Questions de société
Réflexions sur le mouvement universitaire 2009 (Chimères n°70)

Réflexions sur le mouvement universitaire 2009 (Chimères n°70)

Publié le par Bérenger Boulay (Source : jean-philippe cazier)

Revue Chimères n° 70: DEDANS-DEHORS

Grèves, contestations, désobéissance. En psychiatrie et dans leshôpitaux, dans la recherche et l'enseignement, dans l'éducation...

Sur fond de crise durable, les mouvements de dissidence se multiplient contre les politiques économiques, sociales et institutionnelles actuelles. Est-ce la réponse d'un corps social blessé ? C'est la question que ce numéro de Chimères ne traite pas. Plutôt que de s'inscrire dansune lecture victimaire, ce numéro rassemble desarticles et des témoignages qui analysent les processuscontradictoires en jeu dans le démontage et la réédificationd'institutions diverses. Les mécanismes d'assujettissement se sont-ilstransformés ? Comment se réinventent des pratiques de terrain ? Commentsont créés ou détournés les dispositifs ? Comment penser et préparerdes lignes de fuite à travers et hors des cadres institutionnels ?

La proposition de ce numéro ? Rassembler les créativités des uns et des autres pour qu'elles essaiment.

Lire le descriptif complet de ce numéro.

Plusieurs articles reviennent sur le mouvement universitaire 2009 (extraits reproduits ci-dessous):

  • Alain Brossat/ Jacob Rogozinski, La grève universitaire : une ronde plus qu'une révolution
  • Jean-Louis Déotte, Quel sens peut avoir la lutte d'universitaires ?
  • Comité 227, ApPEL A gATEaU ET à lA PiOchE

La grève universitaire : une ronde plus qu'une révolution

Extrait d'un entretien avec Alain Brossat et Jacob Rogozinski autour du mouvement de grève universitaire – Mai 2009. Mathilde Girard et Elias Jabre pour Chimères

Le mouvement actuel des grèves étudiantes, et le déplacement des formes d'action par rapport aux nouvelles formes de pouvoir

Mathilde Girard : L'idée de cet entretien nous est venue avec AlainBrossat suite à une discussion que nous avons eue récemment sur lemouvement des grèves à l'Université ; en ce qui me concerne, bienqu'étant doctorante, je n'ai pas pris part au mouvement, d'abord parceque je travaille par ailleurs et parce qu'il est toujours complexe deprendre part à un tel événement sans y être tout à fait présent. Aucours de la discussion, il m'a semblé qu'il y avait beaucoup de chosesà dire sur l'analyse de cette séquence, et sur les échos qu'ellepouvait trouver auprès d'autres situations et questions politiquesactuelles. Suite à cela, Alain m'a transmis votre texte  et j'aisouhaité vous proposer une situation d'échange, dans le cadre de notreprochain numéro de Chimères sur les rapports entre institution etutopie, et sur les initiatives politiques qui cherchent des formesd'action déplacées par rapport aux formes usuelles. Avant d'engagerl'échange plus directement sur le mouvement, peut-être pourriez-vousnous dire un mot sur le moment dans lequel l'événement s'est placé àParis VIII ?

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Jean-Louis Déotte, Quel sens peut avoir la lutte d'universitaires ? 

Quel sens peut avoir la lutte d'universitaires ? Voir aussi : http://inter-seminaire.org/  : "Al'occasion des mouvements de ces dernières années nous avonsexpérimenté des formes de recherche et de relation au savoir enrésistance aux modèles dominants qui tendent à s'imposer.Indépendamment de la réussite ou de l'échec des différentes séquencesde lutte passées ou à venir, l'autonomisation de ces pratiques tant parrapport aux pressions économiques que par rapport aux cadresuniversitaires classiques - ouvrent sur un champ à explorer. S'y estfait jour, grâce au temps de la grève, l'intensité proprement politiquedu rapport entre la théorie et la pratique.
Cet "inter-séminaire" a pour vocation de faire résonner entre elles cesexpériences (groupes de réflexion et de recherche ouverts, mises enpratique de l'université expérimentale, séminaires de grève autogérés,etc.) afin qu'elles s'enrichissent mutuellement et qu'elles puissentmettre en commun des réflexions et des réalisations."

Extrait de l'article paru dans la revue papier

"(...) Le dérisoire de l'affaire, c'est que nos départements desciences humaines n'ont plus grand rapport avec ces lieux mythiques quefurent Vincennes ou le Collège International de Philosophie. Sarkozy acomme modèle Thatcher, mais il arrive trop tard. L'anachronisme estpatent, la « dame de fer » a conquis sa réputation en s'attaquant auxsyndicats d'une industrie déclinante (les mines), aujourd'hui il esttotalement contre-productif pour l'économie capitaliste, pour laquellele savoir a une valeur marchande, de détruire les lieux de productionde cette valeur. A quand un Ministère chargé de l'exportation dessciences humaines ?
La transformation du savoir universitaire en valeur marchande avaitfort bien été décrite par La Condition postmoderne de Lyotard (1979),petit ouvrage fort excitant qui n'était autre que le résultat d'unecommande du CNRS canadien. Il était inévitable alors que lesuniversités deviennent des sortes de supermarchés des connaissances etdes savoir-faire. Cette fragmentation des sciences humaines enparticulier (la diversification indéfinie des studies) ne pourrait êtreendiguée que par la refondation d'une véritable Science sur un socleontologique. Mais c'est une fiction théorique. Que Benjamin dénonçaitdéjà dans son texte de jeunesse sur La vie étudiante.

Ce qu'aura apporté le mouvement, qui n'innove paspar ses revendications, parce qu'il est acculé à la résistance et qu'ilest donc réactif au sens de Deleuze dans son Nietzsche (le contraire dela réactivité en politique communicationnelle), cela aura étél'élaboration d'un espace politique en réseau grâce à internet. LesCoordinations Nationales des Universités auront été préparées, semaineaprès semaine, par de très longs débats où tous les points épineuxauront été soulevés et travaillés par une masse considérable de savantsmettant à la disposition de leurs collègues leurs spécialités. Cette «préparation » nationale est devenue le réseau des réseaux (puisquechaque université, voire chaque département en grève était un réseau),elle a été un lieu d'élaboration des idées pendant toutes ces semainesrendant impossible la mainmise sur elle par un groupe organisé.L'espace politique est devenu intrinsèquement technologique (ce qu'ilavait toujours été, mais alors, c'est devenu évident, faisant époque)et de fait anti-blanquiste. Cette structuration s'est faite audétriment du schéma classique de la représentation sociale, lavisibilité du mouvement a de fait été moindre (mais les médian'étaient-elles pas acquises d'entrée de jeu à la contre-réforme ?). Legain d'énoncés argumentatifs a été considérable puisqu'une puissanceincroyable a été mise en réserve et n'attend plus qu'un incident pours'épancher à nouveau. Le dilemme classique entre « être » d'un côté et« relation » de l'autre est dépassé au profit d'individualitéss'individuant du fait de la richesse de leurs relations (Simondon).

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Comité 227, ApPEL A gATEaU ET à lA PiOchE  :

ApPEL A gATEaU ET à lA PiOchE TELECHARGER LE MANIFESTE

À PARTIR DE NOVEMBRE 2008, se tinrent des rencontres régulières entredes étudiants, des enseignants et des personnels administratifs dudépartement de philosophie du Mirail. L'objet de ces rencontres étaitde prendre collectivement la mesure des différentes réformes del'enseignement supérieur imposées au pas de charge par le gouvernementFillon, et ses ministres Pécresse et Darcos, réformes localementrelayées avec grand zèle.
Très vite ces rencontres, qui se sont ouvertes à des personnes venantd'autres horizons, ont pris une teneur politique qui s'est radicaliséeet aiguisée tout au long de la grève universitaire qui débuta dès finjanvier 2009. Le « comité 227 », qui n'est ni une organisation, quirécuse toute « identité » aux contours censés être bien définis, est levisage que ces rencontres ont progressivement prises : un « comité » dequelques dizaines de personnes, dont le lieu de réunion était la sallen° 227 de l'UFR Lettres-Philosophie-Musique du Mirail. Letexte-tractmanifeste… (c'est selon), reproduit ici, a été élaboré audébut de mai 2009, et diffusé à un millier d'exemplaires,essentiellement sur le campus du Mirail. L'espoir et l'objectif sontévidemment de faire durer ce comité 227, et de maintenir suractive sonintransigeance démocratique et sa libre parole.