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Nouvelle parution
Recherches croisées, n°13 :

Recherches croisées, n°13 : "Aragon / Elsa Triolet"

Publié le par Matthieu Vernet

Recherches croisées, n°13 : "Aragon / Elsa Triolet"

Sous la direction de Corinne Grenouillet (ERITA, Équipe de Recherche Interdisciplinaire sur Elsa Triolet et Aragon)

Strasbourg : Presses universitaires de Strasbourg, 2012.

EAN 9782868204868.

256 p.

Prix 20EUR.

Table

Recherches croisées Aragon / Elsa Triolet, présentation

 

Aragon et l’histoire


Marie-France BOIREAU, p. 9
Le sentiment du tragique dans les premiers romans du Monde réel

Erwan CAULET, p. 21
Portrait de groupe avec Aragon

Aurore PEYROLES, p. 43
“Bonnes” et “mauvaises” histoires :
Les Communistes ou la “contre-scénarisation” faite roman

Corinne GRENOUILLET, p. 59
Soldats africains et question coloniale dans l’oeuvre d’Aragon

Elsa Triolet


Marianne DELRANC-GAUDRIC, p. 83
Elsa Triolet, Lili et Ossip Brik, Maïakovski, Jakobson, Aragon :
une constellation intellectuelle et artistique (Les Lettres françaises, 1968)

Aragon, arts et intertextes


Maryse VASSEVIERE, p. 95
Aragon et la peinture soviétique

Josette PINTUELES, p. 121
Les illustrations de L’Oeuvre Poétique
d’Aragon ou comment faire circuler le lecteur

Julie MORISSON, p. 141
Le discours critique d’Aragon sur l’art dans les années cinquante

Patricia RICHARD-PRINCIPALLI, p. 165
Aragon lecteur de la comtesse de Ségur

Aragon et les jeunes gens
Correspondances inédites

Marianne DELRANC-GAUDRIC
Aragon, Éluard, et les mystères de Paris, p. 185
Henri DROGUET
Rencontre avec Aragon, p. 191

Lettres d’Aragon à Henri Droguet , p. 197

Interview d’Aragon (Rinascita, 1968)

Maryse VASSEVIERE
Une interview de 1968, p. 215

« Conversazione con Aragon », p. 217
Entretien d’Aragon avec Maria Antonietta Macciocchi
et Giansiro Ferrata, Rinascita, n° 8, 23 février 1968, p. 21-26

Résumé des articles, p. 245

Table des matières, p. 25

 

Résumés des articles

 

Marie-France Boireau, « Le sentiment du tragique dans les premiers romans du Monde réel »

Les trois premiers romans du cycle sont orientés vers la guerre ; le romancier articule la recherche des causes pour comprendre l’événement de le Grande guerre, tout en laissant sourdre, dans un certain nombre de détails du texte, la hantise de la fatalité de la guerre, d’autant qu’en 1936, au moment où il publie Les Beaux Quartiers, Aragon sent monter le péril fasciste qui pourrait mener à une seconde guerre, même si l’Histoire ne se répète pas. Il montre ainsi que la guerre n’est pas fatale puisqu’on peut en rechercher les causes et comprendre l’événement. Cependant, au-delà de l’analyse des causes, plane dans ces romans la hantise du fatum. La fatalité est particulièrement sensible dans la dernière partie des Cloches de Bâle. Le romancier cède à « l’illusion rétrospective de la fatalité » (Raymond Aron) en ne respectant ni l’horizon d’attente (au sens des historiens), ni le champ d’expérience des personnages. Dans Les Beaux Quartiers, ce sont essentiellement les images qui rendent compte de cette présence de la guerre, telle l’image du sang dans les Halles. Aragon affirme que le roman est « un langage qui ne dit pas seulement ce qu’il dit mais autre chose encore, au-delà » ; c’est dans cet au-delà que s’inscrit cette hantise de la fatalité de la guerre. Le penseur marxiste, le militant, la repousse, comme le romancier qui exhorte son lecteur, sans toutefois faire disparaître cette ambiguïté. Les premiers roman du Monde réel constitue ainsi une oeuvre ouverte au sens où l’entend Umberto Eco, et non pas, comme on l’a trop souvent dit, oeuvre à thèse.


Erwan Caulet, « Portrait de groupe avec Aragon »

L’article développe deux idées. La première ébauche le portrait de l’intellectuel communiste en critique littéraire ; la seconde propose une analyse du cas Aragon à ce miroir. Et ce pour la période de l’après-guerre, celle où le « champ littéraire » communiste est le plus structuré : revues, maisons d’édition… ; celle où la « contrainte » est la plus pesante – c’est la Guerre froide. L’article cherche ainsi à reconstituer la « petite bibliothèque rouge » communiste, telle que les échantillons constitués par les « bibliothèques des batailles du livre » et la page littéraire des Lettres françaises (particulièrement le feuilleton d’André Wurmser) permettent de la restituer : quels livres sont lus, mis en avant, rejetés ? Selon quelles logiques ?... L’idée est de saisir l’univers littéraire, la « culture littéraire » communiste, c’est-à-dire ce qu’est concrètement être intellectuel et communiste, ce qu’est concrètement la production d’un savoir par un communiste. Puis l’article prolonge le questionnement dans le cas d’Aragon et pose une série de jalons sur son insertion dans ce cadre d’ensemble : sa conformité à celui-ci, sa distance à lui, son insertion dans la dynamique d’ensemble, de la polémique avec Garaudy en 1946 marquant la plongée dans la Guerre froide aux articles à dimension dérogeante et dissonante de la même période… Il cherche à repérer les signes de l’appartenance d’Aragon, le périmètre de son allégeance non par lui-même mais au miroir du « portrait de groupe » de l’intellectuel communiste en critique littéraire. D’où le « portrait de groupe, avec Aragon ».

Marianne Delranc Gaudric, « Elsa Triolet, Maïakovski, Lili et Ossip Brik, Jakobson, Aragon… Une constellation créatrice (Les Lettres françaises, 1968) »

Depuis le début des années soixante, l’intérêt grandit en France pour les travaux des Futuristes et Formalistes russes. Elsa Triolet, par sa diffusion auprès du public français des oeuvres de Maïakovski et de celles de ses compagnons, n’est pas étrangère à cette curiosité. Par ailleurs, Roman Jakobson, son ami d’enfance, développe ses recherches en linguistique qui convergent avec celles de Claude Lévi-Strauss et de François Jacob, comme en témoigne un fameux débat télévisé en 1968. Cette même année, la revue soviétique Ogoniok attaque violemment Lili et Ossip Brik et, indirectement, Maïakovski. Elsa Triolet répond en expliquant les fondements du Futurisme de Maïakovski ; Roman Jakobson et Léon Robel viennent étayer sa protestation.

Marianne Delranc Gaudric, « Aragon, Éluard et les mystères de Paris »

Rédigeant un mémoire de maîtrise sur Éluard en 1969, Marianne Delranc-Gaudric avait posé à Aragon une question sur le titre Paris pendant la guerre. C’est sa réponse qui est publiée.

Henri Droguet, « Rencontre avec Aragon »

Le poète Henri Droguet, qu’Aragon découvrit dans Les Lettres françaises en 1968, évoque sa correspondance avec Aragon et sa rencontre avec l’écrivain en 1970. Quatorze lettres (écrites entre 1968 et 1974) sont publiées ici.

Corinne Grenouillet, « Soldats africains et question coloniale dans l’oeuvre d’Aragon »

Aragon a rencontré « l’autre » africain sous l’espèce de soldats lors de la Première guerre mondiale et au cours de la Seconde. La reconstitution de cette rencontre à travers ses romans tardifs révèle qu’elle s’opéra sur le mode d’une extériorité empathique. Les positions du jeune Aragon évoluèrent vers un anticolonialisme marqué au moment de l’exposition coloniale de 1931 et les romans du Monde réel sont frappés au sceau d’une dénonciation de l’esprit colonial. Les épisodes de Fachoda et d’Agadir y révèlent que l’Afrique n’intéresse les protagonistes (et l’auteur) qu’à titre d’excroissance territoriale où se jouent des affaires politiques (et parfois économiques) de l’Europe. L’épisode de La Horgne, décrivant la lutte acharnée et le sacrifice (réel) de soldats africains dans Les Communistes ressort avec d’autant plus de singularité ; il est mis en parallèle avec un poème de circonstances de 1949, dans lequel Aragon s’emploie à célébrer l’union des combattants, blancs et noirs, mineurs et Africains, au moment d’une visite à Paris d’hommes politiques africains. Quel est le sens, littéraire et humain, mais aussi politique de ces textes ? Il s’agit pour Aragon d’inscrire les soldats africains dans un espace textuel commémoratif et de leur rendre l’hommage que l’État français devrait à leur courage et leur vaillance.

Julie Morisson, « Le discours critique d’Aragon sur l’art dans les années 1950 »

Dès lors qu’il prend la direction des Lettres Françaises, Aragon intensifie son activité critique, ce qui lui donne l’occasion d’affirmer son discours critique et politique et d’affiner sa prose. Il s’agira de s’interroger sur la position esthétique et idéologique du journal et de voir la place qu’y tient Aragon entre fidélité au Parti, défense du réalisme socialiste et mise en garde contre la simplification de l’esthétique socialiste. Cette dernière notion ouvre de nombreuses discussions et donne au journal une structure conversationnelle. Dans le foisonnement réflexif des Lettres Françaises Aragon occupe une place centrale, en raison de son rôle de chef d’orchestre des débats, de la singularité de son discours et de la teneur de sa prose. Ses articles usent de la même forme conversationnelle que le journal. Sa critique joue de registres proprement littéraires et tire le discours esthétique du côté du romanesque et de l’émotion. Elle permet de s’interroger sur le rapport complexe qu’Aragon entretient avec la critique d’art, entre intérêt pour la discipline et rejet de la dénomination. La critique aragonienne se fraie un chemin entre dimension romanesque, poétique ou épique et dimension philosophique et sociale : elle tend vers l’essai et avoue sa filiation avec la pensée esthétique et politique.
Patricia Richard-Principalli, « Aragon lecteur de la comtesse de Ségur »

Quelle âme divine, petit texte écrit par l’enfant Aragon âgé de huit ans, et publié en tête du recueil Le Libertinage en 1924, témoigne du lien consubstantiel qu’Aragon a entretenu dès l’enfance avec l’écriture. Pour l’auteur des Incipit ou je n’ai jamais appris à écrire (1969), ce texte illustre ce qui caractérise d’emblée sa démarche d’écriture, et que les généticiens appellent l’écriture à processus. Pour les critiques, il montre en quoi le biographique est d’emblée un catalyseur de l’écriture. C’est ici un troisième aspect qui est envisagé : le rôle des lectures d’enfance dans la construction d’un imaginaire d’auteur, et plus précisément la constitution du Général Dourakine de la comtesse de Ségur comme intertexte durable et fructueux, non seulement dans Quelle âme divine mais aussi dans La Semaine sainte, écrit plus de cinquante ans plus tard. En effet le personnage de Simon Richard reprend la figure ségurienne du forçat évadé de Sibérie, en 1815 ; ainsi l’évocation ségurienne des camps irrigue de façon clandestine la superposition stéréoscopique des camps sibériens, tsaristes et soviétiques. D’autres éléments témoignent d’une proximité poétique et biographique entre les oeuvres des deux auteurs.

Josette Pintueles, « Les illustrations de L’Oeuvre Poétique d’Aragon ou comment faire circuler le lecteur »

En rassemblant son Oeuvre Poétique entre 1974 et 1981 au Livre Club Diderot / Messidor, Aragon accompagne ses poèmes de nombreux documents permettant d’en saisir les circonstances, dont une abon¬dante iconographie très variée. Ces illustrations, indéniable atout pour la vente par courtage à un public bibliophile, après les Oeuvres Romanesques Croisées d’Aragon et Elsa Triolet également illustrées, rappellent les liens étroits entre Aragon et certains peintres. Mais elles ont de quoi surprendre les lecteurs, et davantage les lecteurs communistes ; elles se démarquent très nettement des ORC, aussi bien dans les choix opérés que dans la méthode. L’analyse de ceux-ci porte sur les sept premiers tomes, composés par l’auteur, et montre d’abord comment Aragon s’approprie ces illustrations et les incorpore à son oeuvre, puis comment il renonce à « l’illustration journalistique  » pour introduire des jeux sémiotiques divers et pour inciter le lecteur à circuler dans l’ensemble de son oeuvre, avec ses digressions et ses palimpsestes. Ces illustrations, marquées à la fois par l’anamnèse du surréalisme et par l’esthétique du journal, contribuent à poser les questions esthétiques et idéologiques présentes dans L’Oeuvre Poétique, parfois sous forme d’énigmes ou d’une contrebande à laquelle Aragon a habitué son lecteur.

Aurore Peyroles, « “Bons” et “mauvais” récits  : Les Communistes, roman de la “contre-scénarisation” »

Dénonçant sans relâche les histoires et les discours mensongers produits par des pouvoirs manipulateurs, le dernier roman du Monde réel se présente comme une vaste entreprise de démystification, mettant à nu ce que les récits trompeurs dissimulaient, accusant d’un même geste la réalité mise au jour et les histoires qui la maintenaient dans l’ombre. Les histoires racontées par les puissants et complaisamment relayées par la presse majoritaire sont rendues à ce qu’elles sont, des mensonges extraordinairement néfastes. Mais cette dénonciation des récits dominants, rendus à leur rôle idéologique de manipulation, n’implique aucunement de renoncer au récit lui-même pour se faire entendre. Les personnages appartenant au « bon camp », eux aussi, racontent des histoires, eux aussi font confiance aux pouvoirs de la narration pour jouer un rôle d’influence politique, à l’image bien sûr d’Aragon romancier. Seulement, différence de taille, ce dernier réinvestit la forme narrative pour lui assigner d’autres fins : les récits ne serviront plus le maintien au pouvoir des puissants, mais, au contraire, leur contestation. Entre dénonciation et réinvestissement, la détente est double, et c’est ce double mouvement que permet de saisir la notion de « contre-scénarisation » forgée par Yves Citton. L’affrontement des deux camps antagonistes – dominants et dominés – n’a pas lieu que dans les rues ou au parlement : il se déplace sur la scène narrative et prend aussi la forme d’une rivalité des histoires. La victoire reviendra au camp qui élaborera les meilleures, les plus prenantes et les plus convaincantes ; Les Communistes comptent bien contribuer à ce combat narratif aux enjeux considérables, à la mesure des pouvoirs prescriptifs de « scénarisation » que possède le récit. L’élaboration d’un récit communiste efficace – se distinguant de son adversaire tant par le contenu que par la forme – apparaît comme une nécessité politique capitale, et c’est elle qu’entend accomplir le dernier roman du « Monde réel ».

Maryse Vassevière, « Aragon, Breton et la peinture soviétique »

La longue série d’articles d’Aragon sur la peinture soviétique en 1952 (Lettres françaises nos 398 à 412, du 12 janvier au 2 mai) sera considérée comme relevant de la « polémique cachée » (Bakhtine) avec Breton, grand pourfendeur des croûtes que produit en URSS le réalisme socialiste en art. Après avoir analysé la pragmatique d’une critique d’art originale développée par Aragon (et notamment la stratégie et la démarche argumentative ainsi que le ton si particulier fait d’un mélange d’emphase et d’ironie), on a étudié les enjeux du débat avec Breton pour finir par dégager quelques traits d’Aragon critique d’art : lutte permanente contre l’art abstrait et définition renouvelée du réalisme. Tout en reconnaissant les limites d’une certaine peinture soviétique et du dogme jdanovien, Aragon, par honnêteté intellectuelle, se montre soucieux de montrer à son public français la variété de la production soviétique reliée à la grande tradition russe (sculpture, peinture « d’idées », peinture de paysage, peinture historique (les « peintres de bataille »), peinture de genre, dessins et caricatures, photographie et portrait). Sans minimiser la faiblesse des Prix Staline – et donc en donnant implicitement raison à Breton –, Aragon n’en relève pas moins la portée exemplaire de la peinture de paysage de Georguy Nisski, qui sera envisagée comme une étude de cas pour ce que pourrait être un réalisme socialiste bien compris, et jusque dans sa portée contestataire.

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Pour en savoir plus (lire les résumés de chaque article), consultez le site de l’ERITA (Équipe de Recherche Interdisciplinaire sur Elsa Triolet et Aragon)  : http://www.louisaragon-elsatriolet.org/spip.php?article410