Questions de société

"Réforme du lycée : les leçons d'un raté" (EducPros, 31.08.09)

Publié le par Bérenger Boulay

"Réforme du lycée : les leçons d'un raté", par Virginie Bertereau (avec MF), 31.08.09

http://www.educpros.fr/detail-article/h/09891dc957/a/reforme-du-lycee-les-lecons-d-un-rate.html

Laréforme du lycée verra bien le jour à la rentrée 2010. Le nouveauministre de l'Education nationale Luc Chatel l'a redit à sa conférencede presse de rentrée, le 31 août 2009. Le 1er septembre, lespréconisations des différents acteurs sont attendues sur son bureau, àpartir des propositions du rapport que Richard Descoings avait rendu àson prédécesseur, Xavier Darcos. Luc Chatel promet de donner sesorientations sur le nouveau lycée d'ici à fin septembre en souhaitantune réforme "ambitieuse". Parmi les idées très générales affichées :associer davantage les lycéens à la vie de leur lycée, mieux lespréparer au supérieur et rendre leur orientation "plus réversible".Quelles sont les chances de réussite de Luc Chatel ? Nous avons cherchéà comprendre à quels moments la stratégie politique mise en oeuvre parXavier Darcos avait échoué. Retour sur un an de tractations.

L'histoireavait pourtant bien commencé. "C'était bien la première fois qu'unministre parvenait à mettre tout le monde d'accord sur la nécessité etle cadre d'une réforme du lycée", raconte Roland Hubert, secrétairegénéral du puissant SNES (syndicat majoritaire dans le second degré).Xavier Darcos va oublier un petit détail : les lycéens.     

"C'est une bouffonnerie"

Pourceux qui connaissent cet ancien professeur agrégé de lettres classiquesen khâgne, ceci n'est pas une surprise. Déjà en 2000, dans son essai"L'art d'apprendre à ignorer" (Plon), il écrit que les lycéens"confondent parler et penser" et parle de la vaste consultation menéeen 1997 à la demande de Claude Allègre, ministre de l'époque, commed'un "gigantesque défouloir lycéen, conçu et managé surtout pard'inoxydables optimistes, [qui] vira donc au capharnaüm ludique, aun'importe quoi réjouissant, à l'impensable, au sens propre".

Huit ans plus tard, les mots ne sont pas plus tendres à l'égard desjeunes. Au printemps 2008, lorsque la jeunesse descend dans la rue pourprotester contre les 11 200 suppressions de postes prévues à larentrée, le ministre déclare : "Une fois les banderoles, les cercueils,les rimes sur Darcos en "os", du style "Darcos aux Galapagos" ou"Darcos, tu l'auras dans l'os" rangées, que restera-t-il sur le fond ?C'est une bouffonnerie. Ils peuvent défiler, mais tout ça ne sert àrien ! Les vraies questions sur l'inefficacité du système éducatifdemeureront". Aujourd'hui encore, un excellent connaisseur du dossierau ministère assure et assume : "Ce mouvement a été une grandesupercherie, une fumisterie. Comme si des enfants peuvent avoir un avissur l'éducation nationale et la bonne marche du pays !".

Une consultation passée inaperçue

Pourcalmer le jeu, Xavier Darcos précipite néanmoins la réforme du lycée,qu'il a en tête dès la campagne présidentielle de 2007. Des points deconvergence sont signés avec les syndicats d'élèves, d'enseignants, dechefs d'établissements. Jean-Paul de Gaudemar, le recteurd'Aix-Marseille, est nommé chargé de mission et entame une discrèteconsultation. Une erreur de casting ? "De Gaudemar est une personnalitéforte dans l'éducation nationale, mais il n'est pas médiatique. Deplus, il est loin de Paris", analyse aujourd'hui l'un des acteurs de laréforme. Sa consultation n'aura servi à rien. Pire, ses travaux fuitentet c'est l'hallali. "C'est évidemment le schéma le plusjusqu'au-boutiste, le plus révolutionnaire dans l'esprit "lycée à lacarte" qui a retenu l'attention. Le ministre aurait tout de suite dûdire "non, ce n'est pas cela qu'on va retenir", poursuit notreinterlocuteur.

La pression des lobbies

Dèslors, Xavier Darcos s'emploie à éteindre les incendies de toutes parts."Il a commencé à faire des comptes d'apothicaire sur des ½ heures decours à donner à telle ou telle discipline. L'architecture de laréforme a évolué en permanence sous l'impulsion des lobbies. Tout a étéfait en fonction des équilibres politiques – il s'agissait de ne fâcherpersonne – plus que des données techniques et pédagogiques. A partir dece moment-là, c'était la révolution ou le statu quo. Finalement, on aeu les deux !", analyse Philippe Meirieu, professeur en sciences del'éducation à l'université de Lyon. C'est ce moment que les lycéenschoisissent pour se rappeler au bon souvenir d'un ministre dont ilsdisent "qu'il ne les écoute pas, ne les respecte pas".

Ce jour où tout se joue

XavierDarcos improvise alors une consultation d'élus aux CVL (conseils de lavie lycéenne). Les "Ateliers du nouveau lycée" sont organisés le 15novembre 2008, à Palaiseau (91), sur le campus de Polytechnique.Quelque 2000 jeunes sont prévus au début. Finalement, le nombre desinvités est réduit à 600. Sur place, certains ont le sentiment d'êtremanipulés. "On a été prévenu il y a une semaine et, en arrivant ici, onnous a demandé de ne pas poser de question, dénonce l'un d'eux, Maxime.C'est comme si on nous avait attribué un rôle". Mauvaise décision selonce haut fonctionnaire qui a suivi tout le dossier : "Ce jour-là, leministre ne veut pas faire face aux lycéens. Il parle depuis la salle.Sa demi-mesure est une erreur. Les choses tournent finalement à lacontestation ouverte. Les lycéens ont un sentiment de toute puissancedevant les caméras". Cette journée aurait pu permettre à Xavier Darcosde retourner l'opinion lycéenne en sa faveur. La séance s'achève pardes huées, les lycéens dénonçant une "mascarade". La réforme ne s'enremettra pas.

Xavier Darcos défie les manifestants

Lemouvement lycéen repart de plus belle, notamment en Bretagne. Plusviolent, moins contrôlé par les syndicats, qui tentent néanmoins de lerécupérer. De nouvelles suppressions de postes ont été annoncées àl'Education nationale (13 500 à la rentrée 2009). La crise économiquecommence à prendre de l'ampleur. Tous les voyants virent au rouge… Dansle numéro de l'Etudiant de novembre 2008, la grogne monte. "On ne peutpas se réjouir d'emplois du temps plus lourds, de classes pluschargées, de plus de fatigue et de moins de marges de manoeuvre dansl'organisation", résume le proviseur d'un lycée dans le Sud.

Toutbascule en cinq jours. Le 10 décembre 2008, Xavier Darcos défie lesmanifestants sur Europe 1 : il concède une "petite concentration demécontentements" mais se dit "suffisamment ancien" dans l'éducation"pour avoir connu des situations semblables". Il ajoute qu'il ne serapas "le ministre de l'Hésitation nationale". Il accorde une interviewau Journal du Dimanche (prévue pour être publiée le 14 décembre) où ilprécise les contours de la nouvelle seconde. Le même jour,opportunément, la FIDL est mise sur la sellette via une affaire demouvements de fonds suspects auxquels Julien Dray, très proche del'organisation, serait mêlé. La partie contre les syndicats lycéens estpresque gagnée. C'était sans compter sur les Grecs…

Le recul de Nicolas Sarkozy

Leweek-end du 13 décembre 2008, Xavier Darcos est en voyage officiel enIsraël. De son côté, Nicolas Sarkozy rencontre ses collègues européensà Bruxelles. Tous craignent une propagation des émeutes lancées par lajeunesse grecque. Déjà, on manifeste en Italie et en Espagne. Etl'Angleterre et l'Allemagne semblent prêtes à emboîter le pas. Partéléphone, le président, le Premier ministre et le ministre décidentdonc de "restaurer le consensus" créé en juin 2008. En clair, laréforme est retirée. Pour la première fois, Nicolas Sarkozy recule.

Lecôté "prof distant avec les élèves" de Xavier Darcos ne fait plusrecette. Le président préfère tisser des liens de proximité avec lesjeunes. Ces derniers héritent d'un haut commissaire à la Jeunesse,Martin Hirsch, et d'un nouveau chargé de mission sur le lycée, RichardDescoings. Le très médiatique directeur de Sciences po entame un tourde France des lycées et reprend le dossier à zéro. Luc Chatel succèdeen juin 2009 à Xavier Darcos, promu ministre du Travail. Sur le bureaudu nouveau ministre de l'Education, les mêmes dossiers : suppressionsde postes (environ 16 000) et réforme du lycée. Luc Chatel attend pourle 1er septembre 2009 les remarques et observations de toutes lesparties.

Retrouvez le dossier sur la réforme du lycée sur le site letudiant.fr.

Virginie Bertereau (avec MF)

31.08.09