Questions de société
Réponse de I. This Saint-Jean (SLR) à V. Pécresse (Libération, 30/1).

Réponse de I. This Saint-Jean (SLR) à V. Pécresse (Libération, 30/1).

Publié le par Marc Escola

 Lire d'abord la tribune publiée par V. Pécresse dans le même quotidien.

Et en amont, la réaction d'A. Trautmann (SLR également) au récent discours sur l'université et la recherche de N. Sarkozy (22/1), et le texte diffusé par Sauvons la Recherche à la veille de la manifestation nationale du 29/1.

Non, Madame la ministre

par Isabelle This Saint-Jean, professeur à l'université Paris-XIII, présidente de Sauvons la recherche.






Madame la ministre, nous ne voulons pas du projet de modification du décret de 1984 qui régit le statut des enseignants-chercheurs et permettrait ainsi la modulation de leur service d'enseignement ! Ce refus n'est pas celui d'une communauté figée dans son conservatisme, récusant a priori toute réforme mais celui d'une communauté qui a organisé en 2004 des Etats généraux et dont vous avez systématiquement négligé ou dévoyé les propositions.

Non, Madame la ministre, vos réformes ne résoudront en rien les problèmes des universités, mais ne feront que les aggraver.

Ces problèmes ? Encadrer nos étudiants comme nous devrions le faire. Leur offrir un nombre d'heures comparable à celui des élèves des classes préparatoires. Ne plus les entasser dans des amphithéâtres bondés. Leur assurer un suivi plus individualisé. Et amplifier notre effort de recherche alors que notre service d'enseignement est bien plus lourd que celui de nos collègues dans les autres grands pays de recherche et que les tâches administratives que nous devons assumer s'accroissent. Pour les résoudre, il aurait fallu un plan pluriannuel de l'emploi scientifique. Mais votre choix a été tout autre : diminution des recrutements, remise en cause de nos statuts, généralisation des emplois précaires et, comme les présidents d'universités vous l'ont vertement rappelé, moyens mis à la disposition des universités et de la recherche publique très insuffisants.

A effectifs constants, ce décret se traduira pour la plupart d'entre nous par un alourdissement de notre charge d'enseignement. Joint à une politique de primes et à des promotions à 95 % décidées au niveau local, il se traduira par la perte de l'autonomie des universitaires. Il suscitera une mise en concurrence malsaine des enseignants-chercheurs qui se fera au détriment de leur coopération, indispensable tant dans les équipes pédagogiques que dans les laboratoires, et finalement nuira à leurs étudiants et à leurs recherches. Il se traduira aussi par la perte de leur autonomie, ce projet soumettant les enseignants-chercheurs à l'arbitraire des décisions des présidents d'université. Autonomie qu'une «charte nationale» censée moraliser ces modulations - à ce jour une vague promesse -ne pourra garantir. Votre politique encourage le recours massif à des personnels précaires dont le nombre ne cesse d'augmenter, remettant ainsi en cause leur indépendance à l'égard des pouvoirs économiques et politiques et détournant de nombreux jeunes de nos métiers. A ce titre, elle est dangereuse, injuste et inefficace.

Non, Madame la ministre, et vous le savez, ce refus ne vient pas d'une minorité d'extrémistes. Il n'émane pas d'un personnel mal informé ou manipulé, pas plus qu'il ne s'agisse d'un refus partisan. La colère monte chaque jour davantage au sein de la communauté universitaire. Partout manifestations et assemblées générales se multiplient, des pétitions sont massivement signées et surtout phénomène exceptionnel dans notre milieu, l'un après l'autre les départements votent la grève : refus de rendre les notes, de tenir les jurys et même de démarrer les cours du second semestre. Les conseils centraux des universités, le Bureau de la conférence des présidents d'université et les trois quarts des membres de la conférence du Conseil national des universités ont eux aussi demandé le retrait de cette réforme !

Il ne s'agit pas là de réflexes corporatistes. Nous nous battons pour des valeurs. Celles de la connaissance, que vous revendiquez aujourd'hui et que pourtant vous n'avez cessé de mettre à mal. Pour la réussite de nos étudiants. Pour nos futurs collègues. Et chercher à nous faire taire, en reculant sur des points mineurs sans rien céder de l'essentiel ne résoudra pas la crise.

Nous vous demandons de retirer ce projet ! Nous demandons un moratoire sur les réformes dans la recherche et l'université afin qu'une réflexion soit menée sur l'ensemble du dispositif de l'enseignement supérieur et de la recherche, avec tous les personnels et les étudiants, leurs élus et leurs instances représentatives, afin de remettre en son coeur leurs finalités premières : la création et la diffusion de connaissances nouvelles.