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Retentissements » de la guerre : Les écrivain(e)s des mondes (post)coloniaux face aux conflits mondiaux

Retentissements » de la guerre : Les écrivain(e)s des mondes (post)coloniaux face aux conflits mondiaux

Publié le par Matthieu Vernet (Source : Sabrina Parent)

« Retentissements » de la guerre : Les écrivain(e)s des mondes (post)coloniaux face aux conflits mondiaux

Argumentaire

Dans le cadre des commémorations des guerres mondiales, ce projet a pour objectif général de rappeler à la mémoire la participation active et cruciale des colonies à l’effort de guerre. De manière plus spécifique, il consiste à mettre au jour l’impact des conflits mondiaux sur la vie et l’œuvre de penseurs et écrivains, masculins et féminins, des territoires colonisés de l’Afrique et des Caraïbes. Il s’agit de prendre la mesure des répercussions de l’événement historique sur les individus, « le retentissement de l’histoire en l’homme », pour reprendre la belle expression de Georges Hyvernaud. Au-delà de l’expérience intime de l’événement, l’on s’interrogera sur la dimension universelle que les écrivain(e)s ont su éventuellement conférer au vécu individuel.

Ainsi, l’auteur juif d’origine tunisienne, Albert Memmi, comme l’écrivaine d’origine algérienne, Assia Djebar, font de l’expérience de la Seconde guerre —vécue, respectivement, pour l’un, au début de l’âge adulte, et pour l’autre, dans la toute petite enfance— un moment crucial de leur relation à la famille, à la communauté d’origine et/ou à la communauté « étrangère ». Tel qu’il se manifeste dans trois chapitres (« La guerre », « Le camp » et « Les autres ») de La Statue de sel (1953) ou dans l’épisode de « la nuit française » inclus dans Vaste est la prison (1995) d’Assia Djebar, le vécu de guerre fut déterminant dans le rapport construit avec l’Autre ainsi que dans la conceptualisation théorique de ce rapport, par exemple la notion de judéité ou d’hétérophobie chez Memmi. Dans le contexte algérien, Ronnie Scharfman (2005) a mis en évidence le lien entre le traumatisme de la révocation du décret Crémieux (1940) et les œuvres de Derrida et Cixous. Qu’il s’agisse du séjour en frontstalag de Léopold Sédar Senghor ou encore de la participation en tant que tirailleur de Sembene Ousmane, variées sont les expériences de guerre des anciens colonisés et nombreuses sont leurs répercussions, directes ou indirectes, conscientes ou non, dans les œuvres –biographiques, romanesques, théâtrales, poétiques, filmiques, philosophiques– qu’ils ont produites.

En résumé, à partir de l’examen d’un auteur spécifique ou d’une analyse comparée de cas, il s’agit d’étudier la transcription artistique et/ou la pensée critique des écrivains (post-)coloniaux, hommes et femmes, en se focalisant sur la thématique guerrière. Autrement dit,

·      quelles répercussions l’événement guerrier a-t-il sur les œuvres ? Comment la prise en compte de cet événement permet-il d’éclairer l’écriture (ou la mise en forme artistique, plus généralement) sous un jour nouveau ?

·      En sens inverse, l’on peut également se demander comment le processus d’écriture, de transcription créative, a transformé le souvenir ou la perception de l’événement lui-même.

Notons d’emblée que l’événement de la guerre peut être appréhendé comme étant réel, ancré dans les faits ou, au contraire, comme imaginaire, voire fantasmé. L’interrogation peut porter sur les moments et les genres de la transposition : s’agit-il d’une transcription concomittante à l’événement ou d’une écriture postérieure à celui-ci ? Quel est le médium (littérature, cinéma) ou le genre investi (journal, autobiographie, (auto)fiction romanesque, essai, documentaire, etc.) et en quoi ce choix est-il significatif ?

Pour compléter l’approche strictement intime du vécu de l’Histoire, une perspective plus sociale, voire sociologique, se révèle également pertinente : comment ces auteurs et intellectuels (cf. Betz et Martens) se situent-ils par rapport à l’occupant, sur le territoire européen ou dans les colonies ? Dans le sillage de l’étude de Katharina Städtler relative aux écrivains de la négritude pendant l’occupation allemande, l’on peut ainsi s’interroger sur les stratégies déployées par ces écrivains pour conquérir l'espace public (Lüsebrink). Il serait tout aussi pertinent d’envisager l’impact de l’événement guerrier sur les imaginaires collectifs : comment la guerre modifie-t-elle la perception du colonisateur, la représentation du territoire ? La guerre est-elle une expérience favorisant une certaine cohésion des colonisés ? Sur quelles bases ? En vue de quelles revendications ?

Nous accueillerons tout aussi favorablement les propositions basées sur l’analyse d’écrits de la première génération (Mohammed Dib, Mouloud Mammeri, par exemple) ou plus récentes (Tierno Monénembo, Patrice Nganang, notamment). Nous serons, par ailleurs, particulièrement réceptifs à des propositions se focalisant sur des œuvres féminines afin de contribuer à une vision plus nuancée du fait guerrier, qui se donne encore a priori comme « une affaire d’hommes ». Nous invitons les participants à traiter de la problématique dans des médias autres que le texte (le cinéma, par exemple) et, au sein du médium textuel, dans des discours et des genres diversifiés (autobiographie, roman, poésie, théâtre, essai, témoignage, etc.). Enfin, cet appel, centré sur le domaine francophone, ne souhaite cependant pas s’y cantonner : les propositions considérant des corpus anglophone, hispanophone, lusophone ou autres sont les bienvenues.

 

Bibliographie

Primaire (indicative)

• Agénor, Monique, Bé-Maho. Chroniques des îles sous le vent, Le Serpent à plumes, 1996, 289 p.

• Bouchareb, Rachid, Indigènes, Tessalit Production, 2006. [Film]

• Chraïbi, Driss, Le Passé simple. Roman, Paris, Denoël, 1954, 263 p.

• ___, Lu, vu, entendu. Mémoires, Paris, Denoël, 1998, 203 p.

• Cixous, Hélène, « Lettre à Zohra Drif », Leggendaria, 14 avril 1999, p. 4-9.

• Confiant, Raphaël, Le Nègre et l’Amiral. Roman, Paris, Grasset, 1988, 334 p.

• Confiant, Raphaël, La Dissidence. Récit, Paris, Écriture, 2002, 279 p.

• Derrida, Jacques, Le Monolinguisme de l’autre ou la prothèse originelle, Paris, Galilée, « Incises », 1996, 135 p.

• Dib, Mohammed, La Grande Maison, L’Incendie, Le Métier à tisser. Romans, Seuil, « Méditerranée », 1952, 1954, 1957, 191 p, 191 p, 208 p, respectivement.

• Djebar, Assia, Vaste est la prison. Roman, Paris, Albin Michel, 1995, 351 p.

• Dongala, Emmanuel, Le Feu des origines. Roman, Albin Michel, 1987, 255 p.

• Kourouma, Ahmadou, Monnè, outrages et défis. Roman, Paris, Seuil, 1990, 286 p.

• Lopes, Henri, Le Lys et le Flamboyant, Seuil, 1997, 430 p.

• Mammeri, Mouloud, La Colline oubliée. Roman, Paris, Plon, 1952, 255 p.

• Memmi, Albert, La Statue de sel. Roman, Paris, Corrêa, 1953, 283 p.

• Monénembo, Tierno, Le Terroriste noir, Seuil, 2012, 224 p.

• Nganang, Patrice, La Saison des prunes, Philippe Rey Éditeur, 2013, 443 p.

• Oyono, Ferdinand, Le Vieux Nègre et la Médaille. Roman, Julliard, 1956, 211 p.

• Rahamarinana, Jean-Luc, Nour 1947. Roman, Le Serpent à plumes, 2001, 211 p.

• Sembene, Ousmane, Emitai, Médiathèque des trois mondes, 1971. [Film]

• Senghor, Léopold Sédar, Hosties noires, Seuil, 1948.

• U’Tamsi, Tchicaya, Les Méduses ou les Orties de mer, Albin Michel, 1982, 265 p.

Secondaire (pistes)

• Betz, Albrecht et Stefan Martens (dir.), Les Intellectuels sous l’Occupation (1940-1944). Collaborer, partir, résister, Paris, Éditions Autrement, 2004, 352 p.

• Britton, C. (éd.), France’s Colonies and the Second World War, L’Esprit créateur, printemps 2007, vol. 47, 2007.

• Donadey, Anne et alii (éd.), Empire and Occupation in France and the Francophone World. Twentieth-Century Literature, hiver 1999, vol. 23, n° 1.

• Lüsebrink, Hans-Jürgen, La Conquête de l’espace public colonial. Prises de parole et formes de participation d’écrivains et d’intellectuels africains dans la presse à l’époque coloniale (1900-1960), Québec/Frankfurt am Main/London, Éd. Nota bene/IKO-Verlag, 2003, 272 p.

• Mann, Carol, Femmes dans la guerre 1914-1945, Pygmalion, 2010, 380 p.

• Scharfman, Ronnie, « Narrative of internal exile : Cixous, Derrida, and the Vichy Years in Algeria », in Murdoch, A. et Donadey, A. (éd.), Postcolonial Theories and Francophone Literary Studies, Gainesville, FL, University Press of Florida, 2005, 87-101.

• Städtler, Katharina, « La négritude en France (1940-1950). À propos d’un champ littéraire colonisé en exil », Les Champs littéraires africains, Paris, Karthala, 2001, 193-209.

Organisation

Le projet prendra, dans un premier temps, le format d’un atelier (ou journées d’étude) se déroulant les vendredi 24 et samedi 25 avril 2015 à l’Université libre de Bruxelles. Cette première étape se conçoit comme nécessaire au dialogue que nous souhaitons établir entre les expériences de guerre diverses, leurs transcriptions textuelles et artistiques et les outils critiques et théoriques avec lesquels nous les analysons. Les participants (dix à douze) seront activement invités, à partir de leur contribution individuelle, à dégager des tendances communes à l’ensemble de ces productions guerrières, en termes de thématiques, certes, mais aussi en termes de procédés (stylistiques, narratologiques, filmiques, etc.) utilisés et d’éléments de signification à dégager. Favorisant la réflexion collective, les sessions seront davantage conçues comme des tables rondes : les présentations individuelles (chacune de 15 minutes maximum) seront suivies d’échanges entre participants et avec l’auditoire, sous la houlette d’un(e) président(e) de séance dont le rôle, précisément, sera d’orienter les débats vers cette mise en commun des réflexions. Pour que ce travail de mise en commun soit rendu possible, nous souhaitons que les textes des communications soient disponibles à la personne présidant la session et aux autres participants de ladite session un mois avant la rencontre. Il est bien entendu que ces textes seront abordés comme « travaux en cours ».

Dans un second temps et faisant suite à cet atelier, une sélection sera opérée au sein des communications afin que celles choisies (maximum une dizaine) puissent constituer un ensemble cohérent. Cet ensemble, accompagné d’une préface mettant en exergue sa pertinence, sera proposé à la revue Études Littéraires Africaines (ELA) pour une publication en décembre 2015. Il va de soi que les processus éditoriaux d’évaluation seront appliqués.

Les propositions d’intervention pour l’atelier sont à envoyer par courriel le 1e novembre 2014 au plus tard sous la forme d’un résumé (4000 signes maximum) accompagné d’un titre et d’un bref curriculum  vitæ conjointement à Sabrina Parent (sabrina.parent@gmail.com), Nathalie Carré (nathalie.carre@gmail.com) et Anthony Mangeon (amangeon4@gmail.com). L’acceptation des propositions sera notifiée fin novembre-début décembre 2014. 

Comités d’organisation et scientifique des journées

Sabrina Parent (F.R.S.-FNRS / ULB)

Xavier Luffin (ULB)

Nathalie Carré (INALCO / ELA)

Anthony Mangeon (Université de Strasbourg / ELA)

Bénédicte Ledent (Université de Liège)