Essai
Nouvelle parution
R. Duchêne, Les Précieuses ou comment l'esprit vint aux femmes.

R. Duchêne, Les Précieuses ou comment l'esprit vint aux femmes.

Publié le par Marc Escola (Source : Livre reçu)

Vient de paraître:

Roger Duchêne, Les Précieuses ou comment lesprit vint aux femmes, Paris, Fayard, 2001, 568 p. 28 Euros.

Prière d'insérer:

Les Précieuses ridicules ont lancé Molière, revenu à Paris après douze années de province. Tout le monde a voulu voir sa pièce, et personne na remarqué quelle ne traitait pas le sujet prévu dans son titre.

Molière annonce une cible et en vise une autre. Sous couleur de se moquer de deux précieuses provinciales, il sen prend à la galanterie à la mode, dont les manières, lhabillement, les façons de parler fournissent une riche matière à la caricature théâtrale. Il prend aussi parti, vigoureusement, contre la galanterie culturelle, celle qui règne à la cour de Foucquet, alors au sommet de sa puissance, qui sappuie sur son secrétaire à la culture, Pellisson, pour promouvoir, contre le pédandisme des spécialistes, une littérature moderne, à la portée de tous les honnêtes gens et particulièrement des femmes. Il sen prend, à travers Mlle de Scudéry, aux réussites de cette culture, le roman mondain et les petits jeux écrits de lamour tendre.

Contrairement à lopinion reçue, les précieuses, avant Molière, nexistent guère quà la cour. Les gazettes donnent volontiers ce nom aux filles et aux femmes de lentourage immédiat de la régente. Camarades de jeux et de plaisirs du jeune roi, elles nont rien de ridicule. Les autres précieuses, quelles soient louées ou attaquées, sont rarement nommées dans quelques pages disparates. Avant Molière, elles navaient dexistence que dans un long roman, dont les personnages féminins sont fictifs. Labbé de Pure prétendait y décrire une nouvelle nature de femmes, entièrement tournées vers lesprit. En fait, il évoquait, à travers leurs discussions, tout ce quon avait dit et écrit, depuis plus dun siècle, sur le droit des femmes daccéder à la vie de lesprit, à la lecture, voire à lécriture, et sur leur pénible condition conjugale. Telles étaient les vraies questions, celles dont sinquiétaient toutes les femmes capables den poser, et non dun groupe particulier.

Molière les ignore et invente pour les besoins de sa farce des personnages sans rapport avec la réalité, qui se singularisent plaisamment par leur mise et leur langage à part. Un langage quil a largement inventé. Le public sen amuse et continue de sen amuser aujourdhui. Le procédé réussit si bien quon essaie de lui voler sa pièce, quon la lui réécrit, quon en fait une suite. Il avait donné des précieuses une image réductrice. Somaize, qui sest emparé du sujet, la réduit plus encore chaque fois quil le reprend. Puis il multiplie les précieuses dans un prétendu Dictionaire où se mêlent femmes de tous âges aux expressions bizarres.

Insaissables avant Molière parce quon ne sait qui elles sont ni ce quelles sont, les voici encore plus insaisissables maintenant quon en montre partout et de toutes sortes. La critique, depuis, na fait que les multiplier encore, définissant lindéfinissable pour ne pas dire linexistant.

La nouveauté du livre de Roger Duchêne, cest davoir repris lenquête à zéro, davoir précisément analysé dans lordre chronologique ce quon a dit des précieuses au fil du temps. Cest le moyen de montrer quil y a un avant et un après Molière, dans la représentation que lon sest faite de personnages largement imaginaires. Cest aussi un point de vue privilégié pour découvrir la difficulté dêtre femme sous Louis XIV.

Les Annexes du volume offrent de larges extraits de textes du XVIIe siècle relatifs à la préciosité, dont le Dictionnaire de Somaize.