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"Résurgences du passé. Entretien avec M. Riot-Sarcey", par S. Al-Matary (laviedesidees.fr)

Publié le par Marc Escola

Résurgences du passé

Entretien avec Michèle Riot-Sarcey

par Sarah Al-Matary

Mis en ligne sur laviedesidees.fr, le 19 juillet
 

Que serait une histoire du XIXe siècle qui donnerait toute leur place aux événements oubliés ou non advenus ? Michèle Riot-Sarcey s’applique à retracer cette histoire souterraine, suggérant que les idées recouvertes par les récits linéaires imposés demeurent vivaces, et continuent d’ouvrir les horizons.

Pour Michèle Riot-Sarcey, professeure émérite à l’université Paris 8, l’utopie, les ouvriers, les femmes, le genre (qu’elle a contribué à introduire en France) ont toujours été prétexte à poser des questions de méthode. Le Procès de la liberté [1], prix Pétrarque de l’essai France Culture-Le Monde 2016, est l’aboutissement d’un long travail de réflexion critique sur l’écriture de l’histoire, que l’auteure a mené en dialogue avec plusieurs théoriciens, dont Michel Foucault. Mais c’est surtout sa lecture de Walter Benjamin ‒ spécifiquement de ses écrits sur le XIXe siècle ‒ qui l’a conduite à réenvisager des événements historiques tantôt méconnus, tantôt largement balisés par les « discours d’autorité », parfois à l’origine de conflits d’interprétation. Aussi appréhende-t-elle le XIXe siècle moins comme l’avènement du progrès que le moment où s’impose, sous différentes formes, l’idée que l’histoire aurait des « lois », un « sens », un ordre de « marche ». Contre cette vision linéaire, qui tend à gommer les discontinuités réelles, l’auteure cherche à saisir le « mouvement » de l’histoire en envisageant l’événement avant que ce dernier n’ait été recouvert par le récit des événements advenus. L’historiographie traditionnelle sanctuarise en effet l’enchaînement des faits dans une continuité sans faille et tend à invisibiliser l’activité des vaincus de peur qu’elle ne renaisse et n’engendre de nouveaux troubles. Quoiqu’elle soit restée à l’arrière-plan, cette dernière continue cependant d’innerver l’histoire ; elle est riche de leçons et dessine une forme de continuité souvent insoupçonnée.

C’est elle que Michèle Riot-Sarcey se propose de mettre en lumière à partir d’un autre type de récit, plus apte à rendre compte d’expériences et de pratiques qui, pour circonscrites qu’elles soient, ont été indûment minorées. L’historienne tient ainsi la révolution de 1848 pour « la seule rupture marquante du XIXe siècle » [2]. Trop souvent présentée comme un cri de souffrance du peuple, alors qu’elle manifeste plutôt sa volonté de défendre ses droits, cette « révolution oubliée » [3] est l’occasion d’une prise de parole collective, que l’auteure retrace au moyen de sources variées : pétitions, déclarations aux prudhommes, discours d’intronisation dans une société secrète, etc. Croisés avec d’autres documents contemporains (articles de presse, témoignages artistiques, notamment), ces sources révèlent que les acteurs n’ont pas attendu les théoriciens pour penser l’histoire qu’ils vivaient. D’abondantes citations donnent à entendre des femmes, des ouvriers (et, dans une moindre mesure, des esclaves et des colonisés) qui ont laissé peu de traces écrites. Ces voix minoritaires, que d’autres ont jugées peu « représentatives » de leur temps, aident Michèle Riot-Sarcey à « interroger différemment le cœur politique des sociétés considérées » [4], et à mieux saisir de quoi est faite notre modernité.

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[1] Michèle Riot-Sarcey, Le Procès de la liberté Une histoire souterraine du XIXe siècle en France, Paris, La Découverte, 2016.

[2Ibid., p. 332.

[3] Voir Michèle Riot-Sarcey et Maurizio Gribaudi : 1848, la Révolution oubliée, Paris, La Découverte, 2009.

[4] « Le réel d’Augustine », entretien mené par Laurent Colantonio, in Laurent Colantonio et Caroline Fayolle (dir.), Genre et utopie. Avec Michèle Riot-Sarcey, Saint-Denis, Presses Universitaires de Vincennes, 2014, p. 380.

[5] Michèle Riot-Sarcey, Le Réel de l’utopie, Paris, Albin Michel, 1998.