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Revue d’Études proustiennes, n° 8 :

Revue d’Études proustiennes, n° 8 : "Marcel Proust et le récit bref"

Publié le par Marc Escola (Source : Stéphanie Fonvielle)

Référence bibliographique : Revue d’Etudes proustiennes – n° 8: "Marcel Proust et le récit bref", Classiques Garnier, Revue d'études proustiennes (L. Fraisse dir.), 2016.

 

Appel à contribution pour la Revue d’Études proustiennes – n° 8

Marcel Proust et le récit bref.

La collocation récit bref désigne usuellement les fragments narratifs, comme les anecdotes, microrécits ou historiettes, qui relèvent de la catégorie générique des formes brèves. Le récit bref emprunte sa formulation concise et condensée à l’esthétique de la brevitas : la narration doit « dire tout ce qu’il faut, et rien que ce qu’il faut » (Quintilien). La brièveté narrative résulte donc à la fois de l’éviction du superflu et de la préservation du nécessaire. Mais cette restriction au nécessaire, qui sert avant tout la clarté du discours rhétorique, n’appelle pas forcément un style ascète, « la brièveté n’exclut pas l’ornement ; autrement, il n’y aurait plus d’art » (Ibid.).

L’esthétique proustienne semble, à priori, peu conciliable avec un format bref où l’abondance le dispute à la mesure. Format bien étroit pour un écrivain qui, dans une lettre à Paul Souday, reconnait la longueur de ses phrases, « des phrases trop longues, des phrases trop sinueusement attachées aux méandres de [sa] pensée » (Kolb, t.XX, p.258), donc chargées « d’incidentes et de parenthèses » (Proust & Brach, 1933, p.3). Pour autant, le format bref n’est pas étranger à l’auteur qui l’éprouve dès ses premiers écrits. Dans son œuvre de jeunesse, Les plaisirs et les jours (1896), Proust privilégie les formats courts relevant de genres divers : « l’ouvrage contient sept nouvelles, des poèmes en prose et en vers, des pastiches, des portraits à la manière de La Bruyère et des réflexions morales à la manière de La Rochefoucauld, des descriptions isolées, transcriptions d’art ou tableaux » (Tadié, RTP[1], t.I, p. XI). Dans À la recherche du temps perdu, ces formats brefs prennent la forme de maximes et de réflexions (Fonvielle & Pellat, 2015) empruntées à la littérature morale (Fraisse, 2011), de portraits ou de caractères, mais aussi d’anecdotes (Guez, 2013) ou de récits brefs. Ces formats brefs peuvent être considérés comme autant de décrochages qui introduisent du discontinu dans le roman, au risque d’en menacer l’unité générique. Les contemporains de Proust lui ont d’ailleurs reproché de n’« écrire que des morceaux » et d’avoir fait un livre qui n’était « ni un roman, ni un récit, ni même une confession » mais « une somme de faits et d’observations, de sensations et de sentiments » (Henri Ghéon, Nouvelle Revue Française, 1er janvier 1914).

Considérée dans ses acceptions spatiale et temporelle, la notion de brièveté renvoie aussi au mesurable. Le bref, synonyme partiel du court, désigne « ce qui a peu de longueur, peu d’étendue » (TLFi[2]) dans l’espace, et ce « qui est de courte durée ou se situe au bout d’un court espace de temps » (TLFi). La notion d’étendue ou d’espace textuel invite à considérer le récit bref comme un fragment qui se caractérise par sa plus ou moins grande rotondité. Se pose dès lors la question des frontières de ces ilots narratifs, «  la forme brève [étant] une ombre, une esquisse, une silhouette, avec un plein et un vide, avec une densité maximale mais un bord de dentelle, une marge indéfinissable » (Montandon, 2013, p.4). Prise dans une perspective temporelle, cette rotondité renvoie à la chronologie et à la durée interne au récit bref, qui se heurte à la chronologie de la trame narrative. Les récits brefs proustiens interrompent, suspendent le déroulement chronologique des événements de premier plan, construisent un roman à plusieurs vitesses (Tadié, 1971 ; Genette,  1972) et restituent le passage du temps par contraste (Tadié, 1971, p. 314).

La Revue d’études proustiennes souhaite aborder, dans son numéro de septembre 2018, la place et le rôle de ces récits brefs dans l’œuvre proustienne. Les contributions pourront relever de disciplines académiques différentes. Nous proposons ci-dessous, à titre indicatif, quelques axes de réflexion. Les contributions qui relèveraient d’autres disciplines ou privilégieraient d’autres axes sont aussi attendues.

- Une approche littéraire tiendra compte des paramètres du récit (temps, espace, personnage, histoire…) pour montrer comment se construit le récit bref chez Marcel Proust. À titre indicatif, peut-on dégager des sujets ou thématiques privilégiés ? Aperçoit-on une évolution dans l’usage ou la fréquence de récits brefs à travers les différents écrits de Proust ? Certains personnages ou certaines situations servent-ils de contextes privilégiés à l’émergence de récits brefs ? S’agissant plus particulièrement de la Recherche, les récits brefs interviennent-ils à des moments clés, ou peut-on parler de « moments de remplissage » ? Une analyse génétique permettrait  aussi de retracer l’histoire de ces fragments textuels.

- Les récits brefs chez Stendhal ont été remarqués par Proust, qui était par ailleurs un lecteur des Historiettes de Tallemant des Réaux, et vouait un culte à Mme de Sévigné. Une étude de sources, centrée sur les récits brefs, peut nourrir d’utiles confrontations de façon à cerner l’originalité de Proust dans ses récits brefs. Quels pourraient être les ressemblances et/ou les différences entre Mme de Sévigné et Proust ? Entre  Proust  et tout autre auteur (contemporain ou non) ?

- La notion de récit bref peut être abordée relativement à celle de séquence textuelle ou de fragment narratif. Les anecdotes disséminées dans la Recherche présentent-elles la même structure formelle ? Peut-on établir un profil linguistique de ces périodes ou séquences narratives brèves ? Ces récits brefs sont-ils autonomes ou amarrés (syntaxiquement, sémantiquement, discursivement) à la trame narrative, descriptive ou argumentative ? Peut-on relever des mécanismes déclencheurs de ces récits brefs (présentatifs, discours métalinguistiques, etc.) ? Tissent-ils un réseau au sein de la Recherche, ou entre la Recherche et les œuvres antérieures de l’auteur ? 

- La Recherche a plusieurs fois été adaptée, partiellement ou intégralement, au cinéma. Parmi ces adaptations, celles d’Un amour de Swann par Schlöndorff (1984) ; du Temps retrouvé par Raoul Ruiz (1999) ou plus récemment, celle d’À la recherche du temps perdu réalisée par Nina Companeez (2011). L’œuvre a aussi été adaptée en bande dessinée par Stéphane Heuet. Les articles analysant la transposition des récits brefs dans un autre langage, celui de l’image (planche, bande ou vignette en BD ; technique des points de vue en langage cinématographique) adossée ou non à un commentaire textuel (dévolu aux phylactères ou cartouches pour la BD ; assuré par une voix off ; etc.) et les changements que cela engendre (déplacement des anecdotes ; suppression éventuelle ; distribution au sein de l’œuvre filmée ou dessinée différente de celle privilégiée par l’auteur, etc.) seront aussi les bienvenues.

 

[1] À la recherche du temps perdu, édition réalisée sous la direction de Jean-Yves Tadié,  Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 4 vol., 1987-1989. [RTP]

[2] Trésor de la langue française informatisé. [TLFi]

 

Choix bibliographique

Dessons, Gérard, « La manière brève », in Une histoire de la manière, Bernadet, Arnaud & Dessons, Gérard (dir.), P.U. de Rennes, La  Licorne, 2013.

Eikheinbaum, Boris, « La théorie de la méthode formelle », in Théorie de la littérature, Paris, Le Seuil, « Tel Quel », 1985.

Fontanier, Jean, Les figures du discours, Paris, Flammarion, 1977. (voir article la litote aux pages 133 et 134)

Fonvielle, Stéphanie et Pellat, Jean-Christophe, Préludes à l’argumentation proustienne. Perspectives linguistiques et stylistiques, Paris, Classiques-Garnier, 2015.

Fraisse, Luc, « Perles de la pensée. Proust et La Rochefoucauld », in La petite musique du style. Proust et ses sources littéraires, Paris, Classiques-Garnier, 2011, p. 113-133.

Genette, Gérard, Figures, III, Paris, Le Seuil, 1972.

Guez, Stéphanie, L’Anecdote proustienne. Enjeux narratifs et esthétiques, Paris, Classiques- Garnier, 2013.

Kolb, Philip, Correspondance (1880-1922), 21 vol. Librairie Plon, 1971-1993.

Montandon, Alain, « Formes brèves et microrécits », in Micro-récits et frontières dans les textes espagnols du Siècle d’Or, Les Cahiers de Framespa, n°14, 2013. Mis en ligne le 01 juillet 2013. URL//framespa.revues.org

Montandon, Alain, Les formes brèves, Paris, Hachette supérieur, 1993.

Nisard, M., Quintilien et Pline le jeune. Œuvres complètes, Firmin Didot frères, fils et cie, Paris, 1865.

Proust, Robert et Brach, Paul, Correspondance générale de Marcel Proust, t. IV, Paris, Plon, 1933.

Tadié, Jean-Yves, Proust et le roman. Essai sur les formes et techniques du roman dans À la Recherche du temps perdu, Paris, Gallimard, 1971.

Testud, Pierre (dir.), Brièveté et écriture, Poitiers, La Licorne, n°21, 1991.

 

Modalités de soumission

Les propositions de contribution, de trente lignes environ, comportant un titre provisoire et une bibliographie, devront être adressées avant le 15 mars 2017 à Stéphanie Fonvielle (stéphanie.fonvielle@univ-amu.fr) et à Méké Méité (meitekfr@gmail.com). Elles seront rédigées en français et comporteront les informations suivantes : prénom, nom, affiliation(s), e-mail, notice bio-bibliographique. La version définitive des textes sélectionnés sera à remettre au plus tard le 15 janvier 2018.