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Rêve et fantastique (Revue Otrante)

Rêve et fantastique (Revue Otrante)

Publié le par Marc Escola (Source : Marie Bonnot)

Otrante, Art et littérature fantastiques (printemps 2015)

 

Appel à contribution

 

Rêve et fantastique

 

        Fantasmagorie de la psyché, autorisant les libres associations et la création la plus débridée, le rêve marque aussi l’intrusion du surnaturel dans le quotidien et se présente comme expérience vécue par chacun et renouvelée toutes les nuits. A cet égard, il trouve dans l’esthétique fantastique un terrain d’expression privilégié dans la mesure où il partage avec elle une puissance de remise en question du réel. Partant d’une même saisie subjective des phénomènes, usant des mêmes procédés de déstabilisation ou de déception — déformation du réel, incongruité des associations, soustraction à la logique rationnelle ou encore instabilité du référent — le rêve et le fantastique paraissent sinon produire  les mêmes effets, du moins s’alimenter à la même source.

            Abondamment utilisé comme motif ou comme dispositif fantastique, et ce aussi bien en littérature que dans les arts de l’image – cinéma, peinture, photographie et jusqu’aux arts plastiques –, le rêve semble embrasser toute la complexité de cette esthétique. En effet, il peut, d’une part, être mis au service de l’hésitation chère à Todorov ou de l’indétermination du sens, dans la mesure où il instaure un doute sur la nature du réel. Une telle conception, qui consiste à intellectualiser une incertitude, relie le fantastique au rêve par une même modalité de lecture, qui se fait alors quête d’un sens et d’une interprétation. D’autre part, on ne peut nier qu’il participe également d’une esthétique de la monstration ou de la présence (Denis Mellier) puisqu’il est fait d’un surgissement d’images qui s’imposent à l’esprit dans un mouvement d’acceptation des paradoxes et de totale adhésion à l’univers, pourtant incohérent, qui est ainsi présenté.

            Si le rapprochement entre rêve et fantastique peut être séduisant, il convient pourtant de lutter contre cette apparente familiarité. Assimilés l’un à l’autre par une même rhétorique de l’effet, le fantastique et le rêve réclament d’être clairement restitués à leur singularité pour éviter de voir se dissoudre leur spécificité. Que trouve-t-on à l’intersection de cette catégorie esthétique qui peut s’émanciper dans l’image fixe de la successivité impliquée par le récit, et de cette activité psychique utilisée alternativement comme réservoir d’images, dispositif, simple événement ou structure narrative ? Croiser la catégorie esthétique du fantastique et de l’activité psychique du rêve impose deux questions essentielles : le rôle du récit et le rôle de l’image.

         Structure permettant d’assurer l’intelligibilité du rêve, le récit constitue l’un des outils possibles à la production de l’effroi fantastique. Pour autant, le rêveur devenu narrateur de son rêve ne saurait être un fantastiqueur, sinon malgré lui. Aussi importe-t-il dans un premier temps de confronter le récit fantastique aux différentes formes de récit qui mobilisent le rêve pour identifier les différents opérateurs de fantasticité. Des nouvelles romantiques de Nodier, Gautier ou encore Schnitzler, aux récits de Kafka, Borgès ou Cortázar, un effacement progressif des seuils semble en effet s’effectuer au profit d’un rapport de plus en plus confus entre le rêve et la réalité interne à la fiction. Une partie de la réflexion devra donc consister à distinguer au sein du corpus fantastique les œuvres narratives qui utilisent le rêve comme véritable dispositif, celles qui l’envisagent comme simple (mais unique) contenu et celles qui le thématisent en un faisant un des événements (récurrents) de la diégèse, propre à perturber le quotidien. Qu’est-ce qui, de la grammaire du rêve, nourrit celle du fantastique ? Cet effacement des seuils du rêve, qui tend à court-circuiter son régime nocturne, à faire disparaître l’alternance de la veille et du sommeil sans laquelle il ne saurait pourtant se concevoir, et à oblitérer sa durée, nécessairement limitée, entraîne une perte de spécificité du rêve qui mérite d’être interrogée, dans la mesure où s’opère là une confusion avec d’autres expériences de conscience altérée, souvent plus proches de la folie.

            Si le récit constitue l’un des premiers points d’intersection entre le fantastique et le rêve, l’entreprise figurale dans laquelle se trouvent prises l’image fantastique et l’image onirique pourra offrir un second champ d’exploration. De l’indicible à l’infigurable, le fantastique et le rêve semblent s’affronter à une première impossibilité dont les différentes formes d’expression conservent le souvenir ou cultivent la fiction. Or, la naissance de la psychanalyse, le lent passage d’une psychiatrie pensée selon les termes de la physiologie à une herméneutique qui conserve le goût du visible (ce qui est caché restant par définition visible) coïncide avec le développement des techniques qui visent à enregistrer les manifestations de l’invisible. La photographie des fluides ayant alimenté dès la fin du XIXe siècle un fantasme durable, celui de faire voir, sous leur forme matérielle, l’âme, les pensées et les rêves, on pourra dès lors mettre en regard l’iconographie du rêve et celle du fantastique, en tant qu’elles relèvent d’une pulsion scopique et reflètent l’œil dans lequel réside le véritable objet du fantastique (Ernest Hello), mais supposent d’autres opérateurs que les formes narratives. S’agit-il de saisir une image du rêveur comme extériorité insaisissable (des surréalistes endormis au recueil de Sophie Calle, Les Dormeurs), de manifester le trouble produit par le rêve, de reconstituer la grammaire du rêve (Magritte) et son inquiétante étrangeté (Tanguy, Matta) ? De l’iconographie du rêve largement marquée par le surréalisme à l’imagerie médicale qui fournit un nouveau type de cartographie de l’activité cérébrale, on pourra se demander dans quelle mesure le rêve, en se donnant à voir par l’image, ruine ou accentue l’effet fantastique.

        Enfin, dans une période qui a vu se multiplier les tentatives de rationalisation et de compréhension du rêve et au moment où triomphent les neurosciences, on pourra s’interroger sur la trajectoire du rêve depuis Alfred Maury jusqu’à Allan Hobson. Les artistes ont-il intégré les apports de la psychologie, de la psychanalyse et des neurosciences ou la représentation du rêve s’est-elle construite en réaction contre ces efforts de rationalisation ?

 

        Les contributions porteront sur la représentation du rêve dans la littérature et les arts fantastiques (photographie, peinture, cinéma, arts plastiques) du XIXe siècle à nos jours. Elles pourront certes s’attacher à l’étude de cas précis mais on appréciera également les perspectives plus générales et comparatives.

Elles pourront s’inscrire dans l’un des axes suivants (liste non exhaustive) :

  • Représentation du rêve et production de l’effroi :

À quelles conditions le rêve peut-il être assimilé à une expérience de l’effroi, ou représenté de façon telle qu’il en vienne à susciter l’effroi, dimension fondamentale pour envisager l’esthétique fantastique ?

Utilisé dans l’œuvre fantastique, le rêve n’est-il que l’instrument de l’indétermination propre à plonger personnage et lecteur dans des abîmes de perplexité, ou ne peut-il pas aussi être le lieu d’une simple confrontation effrayante aux images, scénarios et objets qu’il fait naître ?

Quelles techniques ont-elles pu être développées, notamment dans les arts visuels, pour ménager le leurre et l’illusion de réalité nécessaires à la représentation du rêve fantastique ?

  • Représentation fantastique du rêve et connaissances scientifiques :

En quoi la représentation du rêve dans l’art et dans la littérature a-t-elle été modifiée par les transformations de la conception du rêve liées aux théories et découvertes scientifiques ?

Quel(s) rapport(s) entretiennent les représentations fantastiques du rêve avec les discours de savoir sur le rêve ?

Comment sont à leur tour représentés, à l’intérieur de la fiction, ces discours et leurs auteurs ?

  • Perspective diachronique sur la représentation du rêve dans les œuvres fantastiques 

Peut-on concevoir une évolution historique dans les modes de représentation du rêve et ses usages au sein de l’esthétique fantastique ?

Quelles périodes pourraient être isolées ? Comment pourraient-elles être caractérisées ?

Comment comprendre le rêve fantastique en fonction de son contexte historique ?

Quelles modifications des thèmes, des formes, se sont-elles produites ? Comment l’extension du champ de la littérature et l’invasion du document — historique, médical, sociologique — rendent-elles encore possible une écriture du rêve source de fantastique ? Cette évolution nous amène-t-elle à envisager un « fantastique réel » (Hellenz) ?

  • Poétique comparée

Quelles sont les spécificités de l’expression du fantastique onirique de chaque art ? On pourra partir d’exemples d’adaptations en pensant, entre autres, à l’adaptation cinématographique de la Traumnovelle de Schnitzler par Kubrick (Eyes wide shut),  à celles des romans de Philip K. Dick (Minority report par Spielberg, Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? par Ridley Scott dans Blade Runner), du Solaris de Stanislas Lem par Toarkovski puis Soderbergh  ou partir d’autres formes d’adaptations comme la peinture (Max Ernst et Dali s’inspirant par exemple de La Tentation de Saint-Antoine de Flaubert).

Que reste-t-il du rêve dans le passage d’un art à un autre ? Comment est-il exprimé ?

Plus spécifiquement, le médium photographique et sa dimension indiciaire constituent-ils la voie privilégiée pour incarner d’hypothétiques traces du rêve susceptibles de subvertir la représentation et de manifester la déchirure du réel ?

Du roman-collage de Max Ernst Rêve d’une petite fille qui voulut entrer au carmel aux collages de John Stezaker (Dream allegories), en passant par l’œuvre des surréalistes tchèques Jindrich Štyrský et Karel Teige, on pourra s’interroger sur les liens qui paraissent s’établir entre la fragmentation de l’image, le démembrement des corps et la représentation fantastique du rêve.

Si, enfin, le fantastique relève du visuel, en quoi le travail du son contribue-t-il à accroître l’effet fantastique ? On pourra penser à des œuvres musicales mais aussi à certaines installations d’art contemporain, à la bande-son qui accompagne la mise en scène du rêve (Eraserhead, David Lynch) ou aux créations radiophoniques.

 

        Telles sont les questions auxquelles nous voudrions apporter quelques réponses en mobilisant le plus grand champ disciplinaire pour faire état également de l’intensification des échanges au carrefour desquels se situent aujourd’hui le fantastique et le rêve.

 

Les propositions de contribution, d’environ 500 mots, accompagnées d’une brève notice bio-bibliographique sont à adresser avant le 30 avril 2014 à Marie Bonnot (marie.bonnot@gmail.com) et Émilie Frémond (fremondem@club-internet.fr).

Après réponse du comité scientifique (15 mai 2014), les articles (30000 signes, espaces et notes comprises) devront être remis au plus tard le 15 octobre 2014.