Essai
Nouvelle parution
R. Muchembled, Une Histoire de la violence.

R. Muchembled, Une Histoire de la violence.

Publié le par Marc Escola

Une histoire de la violence - De la fin du Moyen-Age à nos jours
Robert Muchembled


Paru le : 21/08/2008
Editeur : Seuil
Collection : L'Univers historique

EAN : 9782020818452
Nb. de pages : 498 pages

Prix éditeur : 21,50€


L'actualité place sans cesse la violence sur le devant de la scène.

Thème important pour les sociologues et les politiques, elle est aussi un objet d'histoire. À rebours du sentiment dominant, Robert Muchembled montre que la brutalité et l'homicide connaissent une baisse constante depuis le XIIIe siècle. La théorie d'une " civilisation des moeurs ", d'un apprivoisement voire d'une sublimation progressive de la violence paraît donc fondée. Comment expliquer cette incontestable régression de l'agressivité ? Quels mécanismes l'Europe a-t-elle réussi à mettre en oeuvre pour juguler la violence ? Un contrôle social de plus en plus étroit des adolescents mâles et célibataires, doublé d'une éducation coercitive des mêmes classes d'âge fournissent les éléments centraux de l'explication.

Progressivement, la violence masculine disparaît de l'espace public pour se concentrer dans la sphère domestique, tandis qu'une vaste littérature populaire, ancêtre des médias de masse actuels, se voit chargée d'un rôle cathartique : ce sont les duels des Trois Mousquetaires ou de Pardaillan, mais aussi, dans le genre policier inventé au XIXe siècle, les crimes extraordinaires de Fantômas qui ont désormais à charge de traduire les pulsions violentes.

Les premières années du XXIe siècle semblent toutefois inaugurer une vigoureuse résurgence de la violence, notamment de la part des " jeunes de banlieues ". L'homme redeviendrait-il un loup pour l'homme ?

Sommaire:

Qu'est-ce que la violence ?
Le spectaculaire déclin de la violence
Les fêtes juvéniles de la violence
La paix urbaine à la fin du Moyen Age
Caïn et Médée ; Homicide et construction des genres sexués (1500-1650)
Duel nobiliaire, révoltes populaires
La violence apprivoisée (1650-1960)
Frissons mortels et récits noirs (XVIe-XXe siècle)
Le retour des bandes ; adolescence et violence contemporaines

L'auteur:

Robert Muchembled, professeur à l'université de Paris-Nord, Visiting Professor à l'université du Michigan à Ann Arbor, ancien membre de l'lnstitute for Advanced Study de Princeton, il a écrit plus de vingt ouvrages traduits en une vingtaine de langues.
Il a notamment publié, au Seuil, Une histoire du diable (2000) et L'Orgasme et l'Occident (2005).

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Le site nonfiction.fr a donné une recension de cet ouvrage: 

"Histoire de la violence ou comment civiliser les moeurs".

Dans Libération daté du 18/9/8, on pouvait lire un article sur cet ouvrage:

"Gestion des coups

Histoire. Robert Muchembled analyse crimes et châtiments depuis l'an 1300. JEAN-YVES GRENIER

Le recours à la violence physique est en constantrecul en Europe occidentale depuis la fin du Moyen Age, malgré unelégère remontée depuis les années 60. Norbert Elias, dans deux livrescélèbres, expliquait cette spectaculaire évolution en évoquant unprocessus de «civilisation des moeurs» et de monopolisation dela violence par l'Etat. Explication éclairante mais pas entièrementsatisfaisante selon Robert Muchembled, qui insiste sur latransformation radicale, entre 1300 et 2000, de la culture de laviolence, qui passe du statut de «langage collectif normal producteur de lien social»à celui de tabou majeur. Surtout, il souligne la forte permanence dansl'identité des auteurs d'homicides : très peu de femmes (autour de 10%) mais beaucoup de jeunes hommes entre 20 et 30 ans, c'est-à-dire desjeunes cherchant à s'insérer dans la société des adultes.

Fêtes.L'hypothèse de l'auteur est que la violence homicide estliée aux mécanismes de remplacement des générations. Les adultesinstallés s'efforcent de tenir les célibataires mâles à l'écart de lasociété, afin de retarder le moment où ils prendront leur place. Laviolence juvénile résulte de cette tension et de la concurrenceexacerbée qu'elle provoque. En échange du fait qu'ils acceptent unelongue et pesante attente, en particulier pour accéder au marchématrimonial, les jeunes ont obtenu le droit d'exercer une violence plusou moins ritualisée, mais parfois mortelle. Une preuve de cettepermission tacite est la mansuétude, voire l'indifférence, de lajustice, au moins jusqu'au XVIIe siècle, à l'égard descoupables d'homicides, d'autant plus s'ils sont de sexe masculin. Enrevanche, un puissant interdit social pèse sur la violence féminine,longtemps perçue comme plus dangereuse et «anormale», donc plus souventsanctionnée. Jusqu'au XVIIe siècle, au sein d'un mondesaturé de brutalité, la mort violente semble donc assez ordinaire,voire admise, hormis les formes extrêmes comme l'assassinat délibéré oule parricide.

Le processus de pacification commence très tôt, selon Muchembled, dès le XVe siècle,et il n'est pas d'abord dû à l'État mais à l'essor des grandes villes,en particulier aux Pays-Bas et en Italie. La civilisation des moeurs estnée dans un terreau urbain, la concentration croissante de populationrendait indispensable une régulation de la violence. Les édilesréussissent à désamorcer l'agressivité juvénile de deux façons. D'aborden canalisant les énergies dans des fêtes et des compétitions ludiquesorganisées entre les cités, ce qui renforce par ailleurs la cohésionurbaine au détriment des étrangers et des marginaux. La violence alorsn'est pas bannie, loin de là, mais elle est mieux contrôlée grâce àcette «invention de l'adolescence». Ensuite en multipliant lesemprisonnements, et surtout les lourdes sanctions pécuniaires contreles petits actes de violence afin d'empêcher le cercle infernal desvengeances mortelles, selon une logique qui rappelle la «tolérancezéro» des villes américaines d'aujourd'hui. L'expulsion ou lebannissement des plus agressifs a cependant un coût, car cettepacification urbaine provoque une aggravation de l'insécurité hors desenceintes de la ville et sur les grands chemins.

Duel. C'est au souverain et à l'Etat de s'occuper de ces marges,en mettant en place un système répressif plus centralisé, souvent audétriment des justices municipales. C'est ainsi que, en Europe, uneprofonde mutation des pratiques judiciaires se produit entre 1550 et1650. Elle conduit à une véritable criminalisation de l'homicide et del'infanticide, qui apparaissent à partir des années 1630 dans tous lesEtats, catholiques et protestants, comme de véritables abominations.Faute de moyens, la monarchie multiplie les châtiments publics, dontl'aspect spectaculaire doit éduquer les sujets par la terreur, enparticulier les exécutions qui deviennent dans toute l'Europe «un véritable théâtre sacré». On retrouve ici les analyses classiques proposées par Michel Foucault dans Surveiller et punir.S'appuyant sur des recherches récentes, Muchembled s'en démarquecependant, en soulignant l'adhésion des petites gens à ces pratiquesconsidérées comme nécessaires pour rétablir l'ordre de l'universperturbé par le criminel. Cette pédagogie, particulièrement destinéeaux adolescents, se montre redoutablement efficace, et elle provoque endeux ou trois générations une sensible réduction de la violence. Aussiobserve-t-on, bien avant l'émergence des Lumières, un net recul del'usage de la torture et des mutilations corporelles. Le célèbredémembrement de Damiens en 1757 étudié par Foucault n'est qu'uneexception, motivée par l'exceptionnelle gravité du régicide.

Dans cette chronologie longue, il faut accorder une place à cette spécificité française qu'est le duel, «séquelle modernisée du droit de vengeance».Son importance historique tient au fait qu'il tend à autoriser à lanoblesse le recours à la violence privée parce que la monarchie abesoin de guerriers aguerris pour ses conquêtes. Cette transformationd'une violence privée illégitime vers une violence publique etmilitarisée au service de l'Etat est un modèle qui servira d'exemple.

De 1650 à 1960, la violence est en effet à peu près apprivoisée enEurope grâce à l'expansion coloniale et les nombreuses guerresintestines qui permettent à la fois d'entretenir l'agressivité virileet de la canaliser afin qu'elle ne perturbe plus l'ordre public. Lesbourgeoisies européennes du XIXe siècle peuvent ainsis'enorgueillir d'avoir apprivoisé, grâce à l'armée mais aussi à l'usineou à l'école, cette violence des classes populaires, de plus en plusperçues comme des classes dangereuses. Désormais, c'est le vol que lasociété ne tolère plus. Dès le XVIIIe siècle, en particulieren Angleterre, la justice sanctionne plus durement, parfois même de lapeine capitale, ce qui n'était souvent perçu jusqu'alors que comme uneaffaire privée. «Le noeud du conflit symbolique» entre les générations montantes et les adultes est transféré vers la défense de la propriété.

«Rite».Les violences urbaines, en particulier celles denovembre 2005 en région parisienne, sont à comprendre dans cette longueperspective historique. Leur caractère «protopolitique», leur déroulement en dehors de tout cadre établi, rappellent les révoltes paysannes du XVIIe siècle,elles aussi animées d'un fort sentiment d'injustice contre leshumiliations quotidiennes et remplies d'une dimension festive. «Quece soit au village voici un demi-millénaire ou dans les banlieuesd'aujourd'hui, le fossé entre les générations se creuse donc moins parla volonté des fils rétifs ou agressifs que par celle des pères, quiveulent imposer un long rite de passage avant d'accéder à la plénitudede l'existence.» La fermeture du marché matrimonial a certes étéremplacée par le chômage des jeunes, mais l'engendrement de la violencepar la marginalisation est identique. «La fin de la violence est-elle possible ?»se demande l'auteur en conclusion. L'affrontement des générationsexacerbé par la concurrence libérale ne laisse guère aujourd'hui deraison d'espérer."