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"Quels outils théoriques pour étudier la parole balzacienne?" Séminaire Balzac, « Dynamiques de la parole »

Publié le par Laure Depretto (Source : Christèle Couleau)

Séminaire Balzac - Année universitaire 2014-2015

« Dynamiques de la parole »

(José-Luis Diaz et Christèle Couleau)

Séance du 24 janvier 2015 :

"Quels outils théoriques pour étudier la parole balzacienne ?"

10h-13h, Paris 7, Grands Moulins, 5-7, rue Thomas Mann, Bibliothèque Seebacher Bât A, 2e étage

Cette séance a pour objectif de présenter différents outils théoriques permettant de se « saisir » de la parole balzacienne pour l’étudier sous ses divers aspects. Nous nous situerons donc à la confluence des sciences du langage, de la sociologie, de la philosophie et de la psychanalyse, avec toujours en ligne de mire les spécificités du texte balzacien. La séance se composera de quatre brefs exposés, suivis d’une discussion appuyée sur les textes :

La parole comme relation (Aude Déruelle)

La parole comme représentation (Boris Lyon-Caen)

La parole comme prise de position (Christèle Couleau)

Parole et vérité (Jacques-David Ebguy)

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Programme complet du séminaire :

  • 22 novembre 2014

José-Luis Diaz (Paris 7) : « Sociotopes conversationnels » (Grands Moulins, 5-7, rue Thomas Mann, 75013-Paris, Bât. C, 6e étage, salle 695-C, de 10 h à 12 h 30)

  • 24 janvier 2015                   

Christèle Couleau (Paris 13), Aude Déruelle (Orléans), Jacques-David Ebguy (Paris 7), Boris-Lyon Caen (Paris IV) : « Quelles théories pour la parole balzacienne ? »

  • 14 mars 2015                       

Éric Bordas (ENS Lyon), Lola Kheyar Stibler (Paris III), Jérémy Naïm (Paris III), Stylistique(s) de la parole balzacienne

  • 28 mars 2015

Carte blanche à Dominique Maingueneau  (Paris IV)

  • 23 mai 2015

Carte blanche à Catherine Kerbrat-Orechionni (ENS Lyon)

  • 19-20 juin 2015

Colloque du GIRB (Université Paris 7) - voir appel à contributions ci-dessous

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Appel à contributions pour le colloque :

« Dynamiques de la parole »

La parole est partout chez Balzac, elle fuse, elle touche, elle pique, elle tue. Saisie au vol ou longuement méditée, exaltée ou moquée, chargée d’humour, d’esprit ou de drame, elle met le texte en mouvement, lui insuffle son énergie, son rythme, ses arabesques. Ses expressions caractéristiques, ses inflexions charismatiques, sa circulation rhizomatique traversent et transforment l’écrit qui essaie de l’attraper, de la traduire, de la faire partager. Balzac met en scène, en voix et en mots, la parole de ses personnages, mais depuis au moins Une conversation entre onze heures et minuit (janvier 1832), il ne cesse de penser le « phénomène oral » sous tous ses aspects. Sotto voce souvent, mais avec assiduité. En pragmaticien, en philosophe, en physicien et en stratège du langage, mais aussi et d’abord en romancier. Là aussi, là d’abord s’exerce sa « pensée romanesque du langage » (Philippe Dufour).

Quelques pistes de réflexion

  • Balzac pragmaticien

Balzac témoigne d’une attention constante au mécanisme socio-linguistique des échanges oraux. Lui aussi, lui déjà aime à envisager les cas où « Quand dire c’est faire » (James Austin) ; lui aussi cherche à savoir « Ce que parler veut dire » (Pierre Bourdieu). À tous les niveaux de la communication (Florence Terrasse-Riou) – encodage et décodage, profération, réception, interprétation, code et canal, destinateur, destinataires et tiers entendants –, il réfléchit en acte aux puissances du langage oral, à ce qui trame dans les interactions verbales de la vie quotidienne (Catherine Kerbrat-Orechionni). Et le roman tel qu’il le réinvente se met au défi d’en saisir les dynamiques. Il se fait déjà « roman parlant » (Jérôme Meizoz).

  • « Démarches », pouvoirs, plaisirs de la parole

Théorisation, observation analytique, scientifique, axiologisation, philosophie de la parole.

Projet d’une théorie physiologico-sociale de la parole : « […] à une époque où, plus que jamais, la parole est devenue une puissance, je ne troquerais pas mon Économie et nomenclature des voix pour René » (Traité des excitants modernes, 1839, XII, 306).

Pour ce Balzac-là, pragmaticien et dynamicien, la parole est la « démarche de la pensée » (Théorie de la démarche, 1833).

Calcul des effets, de l’énergie, de l’influence, du magnétisme, des ravages de la parole. Force illocutoire et perlocutoire.

Métaphores guerrières : « la Parole, espèce d'arme à bout portant » (Albert Savarus). La force du langage oral se manifeste d’autant plus que les moyens sont réduits. À la parole verbeuse, oratoire ou dilatoire, s’oppose la parole immédiate, brachylogique, dont la force se condense en une phrase, voire en un seul mot…« qui tue » : « Tout un avenir pouvait être déterminé par une phrase. Aucun code, aucune institution humaine ne peut prévenir le crime moral qui tue par un mot » (Le Contrat de mariage).

Parole agissante, pouvoir d’attraction, de séduction, de destruction du verbe. En retour, paroles creuses, sans effet, sans pouvoir.

Pouvoir/vouloir de la parole. Libido de l’oralité : celle du bavard, de l’orateur, de la « belle parleuse ». Plaisir du conte, du récit, du mot d’esprit. Quand dire, c’est jouir. Séductions, coquetteries, tromperies, révélations. Effets adventices ou supplétifs du « corps parlant », lorsque « le langage des yeux suppléa à l'impuissance du discours » (La Femme de trente ans) et que les « yeux écoutent ».

  • Panorama, échantillonnage de la parole

Au niveau des formes qu’elle prend selon le nombre de participants de l’interaction. Soliloque, monologue, discours, allocution, confidence, entretien, conversation, dialogue, symposium, brouhaha, « concert » polyphonies verbales, etc.

Au niveau individuel, celui des « idiolectes ». Portraits de parole. Physiologie du bavard, de l’orateur, du charlatan, du commis-voyageur, du prêtre en chaire, de la déesse de salon, du muet (M. de Bargeton), etc., avec les ordinaires interactions entre ces différents postes de parole. Gaudissart haussant son bagout commercial jusqu’au discours parlementaire, qui déjà bourgeonne dans son monologue intérieur, ou bien Rogron pris entre réel et imaginaire : «  Ce bavard se croyait un orateur » (Pierrette).

Au niveau des sociolectes, celui des univers discursifs (sociaux, professionnels, genrés). Discours construits, institutionnels, par disciplines, par secteurs de la vie sociale : ainsi du « discours matrimonial », du « discours néo-chrétien », etc. Paroles typiques, inévitablement stéréotypées. Autant de sociotypes, autant de sociolectes.

Présence et effets du « discours social ». Ce que « on » dit. Ex. des « cancans d'Alençon » que le chevalier de Valois appelle ses « gazettes en cotillon ».

Mais aussi, entre bien d’autres paroles normées, les « fragments du discours amoureux », entre déclaration, stéréotypes, narcissisme et faux semblants. Tout y est dans l’« ’accent », voire dans le pur phatisme. Ainsi dans ces « entretiens sans but ni physionomie dont les phrases les plus vides de sens sont celles qui cachent le plus de sentiments » (Le Bal de Sceaux).

Ou encore, quelle parole pour les femmes : entre caquetage, esprit, maternage linguistique et parole amoureuse.

  • Rebonds : joutes verbales et conversations

Sociotopes conversationnels : privé/public, le salon contre la tribune, la parole orgiaque polyphonique. Ce qui se dit au confessionnal, dans les bureaux, dans les salons, dans les tribunaux, du haut de la chaire, au boudoir, etc.

« Combats de paroles » parlementaires, « où les discours sont comme des charges de cavalerie qui ne dissipent point l'ennemi » (La Cousine Bette) vs « duels de paroles » (Mme de Listomère vs l’abbé Troubert).

Sociabilité, aspect choral, esprit, répartie, texte et sous-texte, spectacle, secret, confidence, conventions/provocations, habiletés/maladresses, pique, invective, avoir le dernier mot.

  • Circuits de la parole

Réseaux, rumeurs, leitmotive, échanges.

« De quel lieu parlez-vous ? » Parler haut, de haut, d’en bas, d’à côté (« Il y a toujours du monde à côté »).Topiques et paratopies (Dominique Maingueneau).

Paroles rapportées, citées, déformées. Réinterprétations, réappropriations, parasitismes. Effets de « seconde main ».

Parole donnée, pactes de parole, fiduciarisation. La parole comme échange. Lois du langage et lois de la parole.

Économie, monétarisation de la parole. Le baron Nucingen se sert des « plaisanteries consacrées en y voyant une sorte de monnaie pour la conversation ». Dénonciation des gens qui vous vendent la « fausse monnaie de leurs phrases ».

  • Dramaturgie de la parole

Théâtralité, dramatisation, places et faces.

« Scénographies d’énonciation » (Dominique Maingueneau).

Comment parlent les « comédiens sans le savoir ». Rôles et acteurs.

Tirades, répliques, déclamations, phrases de rentrée, tirades de sortie.

Suspens, apartés, secrets, quiproquos, coups de théâtre, aveux. Parole qui tue, accuse, délivre, sauve, noue et dénoue…

  • Mécaniques de la parole

Procédés rhétoriques, styles, stratégies

Flux, rythme, action/réaction.

Ambiguïté, ironie, blague, allusion, échos, refrains, blague, jeux de mots.

  • Temps et contretemps de la parole

« Mots à la mode » /paroles datées, « parlotes » et « parlures », « idiomes et argots », « phraséologies » datées. Pour une histoire balzacienne des chronolectes.

Parole attendue/à propos/différée, moments de grâce/ratages, paroles malvenues, déplacées, « malheureuses » (Bouveresse), malentendus, silences béants, silences éloquents, accidents de la conversation (La Muse du département).

  • Habiter la parole

Ethos, postures, scénographies.

Charisme, vérité, sincérité, masque et mensonge, falsifications, artefacts.

Peut-on dire la vérité ? Dire « les choses comme elles sont »(Lousteau) ?

Simulations : « Nous nous adressâmes des phrases effarées comme celles de gens surpris qui simulent une conversation » (Honorine).

Parler avec la parole de l’autre : imitations, parodie, modèles, influences. Discours « à la Sganarelle », « à la Phocion ». Bixiou imitant Nucingen, Mistigris contrefaisant Oscar.

  • Écrire la parole

Formes de présence de la parole en roman : discours direct, indirect, indirect libre, narrativisé. Recours préflaubertien aux italiques et aux guillemets pour distancier/marquer les « parlures » des personnages (Éric Bordas).

Ethos montré vs ethos dit (Dominique Maingueneau) : la parole vive, la parole-texte et leur commentaire.

Comment rendre compte du « phénomène oral », de son rythme (discours, conversation, trait d’esprit), de ses inflexions (voix, chant, tonalités, accents), de sa présence vive (charme, émotion, interaction du non-verbal), de l’unicité de sa profération (d’où son caractère intraduisible), de ses « effets », jeux et enjeux à plusieurs bandes. Idée récurrente d’une sténographie.

L’oral et l’écrit. La littérature au défi de la parole

Rendre une conversation de salon parisienne, en ses scénographies, ses écarts, ses pulsations, ses ellipses, ses non-dits, tel est le défi que (se) lance Balzac dès 1832. C’est aussi celui que Bixiou relève dans La Maison Nucingen (1838), roman-conversation parmi bien d’autres (Les Comédiens sans le savoir, Un homme d’affaires, etc.). Balzac-Bixiou s’y dit obligé de sortir des « conditions littéraires » pour rendre à cru le festival désorchestré de la parole sociale, ses pantomimes (Diderot), ses faux semblants, ses mimodrames perpétuels. Mais il faudrait aussi comparer les performances de l’oral et de l’écrit, quand cela est possible, ne serait-ce qu’en mettant en regard l’oral et l’écrit des écrivains. Canalis, Lousteau, Nathan : quels ethos, plume et langue ?

Il est de plus des formes d’écrit qui sont censées avoir un rapport direct avec la parole : la lettre, « conversation par écrit » (celles de Balzac, celles de ses romans) : la presse, qui « a hérité de la Femme », avec ses « feuilletons »-causeries. L’oral selon Balzac journaliste et analyste de la presse. Oralité/épistolarité des formes de la critique balzacienne. Quant au théâtre de Balzac, où seul en principe le discours direct est admis, sans commentaire off, sinon les didascalies, quelle meilleure jauge pour évaluer le « roman parlant » balzacien ? Vautrin en cabinet de lecture, Vautrin devant le souffleur, est-ce bien le même ?

Enfin, la littérature, la rhétorique, le journalisme et les arts fonctionnent souvent comme une sorte d’équivalent général pour parler parole (par catachrèse) : d’où la « préface » honnie qu’inflige Raphaël de Valentin à l’auditeur de sa confession lors de la soirée Taillefer, les « tartines » de Mme de Bargeton, les « duos de dialectique » et les « sonates de parole » de Mme de La Baubraye, etc.

L’ensemble du corpus balzacien pourra être étudié, tout en tenant compte de spécificités de chaque genre.