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Revue Alkemie, n°11 :

Revue Alkemie, n°11 : "Le bonheur"

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Aurélien Demars)

Revue Alkemie, n°11 : Le bonheur

Tous les hommes concourent au désir d’être heureux. La recherche du bonheur, comme une loi naturelle selon Diderot, orchestre nos vies : « Il n’y a qu’une passion, celle d’être heureux. » Conducteur ubiquiste de nos destins, il demeure pourtant rare dans la littérature ; si les livres parviennent à nous combler de joie souvent, force est de constater qu’ils s’emparent peu du sujet. Comment interpréter cette carence ? Y aurait-il inadéquation entre écriture romanesque et expression du bonheur ? Peut-être faut-il rappeler que l’on n’est pas heureux de la même manière en fonction de l’époque et du lieu. Dans l’Antiquité déjà, le mot bonheur recouvre davantage un idéal qu’une réalité. L’hédoniste ne recherche pas le plaisir pour le plaisir, mais plutôt le plaisir gagné sur la souffrance, car une existence toute entière dévolue à la jouissance est absurde à l’échelle du bonheur. En cela, l’hédonisme n’est qu’un pessimisme déguisé, mais un pessimisme pragmatique et moral. Il n’y a pas de désir satisfait : telle sera par la suite l’affirmation de l’épicurisme, dont l’austérité inspire à l’ascèse. Les grands monothéismes reprendront cette idée à leur compte.

La légende d’Arcadie invite à croire qu’un bonheur n’est possible que s’il s’inscrit hors de l’espace et du temps communs. L’image de ce « havre de paix, à l’abri d’une réalité imparfaite, et surtout, d’un présent contesté » (Panofsky, 1969) parcourt les siècles, trouvant son exquise projection dans Paul et Virginie (1787) où l’on admet que « le bonheur consiste à vivre suivant la nature et la vertu. » Épictète n’eût pas mieux dit, et pourtant notre XVIIIe siècle aime à répéter que bonheur et plaisir sont indissociables. « Humble pastorale » figurant le lieu de la plénitude sous les aspects d’une île dont la clairière est ceinte de montagnes… Périmètre symboliquement redoublé pour mieux traduire la nécessité du confinement et de la protection. Cela n’est pas sans évoquer l’île de Saint-Pierre, celle du Rousseau des Rêveries, qui « aimait à se circonscrire. »

Au XIXe siècle à l’inverse, c’est le malheur que l’on expose ; le mythe du Paradis perdu conforte d’idée d’un bonheur utopique, hors de la portée des mortels. Le XXe siècle recyclera cet augure funeste en soutenant que le malheur est l’expression du discernement. Souvenons-nous d’Angelo, le Hussard de Giono : sa félicité n’acquiert de sens que dans la représentation de soi à soi, reflet fantasmatique d’un héros qui s’idéalise. Soustrait du réel, Angelo s’en accommode malgré tout ; ce retranchement est la condition même de son bonheur. Il traverse l’intrigue comme une étoile dans le ciel nocturne, seul esquif de vie égaré en pleine tempête. Un concept n’est jamais mieux mis en relief que s’il est confronté à son envers, et Giono, qui l’a bien compris, s’ingénie à prouver qu’un bonheur individuel est d’autant plus grand et mieux éprouvé que lorsqu’il se confronte au désastre du monde. La perception du bonheur naît, avant tout, de la conscience d’être. Conscience solipsiste d’Angelo, conscience contemplative de Rousseau… La proposition de Kant, selon laquelle le bonheur obéit à des motivations empiriques excluant toute universalité, n’a jamais trouvé meilleur écho.

La littérature est malaisée face au bonheur, comme par excès de retenue. Le raccourci de Stendhal dans La Chartreuse de Parme (1839) en fournit un exemple admirable : « Trois années de bonheur divin. » À l’évidence, l’engouement de l’écrivain transparaît plus distinctement dans la restitution des drames que dans celle des joies ! Mais qu’en est-il du bonheur de créer ? D’un point de vue littéraire, nous savons que la description (paradigmatique), expression du temps en suspens, s’oppose à la narration (syntagmatique) qui confère au récit son prolongement. Transféré au ressenti du romancier, la narration pourrait exprimer le bonheur de dire, en tant qu’elle s’inscrit dans la durée, et la description le plaisir d’observer, du fait de son caractère éphémère. Il demeure, à l’amont du texte, un troisième plan de perception sans lequel nulle plénitude, nulle oeuvre, nulle existence n’est raisonnablement possible, et qui constitue l’apanage exclusif des êtres capables de se projeter par-delà eux-mêmes : le désir, moteur indispensable à toute entreprise de création, à toute quête du bonheur.

Modalités

C’est autour de ce thème du bonheur, prétendument insaisissable, bien qu’universel, que nous convie le prochain numéro de la revue Alkemie. Les contributions de littérature ou de philosophie doivent être inédites et en langue française. Les articles sont à envoyer au comité de rédaction, à l'adresse info@revue-alkemie.com (en format Word, 30 000 à 50 000 signes maximum, espaces compris). Nous vous prions d'accompagner votre texte d’une courte présentation bio-bibliographique (en francais), d'un résumé et de cinq mots-clefs en anglais et en français.

Date limite : 15 mars 2013.

 

Site de la revue Alkemie : http://www.revue-alkemie.com

Directrice : Mihaela-Genţiana STĂNIŞOR (mihaela_g_enache@yahoo.com)