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Revue Conceptualités : la valeur

Revue Conceptualités : la valeur

Publié le par Bérenger Boulay (Source : Matthias Fougerouse)

La valeur : un concept transdisciplinaire ? Cet appel à contribution vise à la constitution d'un dossier scientifique consacré à l'étude de la valeur. Nous proposons d'aborder cette question, déjà mainte fois débattue, selon une double approche consistant à croiser une exigence de conceptualité (qui ferait l'examen du concept même de valeur) et une visée transdisciplinaire (qui situerait ce concept dans la transversalité des discours). Sans préjuger de la viabilité ou de l'unité du concept de valeur dans une telle extension, nous pensons qu'une mise en perspective critique de la notion pourrait mettre au jour de nouveaux enjeux. Il serait bon de s'intéresser à la possibilité (ou à l'impossibilité) d'un concept unitaire, sorte d'archi-concept qui subsumerait la variété des emplois du mot « valeur ». Y a-t-il transversalité, pluralité ou plasticité du concept de valeur ? La problématique du déplacement métaphorique, qui pose la question plus générale des transferts conceptuels est également à considérer : ce phénomène pourra être traité d'un point de vue diachronique, en analysant par exemple le passage (sans doute inauguré par Nietzsche) des théories économiques du XIXe siècle à la philosophie, et son débouché dans la pensée moderne, post-moderne et actuelle. Une autre manière d'historiciser le concept serait de mettre en évidence le rôle qu'ont joué la sociologie (avec Weber et Durkheim) et la linguistique (avec Saussure) dans la promotion récente de la notion, ce qui permettra corrélativement de questionner la valeur dans son rapport à la modernité. D'autre part, il serait également profitable d'étudier, d'un point de vue synchronique, les transpositions, réemplois, jeux d'interaction et d'articulation du concept d'une discipline à l'autre. Il est possible et même souhaitable de s'interroger sur la méthode à suivre dans notre investigation : un tel questionnement pourra faire l'objet d'articles situant le concept de valeur dans le cadre d'une réflexion épistémologique, sans nécessairement limiter cette réflexion au champ d'une discipline spécifique, et pouvant même étendre la recherche à tout l'horizon des sciences humaines, ainsi qu'à l'étude de la littérature et des arts. Ce détour méthodologique invite à réfléchir sur l'implication du chercheur dans son discours : est-il souhaitable de prendre parti sur le terrain, souvent conflictuel, des valeurs, ou au contraire de faire figure d'arbitre ou de médiateur, retiré du champ de bataille ? Tout en requérant un rapport privilégié aux valeurs, la sociologie (depuis Max Weber et sa Wertfreiheit jusqu'à Nathalie Heinich, en passant par Bourdieu) a pu placer les conditions de sa scientificité dans le respect d'une « neutralité axiologique », c'est-à-dire d'une suspension du jugement de valeur. Cet impératif d'une épochè méthodologique n'en est pas moins sujet à caution ; il soulève des objections ou des limitations que nous encourageons à explorer. Il paraît en effet légitime de contester cette neutralité au nom d'un engagement éthique, de même qu'il est loisible de mettre en doute la possibilité même d'une recherche exempte de valeurs. C'est que toute méthode, fût-elle déclarativement neutre, est déjà une valeur, en ce qu'elle emporte un choix épistémologique, mais aussi éthique – une conception de la science et du monde. Nathalie Heinich, dans un récent ouvrage d'épistémologie (Ce que l'art fait à la sociologie), prolonge et infléchit la pensée weberienne en définissant le sociologue par sa « capacité de déplacement » entre des « postures de discours » différentes, qu'il assume tour à tour ou simultanément : à la fois « chercheur », « expert », « penseur » et « citoyen », le sociologue incarnerait une forme de « neutralité engagée ». Cette mobilité de point de vue peut s'exercer dans d'autres domaines de recherche ; il appartiendra aux contributeurs d'en préciser les modalités spécifiques. Quant à l'historien, son rapport aux valeurs est ambigu : il se présente comme un risque à éviter (que l'on pense au livre de Carlo Ginzburg, Le Juge et l'historien – Considérations en marge du procès Sofri, où la comparaison ne se fait pas nécessairement à l'avantage du juge), risque pourtant inévitable et même, peut-être, risque à courir, car c'est l'ancrage socio-culturel des problématiques historiennes qui permet le renouveau constant des discours historiques, la réécriture périodique et nécessaire de l'histoire, comme en témoigne l'histoire politique la plus récente qui a fait surgir de nouvelles questions, après les grandes histoires politiques positivistes. Dans une autre perspective, on peut évoquer la pensée du Prix Nobel Amartya Sen, qui a énoncé avec force la solidarité de l'économie et de l'éthique (dans Ethics and Economics). La méthodologie scientifique et l'éthique auraient donc partie liée. On peut prétendre nier la seconde au profit de la première : mais pourquoi faire de ce postulat de neutralité un choix an-éthique plutôt qu'un choix à part entière – s'il est vrai que tout discours de la méthode affirme une valeur ? Les chercheurs seront libres d'interroger la complexité de leur propre rapport aux valeurs, ou si l'on veut, de l'éthique qui préside à leur recherche. Les contributions pourront suivre un deuxième axe de recherche qui, loin d'être indépendant du premier, lui apportera un éclairage précieux. Il s'agirait de faire le procès de la valeur, au sens judiciaire, procédural, mais aussi de défaire ce procès, au sens processuel, afin d'en mettre au jour les mécanismes. La nécessité d'un tel démontage conceptuel a été avancée par Nietzsche, qui fut le premier à entreprendre une critique des schèmes axiologiques et à s'engager, par un mouvement récursif, dans une « généalogie de la valeur » nous reconduisant à la « valeur des valeurs », qui est à la fois « la valeur de l'origine » et « l'origine des valeurs » (voir Deleuze, Nietzsche et la philosophie). Cette conception différentialiste de la valeur et le renversement critique qu'elle implique nourrit en profondeur tout un courant de la pensée moderne – Deleuze bien sûr, mais aussi Foucault et Derrida – lié par ce que Jean-Clet Martin nomme, dans Constellation de la philosophie, une « passion de la différence ». Le dialogue ou la confrontation des théories de la valeur (le nihilisme, le relativisme, le rationalisme, l'essentialisme, le différentialisme, le conventionnalisme, etc.) est d'ailleurs l'un des terrains que nous voulons privilégier dans ce numéro de Conceptualités ; c'est pourquoi nous lirons avec intérêt les contributions qui se proposeront de clarifier les termes et les enjeux du débat. Par ailleurs, il convient d'accorder une attention spécifique aux effets de rétroaction ou de feed-back qui gouvernent nos opérations axiologiques : nous fondons les valeurs, mais elles nous fondent en retour. Genette a bien montré que certaines oeuvres ne reçoivent leur valeur qu'après coup, par la médiation du lecteur (de l'auditeur, du spectateur) qui en serait en quelque sorte le donateur : c'est le propre du régime attentionnel, qui diffère du régime intentionnel en ce que la valeur artistique d'un artefact y est tributaire d'une « attention esthétique » (voir à ce sujet L'Oeuvre de l'art, tome II, La relation esthétique). À l'inverse, notre rapport à un objet, à un être ou à une conduite, et plus particulièrement dans les actes judicatifs (art, morale, justice…), peut être réglé par des valeurs (au pluriel) agissant en amont, et qui fonctionnent comme les présupposés de ces jugements (ou comme nos préjugés). Hors du domaine de l'art, Ricoeur a bien analysé les valeurs comme le pivot d'une double structuration, éthique et morale : dans un article publié en 1985 (« Avant la loi morale : l'éthique », in Encyclopædia Universalis. Les enjeux, Supplément II), il expose, dans son « projet » et son « dynamisme », le « trajet d'effectuation de l'intention éthique » qui précède la « morale » (entendue comme ensemble de lois, de normes, d'impératifs). Les valeurs y sont appelées à jouer un double rôle dans la mesure où elles s'inscrivent dans « un ordre institué du valable », mais sont aussi les éléments agissants d'une histoire qui leur confère un pouvoir « instituant » : ainsi la justice se présente-t-elle comme un « instituant-institué », une « médiation en vue de la coexistence des libertés ». Les propositions, de libre longueur, sont à envoyer en format Word à l'adresse Email du site de la revue : revue@conceptualites.org  Les articles complets seront attendus pour le début de l'année 2009. Pour prendre connaissance de notre ligne éditoriale, veuillez consulter notre site (rubrique « Projet »). Les normes de publication ainsi que la procédure de sélection adoptées y sont également mises en ligne.