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Redéfinitions de la séquence dans la narratologie postclassique: rapport du 1er colloque international organisé par le Réseau romand denarratologie

Redéfinitions de la séquence dans la narratologie postclassique: rapport du 1er colloque international organisé par le Réseau romand denarratologie

Publié le par Bérenger Boulay (Source : Raphaël Baroni (RRN))

Le Réseau Romand de Narratologie (RRN) vise à assurer aux études narratives et à la théorie du récit contemporaine une meilleure visibilité dans la région romande, il a également pour but de favoriser les échanges entre les chercheurs locaux et les principaux centres européens et internationaux, aujourd'hui fédérés sous l'égide du European Narratology Network et de l'International Society for the Study of Narrative. Au vu des récentes évolutions de la narratologie, le réseau est résolument interdisciplinaire et il est ouvert à toute personne qui souhaiterait y adhérer. Outre la mise en circulation d'informations (annonces de publications et d'événements, liens vers des groupes, des réseaux ou des revues), le RRN organise, à un rythme régulier, des rencontres scientifiques sous forme de colloques et de journées d'étude.

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Colloque RRN 2011 : Redéfinition de la séquence dans la narratologie postclassique
Du 20 au 21 mai 2011 à l'Université de Fribourg
Pour consulter le programme et pour lire le rapport

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La revue Enthymema publie une série d'entretiens qui se sont déroulés en marge du premier colloque international du RRN (Réseau Romand de Narratologie). On y trouve notamment  des entretiens avec Meir Sternberg, Marie-Laure Ryan, Eyal Segal et Raphaël Baroni, ainsi qu'une synthèse de ces deux  journées et un article critique de Franco Passalacqua et Federico Pianzola intitulé : « Continuity and break points: some aspects of the contemporary debate in narrative theory ».

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Rapport du 1er colloqueinternational organisé par le Réseau romand denarratologie

Le premiercolloque organisé par le Réseau Romand deNarratologie (RRN) visait à interroger la question de la séquence narrativeet sa reformulation par ce que l'on désigne, depuis une douzaine d'années,comme la narratologie « postclassique ». Ainsique l'affirme David Herman :

Repenser le problème des séquencesnarratives permet de promouvoir le développement d'une narratologiepostclassique qui n'est pas nécessairement poststructuraliste, une théorieenrichie qui se dessine à partir de concepts et de méthodes auxquels les narratologuesclassiques n'avaient pas accès.[1]

Durant lecolloque, cette étiquette « postclassique » a été mise en discussion,dans la mesure où elle ne fait que désigner, en négatif, tout ce que la théoriedu récit a pu produire en dehors des approches dites « classiques », termequi recouvre les travaux d'inspiration structuraliste, notamment ceux qui ontété produits par les narratologues français des années 1960 et 1970. Parconséquent, l'approche rhétorique d'un Wayne C. Booth, qui est antérieure à cestravaux, ou la logique de l'action d'un Claude Bremond (dont les virtualitéssoulignent la nécessité de relire les récits « à l'endroit ») pourraientêtre considérés comme « postclassiques », ce qui n'a évidemment pasde sens. En revanche, certains conférenciers et membres du public (dont MonikaFludernik) ont souligné la valeur « performative » d'une telleétiquette, dans la mesure où il peut être utile, dans certains contextesinstitutionnels, de souligner que la narratologie est une discipline encorebien vivante et qui ne se limite pas à une seule approche épistémologique, qu'ellesoit de nature formaliste ou structuraliste. Compte tenu de cette diversitéd'approches, plusieurs théoriciens actuels[2]proposent de renoncer à parler de « la » narratologie, qu'elle soitclassique ou « postclassique ». Il y aurait plutôt « des »narratologies, ou simplement différentes formes d'« étudesnarratives » se rattachant à des modèles épistémologiques oudisciplinaires plus larges (p.ex. la linguistique textuelle, la rhétoriquelittéraire, la poétique de la fiction, le cognitivisme, etc.).

Ce que lesconférences ont permis de souligner, c'est que de la Poétiqued'Aristote aux dernières tendances inspirées par les travaux cognitivistes, enpassant par les approches sémiotiques, linguistiques ou rhétoriques, la manièredont les événements racontés s'insèrent dans une séquence a toujours fait débat.Par ailleurs, cette question est liée avec celle, tout aussi essentielle et complexe,de savoir ce qui définit de manière essentielle la « narrativité », cequi fait qu'un récit est un récit, et pas une description, une explication, uneargumentation, ou quelque chose d'autre.

Loin dedéboucher sur un consensus, les différents points de vue exprimés durant cesdeux journées ont souligné qu'il y a de nombreuses façons d'aborder leproblème : on peut mettre l'accent sur les schémas (cognitifs,intertextuels) qui permettent de construire la fabula à partir de lareprésentation narrative, et sur la manière dont cet « interprétant »du récit nous mène dans des impasses ou, au contraire, nous permet d'anticiperles virtualités de l'histoire sous la forme d'abduction sur-codées ou sous-codées(Pier, Baroni). On peut aussi insister sur le réaménagement séquentiel del'action opéré par le signifiant narratif et sur la fonction d'une telletransformation, ce qui peut nous amener à réfléchir sur la dimensionconfigurante du récit ou, à l'inverse, sur la construction de réalités singulièresou collectives, d'événements réversibles ou irréversibles, voire impossibles(Kafalenos, Ryan, Richardson), ou enfin sur la réticence d'une narration quivise à nouer une intrigue en engendrant du suspense, de la curiosité ou dessurprises (Sternberg, Segal, Baroni). On peut également réfléchir sur lahiérarchisation entre différents niveaux de séquentialité hétérogènes (Adam) ousur les liens entre les séquences d'action et la racontabilité de l'histoire, ainsique sur l'événementialité de non-événements, quand ces derniers entrent entension, pour le lecteur, avec des événements attendus (Hühn, Revaz, Boillat).Enfin, ce ne sont pas seulement les approches théoriques qui permettent defaire varier le point de vue sur la séquentialité narrative, mais également lescorpus de référence qui influencent les horizons théoriques. C'est en effetl'un des développements les plus marquants de la théorie du récit contemporaineque de s'émanciper des modèles littéraires et/ou conventionels de lanarrativité. Plusieurs conférenciers ont ainsi montré la manière dont laséquentialité du récit est affectée par sa mise en oeuvre dans des récits« artificiels » explorant les limites du concevable (Richardson), oudans des récits collectifs (Kafalenos), en réseaux (Ryan), en bande dessinée (Revaz& Boillat) ou enfin dans une forme musicale partageant certains traitsdéfinitoires avec la narrativité (Toolan).

D'unemanière générale, et en dépit de différences sensibles entre des approches quine cherchent plus à se constituer en une discipline unifiée, les conférenciersont souligné l'importance de redynamiser la séquence narrative en l'abordantpar le biais d'une approche rhétorique visant à décrire des effets de lecture,ou par celui des compétences cognitives des interprètes et de leur actualisationdes récits. Dans une telle perspective, de nouvelles questions peuvent ànouveau être adressées à la nature, à la fonction et au fonctionnement des séquencesnarratives, que ce soit dans le cadre restreint d'une poétique de lalittérature ou, plus largement, dans une réflexion portant sur l'ensemble desrécits verbaux ou non verbaux.

Durant le premiercolloque du RRN, non seulement nous avons eu le plaisir d'accueillir des conférenciersinfluents, qui représentaient les centres de recherche internationaux les plusdynamiques actuellement – que ce soit en Suisse, aux Etats-Unis, à Paris, à Hambourg,à Birmingham ou à Tel Aviv – mais nous avons également eu le privilèged'accueillir un public tout aussi international, avec des participants venantd'Italie, d'Autriche, d'Allemagne, de Belgique, de France et même du Canada. FrancoPassalacqua et Federico Pianzola ont réalisé une série d'entretiens avec lesconférenciers afin de produire un compte rendu dans la revue électronique Enthymema (International Journal of Literary Theory,Criticism and Philosophy[3]).

Malheureusement, pour des raisonsacadémiques, James Phelan a dû renoncer à présenter sa conférence, mais sacommunication sera publiée avec les actes du colloque. Par ailleurs, pour desraisons médicales, John Pier n'a pas été en mesure de présenter lui-même saconférence, qui a été lue par Gerald Prince et qui sera également publiée. Lapublication des actes est prévue pour 2012 et fera l'objet d'une annonceultérieure par le biais d'une lettre d'information du RRN.


[1] David Herman, « Scripts, Sequences, and Stories: Elements of aPostclassical Narratology », PMLA, n° 112 (5), 1997, p.1048-1049.

[2] Voir par exemple Ansgar Nünning, « Narratologie ounarratologies ? Un état des lieux des développements récents :Propositions pour de futurs usages du terme », in Narratologiescontemporaines. Approches nouvelles pour la théorie et l'analyse du récit,J. Pier and F. Berthelot (dir.), Paris, Editions des archives contemporaines,2010, p. 15-44.

[3] http://riviste.unimi.it/index.php/enthymema/index