de Pascal politique » : Tocqueville et la littérature démocratique

On a souvent souligné combien l'oeuvre de Tocqueville ouvrait, aprèscelle de Montes­quieu, la voie à la sociologie. Elle est ici analyséedans son rapport aux moralistes du XVIIe siècle, dont Tocqueville faisait une de ses lectures favorites. De la Démocratie en Amériquemet en évidence les « contrariétés » des hommes démocratiques, livrés àl'incohérente activité de leurs désirs, mais capables de sublime. À ceshommes dont le goût se porte naturellement vers une littératureindustrielle, vers l'outrance et le vague de la pensée, Tocquevillepropose un essai qui renoue avec l'écriture des moralistes par ladistance ironique et paradoxale qu'il prend avec le monde qu'ilobserve. La tradition moraliste est ainsi mise au service de l'artd'accommoder les démocraties.

FRANÇOISE MÉLONIO.

Guillaume Tell dans la tradition francophone

En Suisse, la figure de Guillaume Tell représentait la conscience desoi des confédérés et elle incarnait tous les opprimés. Dans latragédie de Samuel Henzi primitivement intitulée Grisler ou l'Helvétie délivrée (1748),le protagoniste, figure du despote, s'oppose à Guillaume Tell ; quandla tyrannie est renversée, celui-ci proclame un programme républicainreposant sur l'égalité devant la loi. Tragédie encore, ou « piècerépublicaine » (Laharpe), le Guillaume Tell d'Antoine-MarinLemierre (1766) exalte la simplicité vertueuse des habitants desmontagnes, et Guillaume y apparaît entouré des confédérés. Quand, sousla Révolution, Guillaume rejoint Brutus au panthéon républicain, lapièce de Lemierre, fraîchement accueillie à sa sortie, connaît unregain de succès. Schiller, à son tour, lie dans son Wilhelm Telll'idée de la liberté suisse à une nature sublime, fidèle aux récits devoyage de l'époque ; mais sa pièce, réagissant contre la récupérationde la figure de Guillaume par les Jacobins, célèbre d'abord unecommunauté reposant sur la fraternité et relayant un ancien modèlesocial dominé par la figure du Père.

JOSEPH JURT.

L'économie de l'amitié dans la seconde partie des Confessions de J.-J. Rousseau : étude d'un dysfonctionnement du système du don

L'article examine les relations entre le discours moral et le discours économique dans la seconde partie des Confessionspour mettre en évidence le schéma marchand que met en oeuvre Rousseaupour dire l'amitié. Au-delà d'un usage métaphorique du discourséconomique, c'est la relation économique elle-même qui apparaît commeune solution possible au problème douloureux de trouver une relationamicale satisfaisante. Il ressort de l'analyse conjointe desvocabulaires économique et moral que le texte des Confessionstémoigne d'un refus radical du déséquilibre et de l'indéterminationimpliqués par la situation de dette en affirmant une exigence desymétrie entre les deux partenaires de la relation. La tentative dereplier le don amical sur un rapport marchand à somme nulle se soldecependant par un échec, le marché étant lui aussi marqué par une partd'indétermination et d'obscurité.

FLORENCE MAGNOT-OGILVY.

Fontanier : autour et au-delà. La rhétorique dans le premier tiers du XIXe siècle

Si le Manuel classique pour l'étude des Tropes de Pierre Fontanier apu être présenté par Gérard Genette comme l'«aboutissement le plusreprésentatif et le plus achevé » de la rhétorique classique, unemeilleure connaissance de l'histoire de la rhétorique nous permetdésormais de lui restituer une place beaucoup plus marginale. Lepremier tiers du XIXe siècle connaît en effet une véritable renaissancede la rhétorique — restaurée dans toute son extension — et avec elle del'éloquence qui retrouve un rôle actif dans la cité. Tandis que lemanuel de Fontanier entendait proposer « une vraie Théorie des Tropes »et non former à l'art oratoire, d'autres manuels, plusreprésentatifs de leur époque, sont en quête de nouveaux modèles pourles orateurs. On assiste alors à la naissance d'une nouvelle éloquencefondée sur l'improvisation, qui mobilise les ressources de l'inventionet de la disposition plutôt que celles de l'élocution.

ANNE VIBERT.

Prose et poésie dans l'oeuvre de Jules Barbey d'Aurevilly et de Marcel Proust

Tout occupé à signifier le mystère essentiel et l'opacité du réel, le roman, chez Jules Barbey d'Aurevillycomme chez Marcel Proust, est le lieu indécis d'une confrontation entrela poésie et le récit. Ainsi, quand la prose romanesque de Barbeyprétend porter le deuil du poème pendu, la Recherche orchestreavec bonheur, au contraire, une unité retrouvée. Chez Proust, roman etrecueil se confondent, prose et poésie se rejoignent et la questionmétaphysique trouve une réponse esthétique. Aux fondrières (en fait defondations) sur lesquelles le « barbare à sensations » qu'est Barbey abâti l'édifice jésuitique d'une oeuvre dont le catholicismea souvent éveillé le soupçon, peut alors succéder la « cathédrale »immense élevée à la gloire de la littérature par le « dilettanted'architecture » qui fonde notre modernité.

MATHILDE BERTRAND