Questions de société
Rentrée scolaire :

Rentrée scolaire : "le gouvernement a rompu avec l'idée de service public", entretien avec Stéphane Bonnéry (L'Humanité.fr, septembre 2009)

Publié le par Bérenger Boulay (Source : SLU)

Rentrée scolaire : « le gouvernement a rompu avec l'idée de service public , L'Humanité, septembre 2009

http://www.humanite.fr/Rentree-scolaire-le-gouvernement-a-rompu-avec-l-idee-de-service-public-d-education

Entretien réalisé par Ixchel Delaporte

Le sociologue Stéphane Bonnéry revient sur les étapes dudésengagement de l'État de l'éducation nationale. Pour lui, lesréformes du système scolaire sont partie prenante d'une refonte globaledes institutions.Stéphane Bonnéry est maître de conférences en sciences de l'éducation àl'université de Paris-VIII et responsable du réseau école du PCF. Il apublié la Construction des difficultés et des inégalités scolaires(2007), aux Éditions la Dispute.

Le système éducatif français ne cesse de subir des réformes, souventcontestées. À partir de quand peut-on parler d'un désengagement del'État de l'éducation nationale ? Stéphane Bonnéry. La question dudésengagement de l'État ne date pas du retour de la droite au pouvoir.On peut remonter à plus loin. Longtemps, l'État a développé lessystèmes éducatifs dans le seul but de stimuler l'économie. Parcequ'elle avait besoin d'une main-d'oeuvre plus formée. Autour des années1980, on a assisté à un basculement : les États intervenaient,orchestraient, donnaient des règles, impulsaient ou contraignaient maisne prenaient pas en charge le renforcement du système éducatif. Dans cecadre, des projets aux intentions louables ont vu le jour. Comme parexemple la création des ZEP (zones d'éducation prioritaire). Mais,rapidement, les dynamismes locaux ont été instrumentalisés pourdécharger l'État de ses objectifs financiers nationaux. On a faitcroire qu'une école différente pour les enfants des quartierspopulaires serait une meilleure solution, au lieu de mettre les moyenspour faire la même école qu'ailleurs. La droite a profité de ces zonesprioritaires pour opérer un désengagement net et brutal. Est-ce unestratégie politique que de délaisser le système éducatif ?

Stéphane Bonnéry. On ne peut pas dire que les politiques actuelsrecherchent moins d'éducation. Ils ont l'objectif de 50 % d'unegénération au niveau bac + 3. L'économie capitaliste en a besoin dansle cadre de l'économie de la connaissance. Il s'agit plutôt de rompreavec une conception de l'école comme service public d'éducationnationale avec le même objectif pour tous. Objectif d'égalité, deculture commune entre tous les citoyens du pays. La stratégie consisteplutôt à mener des politiques d'impulsion, de privation ou decontrainte, pour que la demande d'éducation soit satisfaite tout endégageant l'État d'un certain nombre d'obligations. Prenons l'écoleélémentaire : on supprime le samedi matin ; dans le même temps, oncharge les programmes avec l'apprentissage de l'anglais et del'histoire de l'art. Autrement dit, on diminue le temps d'enseignementet on augmente les objectifs. Puisqu'il est impossible de réaliser untel programme dans cet espace-temps, l'exigence se reporte sur lesfamilles. Tout cela n'est pas écrit noir sur blanc. Mais c'est ce quesous-tendent des réformes que l'on nous présente comme techniques etisolées mais qui, en réalité, forment un puzzle très cohérent.

La réforme de la formation des enseignants s'inscrit-elle dans cette tendance au désengagement ?

Stéphane Bonnéry. Oui. Quand on supprime la formation initiale àl'école, on supprime en même temps les stagiaires de cette formationinitiale. En faisant des remplacements, ils permettaient ainsi auxinstituteurs de suivre des formations continues. Si on supprime lapremière formation, on supprime par ricochet la deuxième. C'est-à-direque l'État se désengage de la responsabilité de former des enseignants.Le but du jeu n'est pas d'assurer l'égalité d'apprentissage pendant lascolarité, ni la réussite de tous dans chacune des filières. L'Étatcherche au contraire à individualiser la formation. Même constat pourla suppression de la carte scolaire. Elle permet à l'État de sedédouaner d'une quelconque obligation de scolariser tous les enfants.Conséquence directe de ces désengagements : l'aggravation desinégalités entre régions. C'est une première étape avant la réformeinstitutionnelle. Car les réformes scolaires ne sont pas étrangères àla réforme des institutions et de la territorialisation.

Comment s'articulent-elles ?

Stéphane Bonnéry. En Île-de-France, on n'est pas à l'abri d'unefuture suppression des académies, ce dont on peut discuter. Mais, dansce cas précis, il s'agit bien de rechercher la diminution des coûts etde réduire le nombre d'établissements en banlieue. Il semblerait qu'unplan expérimental se prépare pour créer des réseaux de lycées àl'échelle régionale, à partir desquels seraient gérés le personnel etles orientations. Ce qui s'apparente fort à un désengagement de l'État…Pour le primaire, on est en train de créer les EPEP (établissementspublics d'enseignements primaires), qui préconisent le regroupementd'établissements par réseaux avec un conseil d'administration géré demanière autonome. C'est une façon d'organiser la concurrence sur leterritoire, à l'échelle d'une ou plusieurs communes. Cela permet deregrouper des classes, de trier les élèves socialement et par niveau etsurtout de réduire les coûts.

Quelle est l'idéologie attenante à ces orientations ?

Stéphane Bonnéry. Pour faire passer la pilule du désengagement, ilfaut un paravent : la méritocratie. L'État nécessite son pourcentage degens à haut niveau. Puisqu'il ne veut pas payer pour tous, il doittrouver des systèmes de prélèvements de ceux qui ont des facilités etdont le retour sur investissement est garanti. Qui sont les perdants decet élitisme ? Évidemment les enfants des classes populaires. Même sil'ensemble des salariés adultes vont peu à peu perdre les formationsdiplômantes. Cet axe est stratégique car les diplômes communs auront demoins en moins de valeur. En s'attaquant aux qualifications et auxconventions collectives, on tire les salaires vers le bas.

Entretien réalisé par Ixchel Delaporte