Séminaire de Stéphane Pujol,directeur de programme au Collège International de Philosophie
Organisation :Collège International de Philosophie
Lieu :Salle N 34, Lycée Henri IV, 23 rue Clovis, Paris
Retours sur le don: de la bienfaisance et de sareconnaissance (histoire, philosophie et esthétique d'un couple problématique)
Le projet quenous proposons d'engager, au croisement des champs "philosophie / art etlittérature", s'inscrit dans la continuité d'une réévaluationcontemporaine de l'importance et de la validité de la théorie proposée parMauss dans l'Essai sur le don. Loin de prétendre explorer toutes lesfacettes de l'échange et du don, il se donne concrètement pour objetd'interroger l'une des dimensions possibles de l'acte qui consiste à donner (età recevoir), à savoir la dimension éthique : on peut en effet donner pour «faire le bien ». Notre travail prendra la forme d'une enquêtehistorico-critique de l'idée de « bienfaisance » ainsi qu'une étude de sesmises en scènes littéraires ou esthétiques (roman, peinture, théâtre, opéra).La bienfaisance est à la fois une notion clé de la philosophie morale et unescène où se joue et se rejoue, selon des enjeux variés, la question del'échange. La bienfaisance ne fonctionne pas de manière autonome. Elle entredans un rapport dynamique avec d'autres notions connexes, comme la gratitude(ou l'ingratitude) et la reconnaissance. Notre idée est que le coupleBienfaisance/Reconnaissance constitue une figure possible de la théoriemaussienne du don et du contre-don, puisque la bienfaisance implique autantcelui qui donne que celui qui reçoit. Il nous faudra préciser comment cetteinterprétation s'articule avec certaines lectures contemporaines du don (etplus généralement avec le vaste champ des critiques et des « refondations » dela morale, de Nietzsche, Freud, Bataille, à Ricoeur, Levinas ou Derrida). Leshistoriens des idées ont souvent analysé l'idée de bienfaisance comme laversion laïcisée de la charité chrétienne. Le passage de l'une à l'autreaurait lieu au XVIIIe siècle, au moment où le mot « bienfaisance » apparaîtdans les textes philosophiques ou littéraires avant d'être enregistré dans lesdictionnaires. Cette analyse mérite d'être discutée et complétée dans uneperspective plus large. La notion de bienfaisance apparaît dans la pensée desderniers stoïciens, de Sénèque en particulier, où elle s'affirme comme uneforme de don désintéressé. Au XVIIIe siècle, le moment « libéral » permet depenser conjointement l'égoïsme et l'altruisme comme deux formes complémentairesde sociabilité. La bienfaisance trouve ainsi sa place dans les théoriesutilitaristes où l'intérêt apparaît comme le moteur principal de nos actions.Nous voudrions interroger les conséquences historiques de ce renversement, lesincidences de cette rupture avec le paradigme de la morale traditionnelle, et comprendrequel éventuel nouveau régime de la morale (mais aussi de la politique et dudroit) elle ouvre jusqu'à nos jours. On devra se demander en quoi si le passagede la bienfaisance comme vertu privée à la bienfaisance comme vertu publique,auquel on assiste à la fin du XVIIIe siècle, est fondateur d'une « politique »de la bienfaisance qui se décline sous de nombreuses formes aujourd'hui (Etatprovidence, organisations philanthropiques ou actions « humanitaires »).
Ce programme s'articule de la manière suivante :
A. Un séminaire qui se déroule en trois temps : 1) une genèse et une histoire de la notionde bienfaisance (Antiquité-Age moderne-début de la période contemporaine). 2)une étude des notions ou concepts connexes (obligation, gratitude, reconnaissance)à laquelle seraient associés divers intervenants, philosophes, sociologues,historiens... 3) une discussion sur les enjeux actuels de la théorie du don etses réévaluations critiques, précédée d'une argumentation théorique sur lecouple bienfaisance/reconnaissance comme figure du don et du contre donfonctionnant moins comme un schème anthropologique (à l'instar de Mauss) quecomme un paradigme essentiel pour la morale.
B. Un atelier qui permet d'analyser, oeuvres à l'appui, les mises en scène littéraires etartistiques de la bienfaisance-reconnaissance, avec la participation dephilosophes, de littéraires, de critiques d'art ou d'artistes.
Calendrier des séances:
- Le 2 février, 18h30-20h30, Stéphane Pujol(Université Paris X, Ciph): Présentation du séminaire et problématiquegénérale.
- Le 9 février, 19h-21h, Christelle Veillard(Université Paris X) : « La fonction du bienfait chez Aristote etSénèque ». Marie Christine Bataillard (CPEG Lycée Faidherbe,Lille) : répondant.
- Le 2 mars, 19h-21h, Frédérique Woerther(CNRS) : « Les formes de la bienfaisance dans l'Éthique àNicomaque ».
- Le 6 avril, 19h-21h, Sandrine Alexandre(Université Paris I Panthéon Sorbonne). Atelier: Sénèque (De Beneficiis) :« Clientélisme et bienfaisance. Modalités et enjeux d'une réflexion àpropos et à partir d'une pratique sociale à l'usage de ses pairs ». MarieChristine Bataillard (CPEG Lycée Faidherbe,Lille) : « Sénèque et la sagesse de la bienfaisance ».
- Le 11 mai, 19h-21h, Carlos Levy(Université Paris IV Sorbonne) : « La philosophie du don à Rome : deCicéron à Sénèque ».
- Le 18 mai, 19h-21h, Marie Humeau(Université Paris X): Atelier : Ciceron, De Officiis
- Le 25 mai, 18h30-20h30, Jean-Baptiste Brenet(Université Paris X) : « Recevoir, donner : Dante et le projet du Convivio ».Thierry-Dominique Humbrecht (Couvent des Dominicains de Bordeaux) :« Bienfaisance et charité chez saint Thomas d'Aquin ».
- Le 8 juin, 18h30-20h30, Martine Vasselin(Université de Provence). Atelier : Iconographie du don charitable.