Actualité
Appels à contributions
Puissances esthétiques des lisières culturelles au cinéma et dans les autres arts (Lyon)

Puissances esthétiques des lisières culturelles au cinéma et dans les autres arts (Lyon)

Publié le par Marc Escola (Source : Dario Marchiori)

Puissances esthétiques des lisières culturelles au cinéma et dans les autres arts (Lyon)

Dans les dernières décennies, la floraison des cultural studies a créé de nouveaux contacts ou des conflits avec la tradition esthétique, en produisant de nouvelles perspectives mais aussi des défis nouveaux. Les études interculturelles, transnationales, géopolitiques et post-coloniales ont pu interpréter des phénomènes méconnus, en réinterrogeant l'historiographie traditionnelle des arts et en démultipliant ses narrations ; l'esthétique, quant à elle, a été amenée à s'emparer de nouveaux défis historiographiques et à élargir ses outils et ses grilles d'analyse grâce aux approches anthropologique, culturaliste (y compris la culture visuelle), post-coloniale, iconologique, figurale. Nous avons été alors confrontés à un élargissement considérable du corpus des œuvres étudiées ou à étudier, et cette ouverture a entraîné une forme d'éparpillement des recherches, en même temps que de nouvelles perspectives théoriques. Cet ensemble de questions et d'enjeux (esthétiques, culturels, historiographiques) se cristallise de manière particulièrement aiguë dans le champ des études cinématographiques et audiovisuelles mais intéresse également d'autres arts (littérature, arts plastiques, musicologie, théâtre, danse, photographie...). La réflexion s'inscrira donc aussi dans une perspective fortement interdisciplinaire.

Ce colloque international a pour objectif d'étudier, parmi les œuvres marginalisées par l'historiographie, celles qui relèvent à la fois d'une position à la lisière entre des cultures différentes, d'une proposition formelle particulièrement percutante et d'une singularité qui résiste à la construction du récit historique. Ces œuvres, apparemment anachroniques (ou « anatopiques »), montrent la pluralité des possibilités artistiques qui s'expriment à une époque donnée et la manière dont le récit critique puis historiographique tend à les ramener à une histoire, par exemple stylistique ou nationale, qui les exclut ou les marginalise en ce qu'elles seraient minoritaires, ou constitueraient de simples négations d'un modèle dominant (comme il arrive pour l'approche géo-esthétique de Fredric Jameson dans The Geopolitical Aesthetic, 1992). La masse critique de ces « exceptions » ou de ces « absurdités » de l'histoire devrait permettre la réécriture de l'histoire d'un art, et notamment du cinéma : « La marge, c'est ce qui tient les pages ensemble », comme l'exprime Jean-Luc Godard. Seule une histoire esthétique centrée sur l'inventivité formelle mais attentive aux questions interculturelles et géopolitiques semble en effet à même de rendre compte de ces œuvres.

Nous nous concentrerons ainsi sur l'étude d'œuvres qui répondent aux trois critères suivants :

  • elles sont marginalisées par les récits historiques dominants, pour des raisons extérieures (économiques, géopolitiques, culturelles, stylistiques) à leurs qualités intrinsèques : elles sont souvent absentes d'une histoire générale ou confinées dans une histoire spécialisée (histoire de l'avant-garde, histoire d'une production nationale, histoire d'un genre) ;

  • ce sont des œuvres « limites » qui relèvent d'une dialectique interculturelle à l'échelle d'un pays ou des rapports internationaux ou intercontinentaux ;

  • elles ont une forte inventivité formelle dont il s'agira de comprendre en quoi leur productivité esthétique relève du débordement volontaire ou involontaire des partages culturels établis.

 

Les communications pourront tenter d'établir un lien entre ces trois aspects de l'œuvre étudiée, en expliquant les raisons de sa marginalisation et en mettant à l'épreuve sa capacité de proposition de voies plus ou moins enfouies de l'histoire, afin d'explorer l'histoire du point de vue des vaincus, cher à Walter Benjamin (Sur le concept d'histoire, 1940) et poursuivi entre autres par des chercheurs fort différents comme Hamid Naficy, Georges Didi-Huberman ou Nicole Brenez. Notre défi est celui de faire se rencontrer les préoccupations de l'analyse et de la théorie des films avec celles de l'histoire culturelle et de ses théorisations, en mettant en avant l'invention formelle qui se produit à partir de positions culturelles limites, sous-évaluées ou marginalisées, en prolongeant par d'autres moyens les réflexions de Deleuze et Guattari sur le modèle du « rhizome ».

Parmi les possibilités de cette approche borderline se trouvent non seulement les œuvres d'auteurs ayant connu l'exil ou la diaspora (sur ces sujets, voir Hamid Naficy, An Accented Cinema), mais aussi des auteurs ou des films prenant le risque de devenir « étrangers dans [leur] propre langue », comme l'expriment Deleuze et Guattari dans Kafka : Pour une littérature mineure (1975), en faisant s'entrechoquer différentes visions du monde dans une même œuvre, et en produisant une nouveauté formelle souvent méconnue. Cette étude critique des marges sera alors une analyse des processus de marginalisation des phénomènes artistiques et de l'organisation établie des savoirs en ce qu'elle établit une hiérarchisation et une homogénéisation des phénomènes : en cela, notre approche rejoint les préoccupations de la Théorie critique. L'articulation entre marginalité esthétique et marginalité culturelle sera au centre de notre approche, sans les rabattre simplement l'une sur l'autre mais en considérant la manière féconde dont ces deux aspects interagissent. Sans aplatir les différences par une conception superficielle et globalisée des « circulations » des « échanges » culturels (c'est la limite que peuvent rencontrer les études transculturelles), nous voulons en souligner les discontinuités, les tensions, les dialectiques, afin d'explorer méthodiquement les puissances singulières, les inventions inclassables et les utopies inaccomplies que recèlent les œuvres marginalisées.

 

Les propositions d’intervention (2000 signes maximum), accompagnées d’une brève notice bio-bibliographique de l’auteur, doivent être envoyées pour le 30 avril 2016 aux adresses mail suivants : Dario.Marchiori@univ-lyon2.fr ; Nedjma.Moussaoui@univ-lyon2.fr.

 

Comité Scientifique :

Teresa Castro (MCF Cinéma, Paris 3)

Magali Kabous (MCF Espagnol, Lyon 2)

Sonia Kerfa (MCF Espagnol, Lyon 2)

Dario Marchiori (MCF Cinéma, Lyon 2)

Nedjma Moussaoui (MCF Cinéma, Lyon 2)

Federico Rossin (programmateur, Italie-France)