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Querelles d'écrivains (XIXe-XXIe siècles) : de la dispute à la polémique. Médias, discours et enjeux.

Querelles d'écrivains (XIXe-XXIe siècles) : de la dispute à la polémique. Médias, discours et enjeux.

Publié le par Marion Moreau (Source : Denis Saint-Amand)

Querelles d'écrivains (XIXe-XXIe siècles) : de la dispute à la polémique. Médias, discours et enjeux

Cinquièmesjournées d'études du groupe COnTEXTES

Corollaire négatif de laconcorde, l'inimitié est aussi le propre de toute forme de sociabilité. Elle yintervient doublement en principe deralliement à un camp et en facteur de disqualification de ceux qui n'en sontpas. À ce titre, la querelle fait partie intégrante de la conditiond'homme de lettres. Elle semble même constituer la réalisation la plus manifestedes relations oppositionnelles qui dynamisent le champ littéraire dans la luttepour les profits symboliques et matériels. Dénombrant les partisans et les dissidents, elle polarise les échangeset peut constituer l'occasion d'une mise en scène de soi, comme écrivain ounon, au point que certains se spécialisent dans l'imprécation et lapolémique. Qu'on songe aux cas symptomatiques de Gustave Planche s'érigeant enspécialiste de la critique acerbe et s'attaquant avec un égal plaisir, pour desraisons diverses, à Hugo, Balzac ou Lamartine, et, plus près de nous, de PierreJourde fustigeant, entre autres, Angot, Despentes et Beigbeder, coupables à sesyeux d'être les producteurs d'une « littérature sans estomac ».Rançon du succès ou moyen de se constituer une postérité, la querelle concernedirectement les écrivains reconnus, qui ont pour la plupart concentré nombre deréactions conflictuelles envers leurs idées, leur personne et leurs écrits.Elle n'épargne pas non plus les minores,chez qui elle anime intensément toute une intertextualité autour de larevendication d'originalité et du soupçon de plagiat. Enfin, les médiateurs dulittéraire que sont les journalistes et les éditeurs se trouvent bien souventpris dans le vif de ces querelles qu'ils subissent ou alimentent à leuravantage.

L'intérêt actuel pour l'étude des controverses scientifiques,philosophiques et politiques contribue à mieux comprendre la dispute en sonprincipe dynamique et structurant dans la formation des groupes, dans l'échangedes idées, dans les modes de positionnement. S'agissant des disciplineslittéraires, une approche historienne des dissensionsà l'oeuvre au sein de la République des Lettres a trouvé sa première étude dès1761 avec les Querelles littérairesd'Augustin Simon Irailh. Aux apports successifs des études d'histoirelittéraire s'est ajouté le développement des approches en rhétorique et enanalyse du discours, qui a notamment favorisé la connaissance de l'éristique etdes caractéristiques du discours polémique. Il reste cependant de vastesterrains à défricher concernant le rôle socialisateur, créatif et dynamisant dela dispute. Si elle trouve sa place comme principe structurel dans lemodèle explicatif de la sociologie des champs, connaît-elle pour autant unespécificité en littérature, où prévaut aussi l'investissement dans l'illusio ?

Dans ses enjeux comme dans lesdiverses formes de sa manifestation, il se pourrait que la querelle littérairesoit pleinement tributaire de ce principe de croyance intéressée. Comment, de personnelle et ponctuellequ'elle est, la dispute peut-elle devenir l'objet d'une esthétique littérairetraduite à divers degrés dans une oeuvre ou dans les valeurs partagées par unensemble d'auteurs ? Comment lapolémique anime-t-elle la vie littéraire en suscitant des manières de se faireconnaître par distinctions et accointances ? Quels enjeux recouvre-t-elledu voile de l'invective et de l'affect ? Les différences sémantiques entre« controverse », « polémique » et « dispute »trouvent-elles un sens dans le débat conflictuel en littérature, où sereconfigurent les partages entre persuasion rationnelle et réactionémotive ?

Plusieurs axes de recherchecomplémentaires se dégagent de cette réflexion sur la spécificité des querelleslittéraires.

1) Rhétorique de la polémique.

Au-delà des seuls cas bien connusde l'attaque ad hominem et de lacréation de sobriquets péjoratifs (ainsi de George Sand, « vache bretonnede la littérature » selon Jules Renard et« Hermaphrodite-circoncis » selon Lautréamont), l'étude des figures de style et des schémasargumentatifs pourrait déterminer dans quelle mesure la manifestation dela haine de l'écrivain repose sur une maîtrise du langage et sur le recours àla communication écrite différée. L'évolution de l'art de l'épigramme en offreune illustration significative. Ladispute comme objet discursif peut en outre révéler comment se créent desprises de parole qui fonctionnent comme autant de prises de position etengagent certaines représentations discursives du locuteur.

2) Postures et trajectoires depolémistes.

Quelle importance la querelle peut-elle avoir dans la trajectoire d'unécrivain ? Méconnu, ce dernier peut être tenté de se constituer avec elleune visibilité littéraire. Reconnu, il peut la subir en tant querésistance à une routinisation des codes esthétiques et à uneinstitutionnalisation des écoles littéraires. La dispute peut-elle composeravec certaines stratégies d'entrée dans le champ ? La mise en perspective publique des différends est porteuse d'enjeuxqui dépassent le seul phénomène mondain de spectacularisation dessociabilités littéraires, chacune engageant ses rites et ses modes dedistinction. Si les manières de créer la polémique en littérature peuventcontribuer à se donner une visibilité médiatique, il convient d'examiner les postures – au sens oùViala et Meizoz entendent ce concept – quecristallise une querelle littéraire, au fur et à mesure que se distribuent lesrôles d'arbitre, de polémiste mordant, de pacificateur, etc. Ces posturesparticipent-elles chez l'écrivain à la constitution d'un statut d'intellectuelet à la politisation des points de vue sur le littéraire ? Il est utiled'examiner à ce propos les modalités d'émergence publique de la querelle, entenant compte du nombre d'agents impliqués et de l'audience donnée auphénomène.

3) Les lieux génériques de la polémique.

On connaît bien les supports privilégiés que constituent, pour leséchanges antagoniques, le manifeste, le pamphlet, la correspondance et lemétadiscours critique de type journalistique. Quels sont les codes etles tons liés à ces genres et régimes ? Quelles conditions en font desréceptacles de prédilection pour la manifestation de divergencesd'opinion ? Outre ces lieux génériques privilégiés, qu'en est-il des thématisations de ladispute dans une oeuvre romanesque oupoétique ? La genèse de certains textes peut s'avérer éclairante,comme l'est la pièce de théâtre intitulée LaGuerre des Lettres, à l'origine du CharlesDemailly des frères Goncourt.

4) Valeurs et usages de la dispute.

Que peut apporter aux étudeslittéraires l'investigation ciblée des disputes nombreuses et variées quisemblent constituer la loi de fonctionnement du petit monde de lalittérature ? Si l'intérêt socio-littéraire des querelles peut résiderdans une forme de réflexivité qu'elles engendrent à travers les commentairesévaluatifs sur un style, une esthétique, une appartenance à une école ou unstatut d'écrivain, comment traiter ce matériau testimonial sans amalgamer troprapidement les faits, les représentations et les discours ? Quels sont lesmoyens d'objectiver l'expression des affects et l'exaspération desinterférences cristallisées par ces différends ? De telles considérationsappellent une révision méthodologique et métacritique de la querelle érigée enobjet d'étude scientifique.

Ces journées d'études auront pour cadrechronologique la période qui va du XIXe siècle, moment où s'achève l'autonomisation dulittéraire par, notamment, une internalisation des règles du jeu et desprofits que celui-ci permet de générer,au XXIe siècle, oùs'affirme un rôle public de l'écrivain en intellectuel et/ou en personnalitémédiatique — ces transformations socio-historiques posant avec insistance laquestion d'un rôle structurel des querelles littéraires. Les journées sedérouleront à l'Université de Liège les 7 et 8 avril 2011. Les communications réserveront une place centrale à laproblématisation. À cette fin, elles se garderont de privilégier l'anecdotepour elle-même et s'efforceront autant que possible de la mettre en perspectivepour contribuer à une réflexion générale, comparative et/ou épistémologique.Les propositions de contribution de 250 à 300 mots sont à envoyer au format PDFà Denis Saint-Amand (Denis.Saint-Amand@ulg.ac.be) et à Valérie Stiénon (V.Stienon@ulg.ac.be) pour le 30 septembre 2010.

Pistes bibliographiques

Angenot Marc, La Parole pamphlétaire. Contribution à latypologie des discours modernes, Paris, Payot, 1982.

Boquel Anne et Kern Étienne, Une histoire des haines d'écrivains. De Chateaubriand à Proust,Paris, Flammarion, 2009.

Boyer-Weinmann Martine et Martin Jean-Pierre, Colères d'écrivains, Nantes, Éditions Cécile Defaut, 2009.

Glinoer Anthony, La Querelle de la camaraderie littéraire.Les romantiques face à leurs contemporains, Genève, Droz, 2008.

Grojnowski Daniel,« Préface » et notes à l'édition de Jules Huret, Enquête surl'évolution littéraire, Paris, José Corti, 1999.

Julliard Claire, Les Scandales littéraires, Paris, Librio, 2009.

Kempf Roger, L'Indiscrétion des frères Goncourt,Paris, Livre de Poche, 2006.

Larochelle Marie-Hélène(dir.), Invectives et violences verbalesdans le discours littéraire, Québec, Presses de l'Université Laval, 2007.

Larochelle Marie-Hélène, Poétique de l'invective romanesque,Montréal, XYZ Éditeurs, 2008.

Lefrère Jean-Jacques et Pierssens Michel (éd.), Querelles et invectives, actes dudixième colloque des Invalides, Tusson, Du Lérot, 2007.

Sapiro Gisèle, La Guerre des écrivains 1949-1953,Paris, Fayard, 1999.

« Comment on se dispute. Les formes de la controverse de Renan àBarthes », Mil neuf cent. Revued'histoire intellectuelle, n° 25, 2007.

« Esthétiques de l'invective », dossier Études littéraires, sous la direction de Marie-Hélène Larochelle,vol. 39, n° 2, 2008.

« Les bibliographies annotées de ADARR », Argumentation & Analyse du Discours. URL : http://www.tau.ac.il/~adarr/index.files/biblios.html.

Sur larhétorique du discours polémique : http://www.tau.ac.il/~adarr/index.files/bibliographies/discourspolemique.htm.

Sur la violenceverbale, l'invective et l'injure : http://www.tau.ac.il/~adarr/index.files/bibliographies/violence.html.