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Que fait le cinéma aux genres littéraires ? (KU Leuven)

Que fait le cinéma aux genres littéraires ? (KU Leuven)

Publié le par Marc Escola (Source : Nadja Cohen)

Journée d'étude à l'université KU Leuven (Belgique) le 18 octobre 2016.

Organisation :

Nadja Cohen & Jan Baetens, Université KU Leuven, groupe MDRN (mdrn.be), avec la collaboration de Michel Delville (ULG).

De prime abord, la question des genres se pose très différemment au cinéma et en littérature. Ainsi le cinéma ne connaît-il pas l’équivalent fonctionnel du « roman », devenu en littérature un non-genre d’une plasticité telle qu’il peut accueillir toute forme de récit. A fortiori, la « poésie » est aussi absente des classifications filmiques, sauf peut-être dans le cinéma expérimental et, même si tel ou tel film peut être jugé « poétique » par la critique, un tel qualificatif ne garantit nullement l’identification d’un genre spécifique. L’immense majorité de la production filmique étant narrative, les distinctions génériques sont davantage conditionnées par un contenu thématique et une tonalité dominante : drame, comédie, western, film policier etc.., selon des catégories commerciales délimitant un horizon d’attente aisément identifiable par le spectateur. Au cinéma, l’adoption d’un cadre générique demeure relativement peu controversée, même si de nombreuses œuvres explorent les limites de genres conventionnels comme le western, que ce soit pour les franchir ou en refuser la cohésion interne[1]. La situation semble bien différente en littérature, où les écritures ambitieuses se distinguent souvent par une indifférence affichée aux questions de genre. Un bon écrivain ne fait qu’« écrire » sans trop se soucier des étiquettes génériques, ce qu’affirme plaisamment Henri Michaux dans une célèbre formule aux accents belliqueux : « les genres sont des ennemis qui ne vous ratent pas, si vous les avez ratés au premier coup ».

Ce clivage aussi facile qu’abrupt entre littérature et cinéma mérite d’être interrogé.

D’une part, la littérature s’est transformée par ses contacts avec le cinéma, notamment pour ce qui est de son rapport aux genres. Dès les années 1920, l’exemple du cinéma pousse les écrivains soit à repenser les genres en vigueur pour en faire des genres « purs » (dans les Faux-Monnayeurs, Gide rêve de « dépouiller le roman de tous les éléments qui n’appartiennent pas spécifiquement au roman », à savoir « les événement extérieurs, les accidents, les traumatismes [qui] appartiennent au cinéma » ; certains Nouveaux Romanciers iront dans le même sens), soit à importer des modèles génériques venus du cinéma (cf. par exemple l’introduction d’ « actualités » documentaires dans l’écriture de fiction ou les variations littéraires sur la forme-scénario), soit encore à inventer des formes génériques totalement inédites (on peut penser ici au surréalisme et à sa quête de nouveaux imaginaires et de nouvelles formes d’écriture).

D’autre part, le cinéma est devenu très vite un réservoir fictionnel pour des textes qui, certes, rendent compte du monde et expriment la personnalité d’un auteur, mais s’écrivent également à travers une série de références cinématographiques. Celles-ci tendent à devenir une interface universelle entre l’auteur et le monde, mais aussi peut-être la seule culture commune qui subsiste entre l’écrivain et son public, et cette influence du cinéma sur la littérature touche directement à la question des genres. En effet, si les genres au cinéma sont la plupart du temps une copie plus ou moins conforme d’un système générique littéraire préexistant (le cinéma n’a inventé ni le western, ni le thriller, ni le reportage, etc.), l’impact du cinéma sur les textes prend des formes beaucoup plus imprévues. En témoignent des œuvres contemporaines aussi variées que Cinéma de Tanguy Viel, véritable novellisation du Limier de Manckiewicz, ou Mortinsteinck de Nathalie Quintane, qui se présente comme « le livre du film », ou encore Flip-Book, de Jérôme Game dont le titre semble même suggérer l’invention d’un genre poétique nouveau.

Cette journée d’études se donne un triple objectif :

Rassembler, comparer, analyser les changements que l’influence du cinéma a produits dans le système des genres en littérature : mise en place de genres nouveaux, renforcement ou discrédit de genres existants, remise en valeur des distinctions de genre ou rejet complet des cadres génériques, et ainsi de suite. Examiner dans quelle mesure ces changements ont un rapport – et si oui, lequel – avec d’autres formes d’interaction entre littérature et cinéma (adaptations littéraires, imitations verbales de techniques cinématographiques, recours à un imaginaire ou des thèmes typiques du monde du cinéma, etc.). S’interroger sur l’importance du contexte historique en tenant compte des révolutions télévisuelle et numérique qui séparent les avant-gardes historiques de leurs successeurs. 

Les contributeurs sont invités à conjoindre autant que possible analyse historique et analyse théorique, d’une part, et prises de position méthodologiques et microlectures, d’autre part.

Les propositions de communications de 500 mots maximum, accompagnées d’une notice biobibliographique, sont attendues d’ici le 1er avril 2016 à l'adresse nadja.cohen@gmail.com

 

[1] Voir par exemple le traitement que réservent à ce genre les cinéastes du Nouvel Hollywwod, comme Sam Peckinpah ou Arthur Penn.

 

Bibliographie indicative

J. Baetens, « La novellisation, un genre contaminé », Poétique, n° 138, 2004, p. 135-151.

J. Baetens et M. Lits (dir.), La Novellisation/Novelization. Du livre au film/From Film to Novel, Leuven (Belgique) : Leuven University Press, 2004.

J. Cléder, Entre littérature et cinéma. Les affinités électives, Paris : Armand Colin, 2012.

J.-M. Clerc, Ecrivains et cinéma. Des mots aux images, des images aux mots, Klincksieck, 1985.

N. Cohen, « Littérature “pure” et cinéma dans les années 1920 : quelques frictions génériques », à paraître dans la Revue d’histoire littéraire de la France, n°1, 2016.

K. Elliott, Rethinking the novel/film debate, Cambridge (GB) : Cambridge University Press, 2003.

M. Flinn et J.-L. Jeannelle (dir.), « Ce que le cinéma fait à la littérature (et réciproquement) », LHT, n°2, 2006 : http://www.fabula.org/lht/sommaire189.html

J. Game, Flip-book, éditions de l’Attente / Le Triangle, 2007.

A. Gaudreault & F. Jost, Le Récit cinématographique, Paris : Nathan, 1990.

F. Gris, Images et imaginaires cinématographiques dans le récit français (de la fin des années 1970 à nos jours). Thèse de doctorat, soutenue à l’université Jean Monnet-Saint-Etienne, 2012.

C. Montalbetti, Western, Paris : P.O.L, 1990

N. Quintane, Mortinsteinck, Paris : P.O.L., 2005

N. Sarraute, « L’Ère du soupçon » [1950], repris dans L'Ère du soupçon. Essais sur le roman, Paris : Gallimard (Folio essais), 1987, p. 77-78.