Questions de société
Projet de décret sur le statut des doctorants: l'analyse de SLU.

Projet de décret sur le statut des doctorants: l'analyse de SLU.

Publié le par Marc Escola

Commentairedu Projet de décret relatif aux doctorants contractuels desétablissements publics d'enseignement supérieur ou de recherche

Nicolas Lyon-Caen pour SLU

Pour lire ce projet de décret.

Un contrat de travail : une fausse nouveauté

Le projet de décret soumis le 15 décembre dernier auCTPMESR et relatif au « contrat doctoral » unique, annoncé par Mme leministre de l'enseignement supérieur et de la recherche lors de sondiscours du 7 octobre 2008, vise à simplifier et à unifier lesmodalités d'emploi des doctorants. Il n'envisage cependant que le casdes doctorants salariés par un établissement public dont la listedétaillée est donné à l'article 2, principalement les universités etétablissements assimilés (la liste est disponible sur le site du ministère)et les établissements publics à caractère scientifique et technique(comme le CNRS, l'IRD, l'INED, l'INSERM, etc.). Sont donc exclues deson champ d'application les bourses du type CIFRE puisque le doctorantest alors employé par une entreprise privée avec une aide de l'état.

Le décret a vocation à remplacer les allocations derecherche et les monitorats d'initiation à l'enseignement supérieur,qu'il abolit en abrogeant par son article 14 leurs décrets de création(décret n° 85-402 du 3 avril 1985 relatif aux allocations de rechercheet décret n°89-794 du 30 octobre 1989 relatif au monitorat d'initiationà l'enseignement supérieur). Pour le ministère, la principale avancéeest d'offrir enfin aux doctorants un véritable contrat de travail. « Le contrat doctoral apportera toutes les garanties sociales d'un vrai contrat de travail, conforme au droit public »précisait Mme le ministre dans son discours. Pourtant, sur ce strictplan, cette annonce ne change en rien la nature même du contrat. Eneffet, une note du 21 mars 2000 émanant de la direction juridique duministère de l'Education Nationale (lien)reconnaissait déjà, en vertu d'une jurisprudence du conseil d'État, quel'allocation constituait par elle-même un contrat de travail et non unesimple bourse — la recherche doctorale étant une contrepartie réelle dela rémunération — et ouvrait donc droit à une couverture sociale dedroit commun et à une affiliation au régime de retraite IRCANTEC. Lesallocataires de recherche sont donc, à l'heure actuelle encore, desagents publics non titulaires. Envisagée sous cet angle, la réformerelève d'une simple clarification juridique plutôt que d'une avancée ausens strict du terme.

Mais cette réforme modifie en profondeur la situationdes doctorants salariés sur plusieurs plans, tous étroitement articulésaux bouleversements actuels subis par le monde de l'enseignement et dela recherche.

La suppression du statut de fonctionnaire

Disparaît totalement de la nouvelle formulation unélément auparavant essentiel, le lien reliant le docteur salarié à lafonction publique. Ce projet de décret s'inscrivant dans le cadregénéral de la loi dite LRU et dans celui de la réforme du statut desenseignants-chercheurs (voir sur le site de SLU les analyses d'OlivierBeaud et du SNESUP-Caen), il cherche lui aussi à briser les liens entreles universités et l'État. L'article 3 du décret de 1985 relatif auxallocations de recherche (abrogé par le présent texte) précisait que « l'allocataire est lié à l'État, représenté par le recteur d'académie, par un contrat à durée déterminée ».L'employeur est désormais l'établissement public, sans contrôle prévuni du ministre ni du recteur. Mais que les directions de laboratoiresou d'établissements ne crient pas victoire trop vite. Car un troisièmeacteur s'est invité au décret. Seule pourra en effet embaucher undoctorant une «  équipe de recherche évaluée nationalement ».La formule, reprise du texte créant les écoles doctorales en 2006, estrépétée à trois reprises et permet ainsi à l'AERES (dans lescirconstances actuelles, nul ne peut croire en effet que cette tâchereviendrait au CNU) de soumettre plus étroitement encore les unitésscientifiques à la censure préalable.

Objectif corollaire (et secondaire ?) mal avoué decette réforme, il s'agit d'étouffer un peu plus encore les rapportsentre enseignement secondaire et enseignement supérieur. L'abrogationdu monitorat entraîne manifestement la suppression de la possibilitéd'assimiler l'expérience d'enseignement dans le supérieur à un stagepratique de validation des concours de l'enseignement (possibilitéorganisée par les articles 2 et 3 du décret n°91-259 du 7 mars 1991).La cohérence de ce changement avec la marche à la masterisation desconcours de recrutement des enseignements est nette : il faudradésormais vraiment choisir entre enseignement (secondaire) et recherche(et enseignement supérieur), probablement dès l'entrée en master. Mêmeles candidats à l'agrégation, dont les titulaires formaient jusqu'àprésent une bonne partie des allocataires-moniteurs, sont concernés.L'objectif est donc limpide : séparer au maximum les carrières.

Dans ces conditions, le nouveau décret ne laisse rienpréjuger de très clair non plus quant à l'avenir des Centresd'Initiation à l'enseignement supérieur (CIES), créés justement pourformer les moniteurs à l'enseignement et dont la création participaitdes modifications apportées au décret de 1989 (ils sont doncpotentiellement abolis ?). L'assurance très vague d'une préservation dela formation professionnelle des enseignants par l'article 6 (« L'établissementemployeur s'assure que le doctorant contractuel bénéficie desdispositifs d'encadrement et des formations utiles à l'accomplissementdes missions qui lui sont confiées », reprise assez plate du discours ministériel (« L'employeurdevra proposer au doctorant toutes les formations nécessaires àl'accomplissement de ses missions, que ce soit la préparation de sathèse ou les activités complémentaires qui lui seront confiées »), n'offre à cet égard aucune garantie sérieuse.

Où 3 x 1 ne fait pas 1 x 3….

Mais il y a plus grave car le projet n'offre pas cequ'on croit être son principal intérêt : un contrat à durée déterminéede trois ans. Il y a là ce qu'on ne peut appeler autrement qu'un grosmensonge car il ne s'agit pas d'un contrat unique de 3 ans, mais bien,pratiquement, d'un contrat d'une année reconductible 2 fois,exceptionnellement 3 fois si la recherche le nécessite ou pour desmotifs familiaux (grossesse, adoption, etc.), voire 4 si ces deuxmotifs se conjuguent. Le doctorant y gagne certes une possibilité deprolonger d'un an le contrat, ce qui n'était pas prévu en 1985. Mais onconviendra que le gain est mince au regard de ce changement important.L'article 3 prévoit ainsi que «  si, au vu du rapportd'activité adressé par le doctorant contractuel au directeur de l'écoledoctorale et du rapport rédigé par le directeur de thèse, l'inscriptionen doctorat n'est pas renouvelée, le contrat de doctorant contractuelest résilié de plein droit au terme de la première ou de la deuxièmeannée du contrat ».

Deux remarques s'imposent.

1. La reconduction ducontrat de travail d'une année sur l'autre ne peut pas être qualifiéed'automatique. Désormais en effet le contrat du doctorant pourra êtrerompu chaque année « de plein droit », c'est-à-dire sans entraîner niversement d'indemnité de licenciement ni responsabilité judiciaired'aucune des parties. Le préavis sera bref, et aligné sur le droitcommun (selon le code du travail, il est de 15 jours pour trois à douzemois de service, d'un mois pour une durée de un à trois ans de serviceet de 2 mois pour une période de trois à six ans de service). Cettepossibilité de résiliation du contrat reprend une mesure déjà présentedans la définition du monitorat, qui se présentait d'emblée comme uncontrat de travail, mais en l'étendant considérablement. Il était alorsen effet limité au passage de la première année à la seconde année. Lapossibilité de résiliation n'était tout simplement pas évoquée pour lesallocations.

Il ne s'agit pas là d'un détail car cette clause menaceégalement directement la définition du régime des thèses. Elle soumeten effet les doctorants à un nouveau rythme et à un nouveau contrôle deleur travail. Elle conditionne, pour les doctorants salariés dans lesconditions de ce décret, la réinscription en thèse d'une année surl'autre à l'approbation par l'employeur d'un rapport d'activité annuel,lequel rend conditionnelle la réinscription en doctorat. Il y a là unecontradiction manifeste avec l'arrêté relatif aux écoles doctorales du7 août 2006 (art. 15 : « La préparation du doctorats'effectue, en règle générale, en 3 ans. Des dérogations peuvent êtreaccordées, par le chef d'établissement, sur proposition du directeur del'école doctorale et après avis du directeur de thèse et du conseil del'école doctorale, sur demande motivée du candidat. La liste desbénéficiaires de dérogation est présentée chaque année au conseilscientifique »). Le passage d'une année à l'autre pendant troisans, sinon quatre, était pratiqué de fait, sinon de droit puisque lathèse se préparait en trois ans. Ces dérogations, du moins en scienceshumaines, étaient généralement obtenues de manière automatique pourl'inscription en 4e année, accordées avec plus de contrôle pour la 5e.

On ignore quels seront les effets de cette innovationpour les doctorants non salariés par l'université. S'ils ne sont pourl'heure pas concernés, on ne pourra que constater la rupture del'égalité de traitement. Mais la perspective d'une généralisation d'uncontrôle accru du travail annuel du doctorant n'est pas à exclure carelle correspondrait bien à une certaine application mécanique duprincipe du LMD impliquant qu'une thèse dure trois ans, au mépris desspécificités de chaque discipline.

2. La reconduction ducontrat devrait donc être soumise à une appréciation scientifique. Maisla rémunération des doctorants dépendant désormais du budget général del'établissement, on peut craindre que d'autres motivations entrent enligne de compte. Le nombre de doctorants salariés constituera désormaisune variable d'ajustement potentielle, non seulement parce que rienn'est prévu quant aux limites des tâches à effectuer, en dehors duvolume horaire maximum d'enseignement (le tiers du service normal de192 h. par an) — pour le reste tout est négociable — mais encore parceque le budget consacré aux rémunérations des personnels ne sera pasextensible. Certes les présidents d'université ne sont pas des monstresfroids, mais ils ont du personnel à gérer, syndiqué et généralementconscient de ses droits !

S'offre heureusement une solution toute trouvée : dansce contexte budgétaire très défavorable aux universités, il suffirad'articuler le recrutement des doctorants sur l'obtention de projetsauprès de l'ANR (laquelle n'a, bien entendu, aucunement pour intentiond'orienter la recherche française). Ajoutons que loin des promessesmirifiques faites par Mme le ministre d'une rémunération « sansplafond » permettant aux « jeunes diplômés de master ou les jeunesingénieurs […] » de « s'engager dans une thèse sans devoir renoncer à toute prétention salariale », la plupart des doctorants seront à l'évidence rémunérés « au plancher » — tel est le joli terme employé par le rapport pour signature adressé au premier et interprétant l'article 12 (« Larémunération des doctorants contractuels est fixée selon les modalitésdéfinies par arrêté des ministres chargés de l'enseignement supérieur,de la recherche et du budget ») —, sauf dans quelques très raresdisciplines, ou en faveur d'élèves d'établissements prestigieux (tellesque les grandes écoles d'ingénieurs qui ont créé en leur sein desécoles doctorales) et désireux de soutenir un doctorat comme l'exigentdésormais les normes internationales. Le ministère agit comme si le(s)marché(s) des doctorants étai(en)t à l'équilibre, comme si de généreuxdirecteurs de laboratoire sous-rémunérés allaient gratifier leursdoctorants de salaires mirobolants ! Dans la plupart des matières, cene sont pas les bons esprits qui font défaut, c'est l'argent. Il sembledifficile, dans ces conditions, d'éviter la course sinon aumoins-disant salarial, du moins à l'accroissement des tâches annexesimposées aux doctorants.

La libre contractualisation des rapports entreemployeur et employés ne peut être équitable que dans un contexte oùles syndicats et les garanties collectives jouent leur rôle. On saitque les doctorants s'intéressent généralement peu à ce genre dequestion. Ils ont certes tort : mais comment contester un employeur quiexerce également une tutelle scientifique sur son employé ?

Nicolas Lyon-Caen est ATER en histoire moderne à l'université du Mans.

Publié le jeudi 8 janvier 2009