Essai
Nouvelle parution
Quelques nouveautés Slatkine, Champion, Droz, printemps 2002

Quelques nouveautés Slatkine, Champion, Droz, printemps 2002

Publié le par Marc Escola

Patricia Victorin, Ysaïe le Triste, une esthétique de la confluence. Tours, Tombeaux, Vergers et Fontaines, Slatkine, coll. "Bibliothèque du XVe siècle", 2002. 1 vol., in-8, 504 p., relié, ISBN 2-7453-0616-2 CHF 105 ht / 76 ttc.

Dans cet ouvrage, Patricia Victorin propose de nous faire découvrir Ysaïe le Triste, roman tard venu(première moitié du XVesiècle ?) et encore largement méconnu. Il témoigne dune nette évolution parrapport à ses modèles littéraires, le Tristan en prose et la Mort Artu. Bien quil se présente comme leursuite, il se clôt de manière atypique sur un double geste épique : il renoue avec les chansons de gesteconsacrées à Aubéron et sachève sur une fresque sarrasine. Le nain hideux Tronc, mentor deschevaliers et maître de la diégèse, introduit la veine burlesque et participe activement dune esthétiquede la confluence qui mêle les registres, les voix et les genres littéraires. Les nouveaux chevaliers, Ysaïeet son fils Marc, ne défendent plus, comme leurs illustres prédécesseurs, lidéal courtois désormaisincarné par la voix de Marthe. Enfin les lieux fondateurs de larthurianisme sont comme vidés de leurcontenu au profit du verger des fées, véritable fabrique du roman, reliquaire de la tradition arthurienneet tombeau des héros.

Houdar de la Motte, Textes critiques. Les raisons du sentiment, édition critique avec introduction et notes dirigée par Françoise Gevrey et Béatrice Guion, Champion, coll. "Sources classiques", 2002. N° 35, 1 vol., 14 x 22 cm, 848 p., relié, ISBN 2-7453-0500-X CHF 160 ht / 117 ttc.

Diderot estimait les réflexions critiques de celui quil nommait l« ingénieux La Motte ». La présente édition quirassemble les écrits théoriques de Houdar de La Motte, dont certains sont peu accessibles aux lecteurs, permet deredécouvrir un écrivain dont la pensée a été trop vite oubliée ou trop facilement réduite à daimables paradoxesmondains. Lauteur dInès de Castro a été en relation avec les plus grands écrivains de son temps : Fénelon,Fontenelle, Montesquieu, Marivaux, Voltaire ; il a fréquenté les cafés, mais aussi les salons de Mme de Lambert etde Mme de Tencin ; il a exercé son influence à lAcadémie française. Il sest essayé dans des genres très divers :lopéra, lode, limitation de lépopée antique, la fable, léglogue et la tragédie. Tout en pratiquant ces genres avec un bonheur inégal, il sest engagé avec beaucoup desprit dans les grandes querelles de son temps, celle dHomère etcelle du vers. Il a combattu ses adversaires sans acrimonie tout en réclamant une critique des beautés. Sonesthétique, qui est partagée entre les exigences de la raison et celles du sentiment, rejoint celle de Dubos et deMarivaux ; elle ébranle la poétique classique en préparant, notamment dans le domaine du théâtre, les grandschangements que réaliseront Diderot ou Mercier.Cet ouvrage rassemble pour la première fois de façon chronologique et annotée un ensemble de réflexions quipermettent de comprendre une époque charnière entre lesthétique du classicisme et celle des Lumières.

Madeleine de Scudéry, Mathilde, édition établie et présentée par Nathalie Grande, Champion, coll. "Sources classiques", 2002. N° 38, 1 vol., 14 x 22 cm, 320 p., relié, ISBN 2-7453-0590-5 CHF 80 ht / 60 ttc.

Non pas vraiment inconnue, mais plutôt méconnue, la nouvelle que fit paraître Madeleine de Scudéry en 1667 devrait pourtant connaître un autre sort. En effet, loin dêtre alors une romancière sur le déclin, la romancière y démontre ses qualités traditionnelles jointes à une audace littéraire - voire politique - qui surprend. En ressuscitant Laure et Pétrarque, elle fonde la légitimité historique du courant galant, et jouant de la fiction du non-fictif, elle entrelace idylle galante et intrigues de cour jusquà donner à son écriture historique des accents critiques étonnants. Le texte, retiré de la vente à sa parution, constitue un des sommets de lart de la romancière.

Guy Spielmann, Le Jeu de lOrdre et du Chaos.Comédie et pouvoirs à la Fin de règne, 1673-1715, Champion, coll. "Lumières classiques", 2002, N° 36, 1 vol., 16 x 23,5 cm, 608 p., relié, ISBN 2-7453-0446-1 CHF 125 ht / 92 ttc.

Alors que les recherches sur le « Grand Siècle » et surtout celles sur les arts du spectacle se concentrent en fait sur les deux premières décennies du règne de Louis XIV (1655-1675 environ), ce livre se propose de démontrer quela « Fin de règne », période oubliée, voire méprisée, constitua un moment fort de la création dramatique, ainsi quune étape cruciale dans le devenir de lAncien Régime et létablissement de la modernité en France. Période marquée non par la décadence, comme on le dit trop facilement, mais par une instabilité révélatrice de désordres fondamentaux, auterme dune courte période de stabilité illusoire.On croyait le théâtre à bout de souffle, épuisé, incapable de surpasser, dégaler ou même dhonorer le legs esthétiquedes Corneille, Molière et Racine ; on découvre, en dépit de conditions très précaires, un bouillonnement dactivité etde créativité, où sélaborent des formes qui pourront encore sembler novatrices au XX e siècle. Cette étude obéit àtrois impératifs : privilégier la représentation, et prendre en compte la passion du spectacle comme les exigences deléconomie de marché ; relativiser le rôle de lauteur et de sa biographie pour mieux faire ressortir laspect collectif de la création ; circonvenir la traditionnelle typologie des genres, qui empêche de poser certains problèmes essentiels àpropos doeuvres où le dialogue, le jeu, le chant, la musique, la danse et la machine participaient dun ensemble bien difficile à résumer en un seul vocable. Lapproche interdisciplinaire des pratiques de scène les moins littéraires (commedia dellarte, opéra, opéra-comique,ballet, pièces à machines, marionnettes, parades) débouche sur une problématique nouvelle pour labord de notresacro-saint « théâtre classique », et sur laffirmation du caractère idéologique du classicisme dans le développement etle maintien de lidentité nationale française autour de repères culturels soigneusement sélectionnés.Impossible à classer, irritant parfois par ses facilités, surprenant ailleurs par ses audaces et ses trouvailles, ce théâtre dérange. On comprend finalement pourquoi érudits et critiques se sont si longtemps ingéniés à le proclamerinconséquent, à en décourager la fréquentation : quon y regarde dun peu trop près, et la face du Grand Siècle en estdéfinitivement changée et avec elle une « certaine idée de la France ».