Questions de société
Première Darcolinaire: le texte et la vidéo

Première Darcolinaire: le texte et la vidéo

Publié le par Frédérique Fleck

PREMIERE DARCOLINAIRE

Photographie ci-contre prise place de la Sorbonne à Paris le 03 avril 2009.

Vendredi, troisième jour du mois d'avril de l'année 2009, un groupe de latinistes a prononcé, sur la place de la Sorbonne, un discours dénonçant les forfaits de l'agrégé de Lettres classiques Xavierus Darcos et de sa principale complice, Valeria Pecressa, accusés de méditer la ruine de l'Education.
Lorsque, en 63 avant notre ère, Catilina, un sénateur, fomenta à Rome une révolution, Cicéron, dans un discours prononcé devant le Sénat, révéla le complot et menaça son auteur de mort ou d'exil. Effrayé, Catilina quitta Rome sans avoir pu mener à bien son entreprise.
Nos modernes orateurs ont tenté de même, par la seule force de leur verbe, de pousser Darcos à la démission.

Le texte de cette déclamation est reproduit ci-dessous. Une vidéo de l'événement a été mise en ligne sur Dailymotion et sur le blog de la Sorbonne en grève:

http://sorbonneengreve.revolublog.com/article-74902-417378-les-darcolinaires-de-la-sorbonne.html

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PREMIERE DARCOLINAIRE

Quousque tandem abutere, Darcolina, patientia nostra ?
Jusqu'à quand, Darcos, abuseras-tu de notre patience ?
Combien de temps encore serons-nous le jouet de ta fureur ? Jusqu'où t'emportera ton autisme effréné ? Quoi ! Ni les portes fermées des Universités, ni les manifestations dans tout le pays, ni la consternation de la communauté universitaire, ni cette réunion de tous contre les réformes, ni la place symbolique choisie pour cette assemblée, ni les regards indignés de Georges Molinié,  rien n'a pu t'ébranler ?

Ne vois-tu pas que tes projets sont découverts ? Que ta conjuration est ici environnée de témoins ? Penses-tu qu'aucun de nous ignore ce que tu as fait la semaine dernière et celle qui l'a précédée, quelles résolutions tu as prises ?

O tempora ! o mores ! Toutes ces réformes, l'Université les connaît, les étudiants les voient, et Darcos est toujours là ! Il est là ; que dis-je ? il vient sur nos radios ; il est admis dans nos établissements publics ; il persiste et désigne de l'oeil les disciplines qu'il veut immoler. Et nous, courageux latinistes, hellénistes audacieux, nous croyons faire assez pour nos études, si nous obtenons le seul report de la masterisation ? Depuis longtemps, Darcos, l'Université aurait dû obtenir le retrait sans condition de ta réforme !

Et lorsqu'il s'apprête à faire de l'Education un théâtre de carnage et d'incendies, les enseignants ne l'en puniraient pas! Je ne rappellerai point que ce peuple, pour sauver l'Education des changements que méditait Clodius Allegrus, le chassa par ses clameurs : de tels exemples sont trop anciens.

Il n'est plus, non, il n'est plus ce temps où de grands hommes mettaient leur gloire à punir avec plus de rigueur un ministre pernicieux que l'ennemi le plus acharné. Aujourd'hui la Coordination Nationale des Universités nous arme contre toi, Darcos, d'un pouvoir terrible. Ni la sagesse des conseils, ni l'autorité de cet ordre ne font défaut.

Tu es là, tu es encore là, non pour déposer, mais pour fortifier ton autisme. Mes amis, je voudrais être clément ; je voudrais aussi que la recherche, menacée de périr, ne m'accusât point de faiblesse. Mais déjà je m'en accuse moi-même ; je condamne ma propre lâcheté. Une armée prête à nous faire la guerre est campée au coin de la rue de la Sorbonne ; le nombre des ennemis s'accroît de jour en jour ; le général de cette armée, le chef de ces ennemis, c'est notre ministre! il est au gouvernement ; vous l'y voyez méditant sans cesse quelque nouveau moyen de bouleverser l'Education.
Si nous exigions en ce moment, Darcos, que tu déposes ta démission, qui pourrait trouver notre justice trop sévère ? Ah ! je craindrais plutôt que tous les bons citoyens ne la jugeassent trop tardive. Mais ce que nous aurions dû faire depuis longtemps, des motifs puissants nous décident à ne pas le faire encore. Tu partiras, Darcos, lorsqu'on ne pourra plus trouver un homme assez méchant, assez pervers, assez semblable à toi, pour ne pas convenir que ta punition fut juste. Tant qu'il restera des Jean-Robert Pitte pour te défendre, tu resteras, mais tu seras entouré, comme aujourd'hui, de huées et de cris hostiles. Nous t'en assiégerons tellement, que ton bras, armé contre l'Education, sera contraint de rester immobile. Des yeux toujours ouverts, des oreilles toujours attentives continueront, à ton insu, d'observer tes pas, de recueillir tes discours, de scruter tes réformes.

Eh! que peux-tu espérer encore, si la faveur des médias ne parvient plus à cacher à nos regards tes décrets criminels; si, perçant les murailles où tu la crois enfermée, la voix de ta conjuration éclate et retentit au dehors ?
Renonce, crois-moi, renonce à tes projets ; cesse, toi, un agrégé de Lettres classiques, de penser à la mort du latin ou du grec ; tu es encerclé de toutes parts ; tous tes projets sont pour nous plus clairs que la lumière. Je peux même t'en retracer le fidèle tableau :
Te souviens-tu que, dès l'automne de l'année 2007, fut dénoncée la sinistre loi de Valeria Pecressa, la ministre associée à ton audace? Nous sommes-nous trompés sur ses effets, si importants, si horribles, si néfastes pour nos langues anciennes ?

Et le vingt-quatrième jour de mars de l'année 2009, lorsqu'à la faveur de la nuit elle croyait encore une fois surprendre, par une énième version de son décret, la communauté universitaire, as-tu remarqué par combien de précautions les syndicats avaient assuré la défense de cette dernière ? Elle ne fait pas une action, elle ne forme pas un projet, elle ne réécrit pas une ligne de son décret, sans que nous en soyons avertis ; bien plus, sans que nous en soyons les témoins et les confidents. Qu'elle rappelle à sa mémoire cette nuit-là, et elle comprendra que nous veillons encore avec plus d'activité pour le salut du service public, qu'elle pour sa perte. Je dis que l'avant-dernière nuit elle se rendit (je parlerai sans déguisement) au CTPU. Là se réunirent en grand nombre les complices de ses criminelles fureurs. Oses-tu le nier ? Tu gardes le silence ! Oui, Valeria Pecressa est allée au CTPU cette nuit-là, et elle a rafistolé son décret avec ses complices !

Nous nous sommes alors constitués en garde plus nombreuse et plus forte. Nous avons occupé la Sorbonne à la face de ceux qui, sous prétexte de garantir notre sécurité, venaient nous arracher notre liberté.

Dieux immortels ! où sommes-nous ? dans quel pays, ô ciel ! vivons-nous ! quel gouvernement est le nôtre ? Parmi les membres mêmes de la CPU, dans ce conseil auguste, où se pèsent les destinées de l'Université, des traîtres conspirent à notre perte, la vôtre, celle des Biatoss, celle des enseignants, celle des étudiants, celle du peuple entier !

Quant à toi, Darcos, tu avais fixé, pour la rentrée 2009, la mise en place de ces réformes du CAPES où les contenus disciplinaires n'auraient presque plus de part. Peux-tu nier qu'alors,  sous notre vigilance, les maquettes ne te furent pas remises en février comme tu l'avais prévu, et que toi, tu frémis de ne pouvoir troubler aussitôt la république des lettres ? Tu te consolais de ce retard, en disant que ce serait pour l'année suivante.

Allons, Darcos, renonce à ta réforme, sors enfin du ministère ; les portes sont ouvertes, pars. Emmène avec toi Valeria Pecressa et tous tes complices, du moins le plus grand nombre ; que le gouvernement en soit purgé. Nous serons délivrés de mortelles alarmes, dès qu'un mur nous séparera de toi.
Non, tu ne peux rester plus longtemps au ministère ; nous ne pourrions le souffrir ; nous ne devons pas le permettre.

Grâces soient à jamais rendues aux dieux Biatoss, aux étudiants, aux enseignants qui se sont battus pour protéger le berceau du savoir ! grâces leur soient rendues d'avoir tant de fois sauvé l'Éducation nationale des effroyables calamités dont la menaçaient des ministres acharnés à sa perte. Il ne faut pas que le même homme mette une fois de plus les collèges et les lycées en danger. Nous étions en butte à tes complots, Darcos ; et sans invoquer le secours de la République, nous avons trouvé notre sûreté dans notre propre vigilance.

En octobre de l'année 2008, déjà, tu as voulu assassiner les IUFM et l'année de stage, avec ta complice Valeria, qui assassinait le doctorat. Le nombre et le courage de nos amis ont repoussé tes efforts sacrilèges, sans que le pays, abusé par le silence des journalistes, ait ressenti un seul instant d'alarmes. Mille fois menacé de tes coups, nous nous en sommes toujours garantis par nous-mêmes, trop certains cependant que notre ruine entraînerait pour l'État de déplorables malheurs. Aujourd'hui, c'est à la République elle-même que tu déclares la guerre ; ce sont les citoyens dont tu veux la mort, la formation des professeurs, l'éducation de nos enfants, et finalement la culture de tous que tu destines au ravage et à la dévastation.

Ennemi de l'Education, la communauté mobilisée t'ordonne de quitter le ministère. Tu me demandes si c'est pour aller en exil ? Je ne te le commande pas ; mais si tu veux m'en croire, je te le conseille.    

Peux-tu, Darcos, jouir en paix de la lumière qui nous éclaire, de l'air que nous respirons, lorsque tu sais qu'il n'est personne ici qui ignore que dès octobre dernier, peu après la rentrée, tu te trouvas au ministère, armé de tes réformes ? que tu avais aposté, avec Valeria, une troupe d'assassins pour tuer l'IUFM, l'année de stage et le doctorat ? que ce ne fut ni le repentir, ni la crainte, mais la mobilisation de la communauté, qui arrêta ton bras et suspendit ta fureur ? Je n'insiste point sur ces premiers crimes ; ils sont connus de tout le monde, et bien d'autres les ont suivis. Combien de fois, depuis octobre, n'as-tu pas attenté aux principes mêmes d'un système éducatif égalitaire ? combien de fois n'avons-nous pas eu besoin de toutes les ruses de la défense, pour parer des coups que ton adresse semblait rendre inévitables ? il n'est pas un de tes desseins, pas un de tes succès, pas une de tes intrigues, dont nous ne soyons instruits à point nommé. Et cependant rien ne peut lasser ta volonté, décourager tes efforts. Combien de fois ce décret dont tu nous menaces a-t-il été arraché de tes mains ? combien de fois la mobilisation de tous l'en a-t-elle fait tomber ? Et cependant il faut que ta main le relève aussitôt.

A quelle vie, Darcos, es-tu désormais condamné ? car je veux te parler en ce moment, non plus avec l'indignation que tu mérites, mais avec la pitié que tu mérites si peu. Tu vas entrer parmi tes collègues, eh bien ! dans une assemblée si nombreuse, quel est celui qui daignera te saluer ? Comment peux-tu supporter tant d'humiliation ? L'Education nationale, qui est notre mère commune, te hait; elle te craint ; depuis longtemps elle a jugé les desseins parricides qui t'occupent tout entier. Eh quoi ! tu mépriseras son autorité sacrée ! tu te révolteras contre son jugement ! tu braveras sa puissance ! Je crois l'entendre en ce moment t'adresser la parole :
 « Darcos, semble-t-elle te dire, depuis quelques semaines il ne s'est pas commis un odieux projet de réforme dont tu ne sois l'auteur ou le complice, pas un scandale où tu n'aies pris part. Le CAPES est dénaturé, et contre toi les medias sont muets. Tant d'outrages méritaient toute ma colère ; je les ai dévorés en silence. Mais être condamnée à de perpétuelles alarmes à cause de toi seul ; ne voir jamais mon repos menacé que ce ne soit par Darcos ; ne redouter aucun complot qui ne soit lié à ta détestable conspiration, c'est un sort auquel je ne puis me soumettre. Pars donc, et délivre-moi des terreurs qui m'obsèdent, si elles sont fondées, afin que je ne périsse point ; si elles sont chimériques, afin que je cesse de craindre. »
Si l'Education nationale te parlait ainsi, ne devrait-elle pas obtenir de toi cette grâce, quand même elle ne pourrait te l'arracher par force ?
Sors du ministère, Darcos ; délivre l'Education nationale de ses craintes ; pars ; oui, si c'est ce mot que tu attends, pars.


Que vois-je, Darcos ? Remarques-tu l'effet de cette parole ? les cris de ces gens assemblés place de la Sorbonne ? Ils m'entendent, et ils approuvent. Tes juges, ce ne sont pas seulement ces enseignants, dont sans doute tu respectes beaucoup l'autorité, quand tu comptes pour si peu leur métier ; ce sont encore ces illustres et vertueux étudiants ; ce sont tous ceux qui sont sur cette place réunis, vois leur affluence, entends leur indignation, remarque leurs murmures ! Il y a longtemps que j'ai peine à contenir leur colère. Mais si tu abandonnes enfin tes projets porteurs de ravages et d'incendies, j'obtiendrai facilement qu'ils entrent en discussion avec toi.

Mais que dis-je ? espérer que rien brise ton inflexible caractère ! que tu reviennes jamais de ta perversité ! que tu aies conçu l'idée de céder ! que tu penses à démissionner ! Ah ! que les manifestations ne t'en ont-elles inspiré la résolution ?

Mais que tu aies horreur de tes déportements, que tu redoutes la vengeance des enseignants, que tu fasses à l'Education le plus léger sacrifice, c'est ce qu'il ne faut pas te demander. Non, Darcos, il n'est pas croyable que la honte puisse t'arracher au crime, ni la crainte t'éloigner du danger, ni la raison désarmer ta fureur. Ainsi, nous te le répétons encore, PARS! PARS! PARS!