Essai
Nouvelle parution
Pour la défense de la culture

Pour la défense de la culture

Publié le par Jean-Louis Jeannelle (Source : Philippe Vauthier)


Pour la défense de la culture. Les textes du Congrès internationl des écrivains, Paris, juin 1935, textes réunis et présentés par Sandra Teroni et Wolfgang Klein,  Dijon, Editions universitaires de Dijon, coll. "Sources", 2005, 665 p.


Préface

 


            Lapublication de cet ouvrage est un événement à plusieurs titres : le Congrèsinternational des écrivains de juin 1935 est un de ces moments forts quijalonnent l'histoire internationale à la fois politique et intellectuelle duxx' siècle. Toujours cité, souvent évoqué et objet de multiplesinterprétations, ce Congrès n'était finalement connu qu'à travers une éditionpartielle et pour tout dire insuffisante, car la richesse des débats et lamultiplicité des interventions restaient inaccessibles au lecteur comme auchercheur.Après des années d'études et de recherches documentaires, WolfgangKlein, chercheur allemand, aujourd'hui Professeur des cultures romanes àOsnabrück, a été pionnier dans le domaine de l'histoire littéraire des années1930. Il a réussi, depuis les années 1980, à reconstituer tout l'arrière-plan,en s'appuyant notamment sur les archives du Komintern à Moscou et à Berlin,ainsi qu'en dépouillant de façon méthodique les fonds des écrivains impliquésdans ce congrès exceptionnel. Sandra Teroni, Professeur de littératurefrançaise, a participé au colloque organisé en 1995 à Rome pour lecinquantenaire, avant d'organiser elle-même un nouveau colloque tenu àl'Université de Cagliari en 2000, qui a permis de confronter les recherches deshistoriens et des linguistes sur le déroulement du congrès lui-même. Ayantmoi-même participé à ces travaux, il m'a semblé évident qu'il fallait trouverune solution éditoriale permettant de publier l'ensemble des textes présentéslors du Congrès avec l'appareil critique et la présentation historiqueindispensables à la compréhension de textes, souvent indissociables des débatspolitiques et culturels auxquels ces divers écrivains prennent part. Lapublication de cet ouvrage par les Editions Universitaires de Dijon exprimebien le rôle et la mission irremplaçables des maisons d'édition universitairestournées en priorité vers la diffusion du savoir scientifique. De ce point devue, la France est particulièrement en retard dans l'édition de la documentationhistorique. On doit donc saluer cette publication, appuyée sur un très grostravail de traduction, qui met pour la première fois à la disposition du publicfrancophone l'ensemble des documents de ce Congrès. Cet ouvrage, àl'intersection de plusieurs domaines, offre de plus l'avantage de rassemblerdes textes signés des écrivains les plus divers et souvent les plus célèbres deleur temps. Sans doute certains, notamment les plus jeunes à l'époque et ceuxqui exploraient les formes nouvelles, sont-ils marginalisés, comme le remarqueSandra Teroni. Il reste que le panorama des écrivains qui ont participé estrien moins qu'exceptionnel. Ainsi ce livre permet de saisir un événementsingulier de l'histoire politique et intellectuelle de l'Europe, dans un momentd'incertitude et d'inflexion au sein d'une évolution historique de beaucoupplus longue durée qui va au moins d'une guerre à l'autre. Il offre au lecteurle moyen de prendre du recul par rapport à des interprétations simplificatricesqui assimilent cette manifestation à une simple manipulation idéologique par lemouvement communiste. L'antifascisme n'aurait-il été qu'une vaste illusiondémocratique diffusée par les agents de l'Internationale communiste ? Sansdoute, la tenue de ce Congrès est à mettre au compte d'une initiativecommuniste, mais son déroulement comme sa préparation infirment la thèse d'unesimple instrumentalisation et d'une préméditation bien maîtrisées. Le travailde Wolfgang Klein apporte sur ce point des éléments essentiels. Ce Congrès, danssa forme, s'inscrit dans une longue série de manifestations organisées parl'Internationale communiste, forte du prestige de la révolution russe puis del'URSS. La thématique de l'antifascisme, d'abord associée à la lutte contre laguerre, prend une forme nouvelle inséparable du changement tactique induit parla victoire du nazisme et l'inflexion de la politique soviétique.L'antifascisme démocratique, dont Sandra Teroni rappelle que la France est enquelque sorte le laboratoire, se développe dès février 1934. Ce mouvement, quientraîne de nombreux intellectuels, vient puiser dans la culture républicaineet progressiste française, à travers notamment le précédent de l'AffaireDreyfus. L'organisation de cette manifestation en France, lieu d'arrivée des antifascistesexilés mais aussi terrain d'élaboration pratique du Front populaire, marque latenue du Congrès qui témoigne également de la nouvelle centralité politique dela France. Cependant, jusqu'au dernier moment, son organisation comme sondéroulement sont loin d'obéir strictement aux objectifs des dirigeantssoviétiques, qui voulaient d'abord en faire un lieu d'exaltation de l'URSS. Ladiversité des intervenants, les critiques émises contre les conceptionscommunistes, la présentation de points de vue intransigeants, comme l'appel àla libération de Victor Serge, sont autant d'indications qui attestent d'unedynamique qui déborde largement l'appareil de l'Internationale communiste,finalement méfiant à l'égard d'un mouvement difficilement contrôlable.

            L'engagementdes intellectuels, qui est en France un terrain privilégié de l'histoireculturelle, est au centre de ce Congrès des écrivains qui constitue sans douteun moment essentiel pour observer la variété des prises de positions et ladiversité des points de vue. Sur ce plan, on peut mesurer à quel point estinadaptée la problématique des « compagnons de route », politiquement aveuglés,qui a cependant fait florès dans certaines études historiques. Mais, plusintéressante qu'une diversité politique évidente, est celle des attitudesintellectuelles et esthétiques. Loin de faire abstraction de ce qui fonde leuridentité d'écrivain, c'est en évoquant leur conception de l'écriture qu'ilsinterviennent. En ce sens ce Congrès est original et spécifique dans la mesureoù il se différencie de bien des rassemblements d'intellectuels dont les prisesde position font abstraction de leur pratique professionnelle. Ici, aucontraire, se déploie un spectre d'attitudes dont Sandra Teroni relève avecpertinence et minutie la richesse. Les débats sur la culture, mais aussi lesinterventions sur la distanciation ou sur l'implication de l'écrivain à l'égarddu champ politique et social, constituent des thèmes récurrents qui demeurentau centre des confrontations intellectuelles qui partagent le monde desécrivains dès la Seconde Guerre mondiale et bien après, notamment en France.Sur ce point, cet ouvrage permet de mesurer la portée de ce Congrès, au-delàmême de ses retombées pratiques et de la difficile mise en oeuvre de sesdécisions mobilisatrices. De fait, comme l'analyse de manière très fineWolfgang Klein, les écrivains promoteurs éprouvèrent de nombreuses difficultésà concrétiser des décisions qui se heurtèrent notamment aux réticences d'unappareil soviétique dont la stalinisation brutale entraîna une soumissiondurable des écrivains russes. En revanche, ce Congrès, avec le foisonnement deses débats, les péripéties de son déroulement et surtout la vigueur de sesinterventions, apparaît à bien des égards comme un des moments fondateurs etméconnus du grand débat du deuxième xxe siècle sur l'engagement des écrivainset la fonction de la littérature. Les différentes approches de la culture, desa défense et de son développement dans les sociétés, qui traversent les interventionsde ces écrivains, dessinent également les contours d'une réflexion trèsactuelle sur les fondements d'une politique culturelle dans laquelle lesintellectuels prennent en charge la responsabilité citoyenne de leur activité.Sur ce point comme sur bien d'autres, je ne doute pas que l'édition de cetouvrage concourre à la relance des recherches et des débats dans le champ d'unehistoire culturelle au croisement de l'action politique et du travail desartistes.

Serge Wolikow
Professeur d'Histoire,
Directeur de la Maison des
Sciences de l'Homme de Dijon
Université de Bourgogne