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Nouvelle parution
Pratiques n° 143/144 : “Écrits de savoirs”

Pratiques n° 143/144 : “Écrits de savoirs”

Publié le par Florian Pennanech (Source : André Petijean)

Pratiques n°143/144 : “Écrits de savoirs”

Numéro coordonné par Mohamed Kara


Présentation de l'éditeur :

Codification des savoirs scolaires ou académiques, rhétorique de la connaissance, idiomaticité des énoncés savants : quelque formulation que l'on retienne il s'agit invariablement de l'expression d'une problématique associant l'objet soumis à examen – que l'on appellera par commodité le référent – à sa formalisation dans un langage naturel, ou artificiel d'ailleurs. Tel est l'objet assigné à ce numéro de Pratiques : décrire les itinéraires épistémologiques qui conduisent de l'expérimentation fondée sur des données, des sources, des références, des faits à une formalisation écrite à vocation objectivante. Les contributeurs ont été invités à envisager les procédés à l'oeuvre pour la codification scripturale des savoirs aussi bien à l'université que dans le second degré, ainsi qu'à l'école élémentaire où le lien entre objet d'étude et langage est dûment mentionné. Ainsi en va-t-il, par exemple, des ateliers de sensibilisation aux sciences qui soulignent comme il convient le caractère indissociable des composantes évoquées plus haut. “ Dans la démarche qui sous-tend l'activité de la classe en sciences et technologie, le langage n'est pas l'objet d'étude premier. Mais dans les allers et retours que le maître organise entre observation du réel, action sur 1e réel, lecture et production d'écrits variés, l'élève construit progressivement des compétences langagières (orales et écrites) en même temps que s'élabore sa pensée. ” (Enseigner les sciences à l'école, 2002 : 10). Consubstantialité donc entre “ observation du réel ”, “ action sur le réel ” et “ compétences langagières ”. Un triptyque qui souligne, si besoin en était, la dimension heuristique de l'écrit dont traite ici-même Charles Bazerman de l'Université de Californie. Les variables engagées dans la codification des savoirs scolaires (dorénavant CDS) sont en effet nombreuses. La CDS est une activité nécessairement alimentée, à l'université comme dans le secondaire et dans le premier degré, par d'autres activités (l'observation d'un objet ou d'un phénomène, les lectures d'information ou d'investigation, les interactions orales entre élèves et professeurs, les discussions entre pairs, à titre d'exemple) qui en sont du même coup constitutives puisqu'elles contribuent à la genèse de la pensée scripturale. De cette particularité peuvent découler des obstacles épistémologiques – Elisabeth Bautier souligne dans son article les difficultés susceptibles de survenir dans ce qu'elle nomme le “ cours dialogué ” à l'école élémentaire – en ce sens que le chercheur/découvreur/scripteur sera tenu de résorber une forme d'hétérogénéité due non seulement à la pluralité des observations mais aussi des sources, des registres d'expression, à l'inégalité de leur statut respectif.
La particularité des écrits qui relèvent de notre champ d'investigation associent ainsi intimement le référentiel, le cognitif et le langagier sans qu'il y ait lieu de postuler la prépondérance de l'une de ces composantes sur les autres. Certes le référentiel y occupe une place déterminante dans la mesure où c'est en premier lieu la connaissance d'un objet, fût-il du langage, qui motive l'initiation d'une recherche et par suite sa formalisation littératiée. Mais il y a bien lieu de souligner la part déterminante de l'exposition et des problèmes de terminologie qui s'y posent de manière aiguë dans la mesure où la dénomination de l'objet d'investigation constitue le premier des enjeux de la codification des savoirs : investiguer suppose un objet de travail dûment arrêté, délimité et défini. Nommer le référent visé – avec l'aspiration à la monosémie pour exigence – suppose, via le lexique et les niveaux de formulation, de stabiliser les notions ou les objets pour mieux les définir et pour mieux les traiter. En sachant que le discours scientifique tient une part de sa légitimité de sa diffusion/appropriation et, par voie de conséquence, de sa modélisation écrite, comme le soulignent ici-même plusieurs contributeurs lorsqu'ils insistent sur la sensibilisation des scripteurs apprentis quant au niveau idoine de formulation [...].
L'enjeu aujourd'hui, tel n'a pas toujours été le cas historiquement, est en effet autant de communiquer le résultat de ses recherches que les recherches elles-mêmes, bref l'on peut dire que la théorisation, comme le rappelle Franck Neveu est aussi importante que la théorie. Il manifeste ainsi le caractère crucial de l'écriture des concepts. En érigeant la philosophie comme cas emblématique de la dissociation entre théorie et théorisation, il souligne après Denis Thouard (2007), que “ le philosophe des Lumières a cessé d'être un styliste de la pensée cultivant l'hermétisme et l'opacité, un producteur d'énigmes conceptuelles mettant au défi l'intelligence, et suscitant une activité herméneutique infinie et égocentrée, pour promouvoir le partage des idées par le biais d'une exposition claire des concepts. ” (2007 : 102). Bref, à l'autoscription qui était alors la marque distinctive de la production savante s'oppose désormais l'impératif d'hétéroscription : relater par écrit le produit des investigations avec des marques formelles d'adresse à autrui. Il en va ainsi pour les rédacteurs qui nous occupent, indépendamment de leur niveau d'étude : l'appropriation des savoirs n'est pas dissociable de leur formalisation littératiée. Ce que soutenait il y a peu Yves Reuter, après Goody 1997 et Olson 1994, ne nous paraît pas recevoir d'objection dirimante : “ l'écriture participe de l'activité même de recherche ; l'écriture est incontournable pour objectiver la production des savoirs ; l'écriture est indispensable pour organiser la recevabilité institutionnelle de la recherche. ” (Pratiques 121/122, 2004). Nombreuses en tout cas sont les contributions qui abondent en ce sens dans la présente livraison de Pratiques ; nombreuses sont, en règle plus générale, les positions épistémologiques qui associent le savoir et l'énonciation dudit savoir. Ainsi en va-t-il de la position de Judith Schlanger : “ Un des aspects les plus étonnants des idées est qu'elles apparaissent. Les conceptions, les formules, et ce qu'on appelait autrefois les lois, ont une date ; et c'est une vieille question sur la nature du savoir que de se demander quel était leur statut avant d'être reconnues et énoncées. ” (1991 : 67) [...].


Sommaire :


Élisabeth Bautier : Quand le discours pédagogique gêne la construction des usages littéraciés du langage
Claudine Garcia-Debanc, Danielle Laurent, Michel Galaup : Les formulations des écrits transitoires comme traces du savoir en cours d'appropriation dans le cadre de l'enseignement des sciences à l'école primaire
Marceline Laparra, Claire Margolinas : Le schéma : un écrit de savoir ?
Soledad Valera-Kummer, Caroline Masseron : Stratégie scripturale et activité conceptuelle : analyse de quelques indicateurs langagiers dans des écrits scientifiques de collégiens à visée comparative
François Le Goff : Enquête sur un écrit de savoir au lycée : la dissertation littéraire
Marie-Cécile Guernier, Christine Barré-De Miniac : Rapport à l'écrit et construction de connaissances disciplinaires. Étude de cas
Charles Bazerman : Genre and Cognitive Development : Beyond Writing to Learn
Cécile Fabre, Michelle Lecolle : S'approprier des instruments d'observation de la langue pour élaborer des recherches : le TLFi et Frantext pour des étudiants de linguistique
Christophe Leblay : En deçà du bien et du mal écrire. Pour une saisie en temps réel des invariants opérationnels de l'écriture
Alain Chartier, Catherine Frier : Petite fabrique de la connaissance : aborder le savoir scientifique en se racontant des histoires.
Francis Grossmann, Agnès Tutin, Pedro Paulo Garcia Da Silva : Filiation et transfert d'objets scientifiques dans les écrits de recherche
Denis Alamargot, Céline Beaudet : Rédiger contre son opinion : des étudiants avancés en communication peuvent-il faire abstraction de leurs connaissances du domaine ?
Bertrand Labasse : L'écrit professionnel : ambiguïtés et identités d'un objet académique