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ReS Futurae n°6 : dossier Pierre Boulle

ReS Futurae n°6 : dossier Pierre Boulle

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Irène Langlet)

Appel à textes / Call for papers pour pour le numéro 6 de ReS Futurae : dossier Pierre Boulle

Responsables du dossier : Arnaud Huftier et Irène Langlet

Pierre Boulle (argument)

Pierre Boulle est l’un des rares exemples d’auteur français ayant publié à la fois de la littérature générale et des récits de science-fiction. On avance souvent que ses récits de science-fiction doivent être interprétés à l’aune de sa production « blanche » ; on propose ici de s’autoriser la proposition inverse, afin de vérifier aussi bien les deux versants de la lecture : le conte philosophique peut-il subsumer la science-fiction de Boulle ? La pensée de la science-fiction informe-t-elle, ou insémine-t-elle, l’ensemble de la production de Pierre Boulle ?

Que l’on parle alors « en ensemble », cela permet déjà de réévaluer des récits de science-fiction chez Pierre Boulle. Ce qui revient à dire : il ne s’agit pas d’en rester à la seule Planète des singes. Ce dialogue est parfaitement possible, si l’on en suit par exemple Véronique Bessens qui, analysant La Planète des singes (1963), avance que « Boulle met en scène des rapports identiques entre les soldats alliés prisonniers et les Japonais dans Le Pont de la rivière Kwai » (Véronique Bessens, « Apprivoiser Balthazar », Contre-jour, n°13, 2007, p.185) : si La Planète des singes raconte ce rapport de force en utilisant l’animalité comme « mesure de différence », le dialogue peut aussi s’étendre au Professeur Mortimer(1988), qui ne cesse d’interroger cette relation entre l’humain et l’animalité. Que l’on parle donc « en ensemble », et l’esprit de ce dialogue peut s’imposer, autour de cette pensée de la science-fiction. Pour appréhender cet « ensemble », encore convient-il de délimiter un corpus minimal, ou indicatif, qui irait des recueils Les Contes de l’absurde (1953) à E=MC2 (1957) et Histoires perfides (1976) en passant par les romans Le Jardin de Kanashima (1964) et Les Jeux de l’esprit (1971). S’il a été possible de regrouper certains de ces textes sous la bannière de la science-fiction, tant en France avec Étrange planète (1998) qu’aux États-Unis avec Time Out of Mind (1966), Lucille Frackman Becker, dans une monographie restée curieusement inédite en français (Twayne, 1996), ne contestait pas la parenté, mais préférait donner une liste des romans et nouvelles « aux frontières de la science-fiction ». Aux frontières… Frackman Becker peut à ce titre apparaître comme emblématique des nombreux exégètes qui peinent à faire entrer l’ensemble de ces récits dans un quelconque classement. Ils insistent sur le côté « à part » de Pierre Boulle.

Or, si Pierre Boulle s’insurgeait de voir le terme associé à son œuvre, nombre de ses récits détournent les voies d’une certaine science-fiction, ce qui traduit tout autant un doute sur les formes les plus visibles de la science-fiction contemporaine – qu’il peut à l’occasion parfaitement emprunter, si l’on en suit « Une nuit interminable » ou Les Jeux de l’esprit – qu’une volonté de revenir vers le dialogue philosophique revendiqué par Maurice Renard pour le « merveilleux scientifique ». Celui-ci ne permettrait-il pas alors de cerner la particularité de la science-fiction de Pierre Boulle, et l’étrange inactualité qui se dégage de ses récits, sur le plan formel au même titre que sur le plan thématique ? Comment, par exemple, appréhender le recours à l’absurde pour miner des situations où s’imposait la conjecture rationnelle dans le présent ? Comment jauger ces voyages dans le passé et dans des ailleurs ? Et comment assimiler ces positions d’exclusion, volontaires ou subies, de nombre de personnages ? Comment, aussi, appréhender l’omniprésence dans ses récits de tous horizons de la pensée et de la figure de Teilhard de Chardin ? Comment, enfin, assimiler cette hybridité générique qui, tour à tour, convoque et dénude certains modèles, d’Edgar Poe à H.G. Wells ?

Sous ce biais, tout en conservant à l’esprit le dialogue possible dans l’ensemble de la production, on pourrait dégager une spécificité des récits de Pierre Boulle. Il serait ainsi possible de trouver des lignes de fuite susceptibles d’expliquer pourquoi ce qui apparaît comme une « position à part » le fait rentrer dans les lignes de force de la science-fiction contemporaine.

Il apparaît tout aussi intéressant de voir, sur un plan plus institutionnel, pas uniquement ce que Pierre Boulle fait de la science-fiction mais ce qu’il fait à la science-fiction. La réussite populaire, par l’entremise de son adaptation cinématographique, de La Planète des singes, ne nécessite-t-elle pas un discours de réajustement des instances de légitimation ? Revenir de la sorte sur les étapes de la réception de Pierre Boulle, en France et ailleurs, peut à ce titre être riche d’enseignement.

On y verrait au premier chef comment l’inactualité permanente travaillant la production de Pierre Boulle entre en contradiction avec une forme d’actualité pressante, sous l’espèce de la fortune transmédiatique et transfictionnelle de La Planète des singes. Sans grande attention au débat littéraire sur l’appartenance ou non de l’oeuvre de Boulle à la science-fiction, la culture médiatique se l’est approprié exactement comme tel, et les industries qui l’alimentent en ont réalisé des profits colossaux. Loin d’en rester à une déploration de ce que ces industries dévoieraient, dénatureraient ou trahiraient d’une œuvre romanesque toujours vue comme originale — ce qui, en tout cas sur le plan de la réception, ne va pas de soi, puisqu’elle n’est plus lue qu’en réaction à la production cinématographique — on propose ici d’étudier le champ de forces productives de cette « adaptation » devenue bientôt « franchise », déclinée sur une variété considérable de supports, les figurines, cartes, comics, posters ayant vite complété les films et séries télévisées, et les « préquelles » continuant désormais transfictionnellement (au sens où l’entend Saint-Gelais) l’histoire boullienne. Que révèle la carte de ce « consortium fictionnel » ? Quelle(s) culture(s) de science-fiction, au sens large, s’y donnent-elles à lire, à voir, depuis 1968 ? Comment s’articule l’expansion transfictionnelle et le contrôle industriel du monde étendu ? Dans quelles « séries culturelles », au sens de Gaudreault, s’insère ce massif majeur de la culture contemporaine ?

Dans ce cadre, on accueillera aussi bien des propositions en littérature, sémiotique, études animales (« zoopoétique » au sens où la défend Anne Simon), en philosophie politique, en anthropologie que des analyses entrant dans le détail de ce massif culturel majeur : étude des séries télévisées, des comics, des continuations, avec ou sans référence au roman d’origine mais toujours attachées à contextualiser précisément leur objet dans l’histoire des cultures médiatiques depuis un demi-siècle. La figure de Boulle elle-même pourrait faire l’objet d’une enquête : quelle auctorialité ces 50 ans de culture médiatique ont-ils construite ? Quelle place occupe Pierre Boulle dans l’histoire culturelle contemporaine ? A partir de là, pourrait-on faire émerger de nouveaux arguments, ou poser différemment, la question qu’on posait plus haut sur la place de Boulle dans la science-fiction ou de la science-fiction dans l’œuvre de Boulle ?

Échéances :

- envoi des propositions (5000 signes maximum) jusqu’au 1er mars 2015, à :  Arnaud.Huftier_at_univ-valenciennes.fr et irene.langlet_at_unilim.fr.
- réponse de ReSF le 15 avril au plus tard.
- remise des articles le 30 août 2015 au plus tard.

Les auteurs sont invités à prendre connaissance des consignes d'écritures et de soumission des articles sur le site de la revue ou sur le carnet de ReS Futurae.