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Portrait et expression en France à l'époque romantique

Portrait et expression en France à l'époque romantique

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Amélie de Chaisemartin)

Portrait et expression en France à l'époque romantique

 

Samedi 15 février 2014, Salle Pierre Albouy - Université Paris-Diderot (10h-13h)

L’Atelier du XIXe siècle a pour vocation d’associer jeunes chercheurs et chercheurs confirmés autour d’une problématique commune. Il propose 2 séances par semestre.

 

Dans La Nouvelle Héloïse, Saint-Preux, ayant reçu le portrait tant attendu de Julie, en est d’abord charmé. Il s’en lasse cependant peu à peu et lui reproche d’être « insensible » :

« La première chose que je lui reproche est de te ressembler et de n’être pas toi, d’avoir ta figure et d’être insensible. Vainement le peintre a cru rendre exactement tes yeux et tes traits ; il n’a point rendu ce doux sentiment qui les vivifie, et sans lequel, tout charmants qu’ils sont, ils ne seraient rien. »

                 L’incapacité à exprimer la vie des passions sera aussi l’un des principaux reproches adressés par les romantiques à l’art des Anciens, que l’on songe à Stendhal dans Histoire de la peinture en Italie ou à Mme de Staël dans De la littérature et dans Corinne.

                Mais cette exigence d’expressivité ne va pas sans contradictions. Saint-Preux souhaiterait en effet que le portrait exprime Julie tout entière, dans tous les instants de sa vie. Exprimer signifie d’abord, comme le notent tous les dictionnaires du XVIIIe et du XIXe siècle, l’acte de faire sortir le suc, le jus de quelque chose. L’expression doit ainsi révéler la nature profonde du sujet. Or, pour Saint-Preux, la nature de Julie ne peut être rendue visible par une seule de ses expressions, mais par leur totalité. Pour représenter la véritable Julie, le portraitiste devrait donc dépasser la peinture d’une expression singulière, d’un état d’âme momentané, afin de saisir, en quelque sorte, l’essence du modèle. Or n’est-ce pas dans un visage au repos, dans ses traits fixes, que l’essence peut s’exprimer ?

                Au début du XIXe siècle, l’étude des passions est influencée par les enquêtes médicales, sociologiques et physiognomoniques de l’époque qui privilégient l’étude de types fixes. C’est surtout aux traits fixes que Lavater s’intéresse dans L’Art de connaître les hommes par la physionomie (1775-1778). Dans les romans de Balzac, les passions se décèlent avant tout dans les marques fixes qu’elles ont laissées, et non dans un mouvement du visage. Pour exprimer l’intériorité du modèle, le portrait devrait donc tendre au type et être, paradoxalement, inanimé, inexpressif.

             L’autre difficulté que soulève, au début du xixe siècle, l’exigence d’expressivité du portrait est la tension qui existe entre beauté et expressivité. Si Saint-Preux s’est lassé du portrait, il en a cependant apprécié la beauté et, lorsqu’il écrit que, pour être expressif, le portrait devrait représenter tous les défauts de Julie et toutes ses expressions, cela impliquerait une renonciation aux codes de la beauté classique.

             La littérature se heurte à cette même difficulté. Comme l’a souligné Barthes dans S/Z, la beauté ne peut être que réaffirmée par référence à un code. La beauté des personnages semble donc inconciliable avec la singularité, ce qui explique la longue fortune des clichés littéraires dans les portraits, et ce même dans les romans romantiques qui aspiraient à l’originalité. Comment individualiser les personnages caractérisés par leur beauté et comment rendre les clichés littéraires expressifs ?

             Trois « études de cas » nous permettront de réfléchir à la façon dont écrivains et artistes se sont confronté à ces paradoxes de l’expressivité dans la première moitié du XIXe siècle.

 

          Programme des communications

 

-10h00-10h30 : Thierry Laugée (Paris-Sorbonne), « L’éloquence du visage inexpressif »

-10h45-11h15 : Fabienne Bercegol (Toulouse II), « De Germaine de Staël à George Sand : le portrait romanesque au féminin »

-11h30-12h00 : Amélie de Chaisemartin (doctorante, Paris-Sorbonne), « Le feu du regard dans Notre-Dame de Paris et Les Misérables de Victor Hugo »

-12h00-13h00 : Table ronde présidée par Françoise Gaillard (Paris-Diderot), avec la participation de Régine Borderie (Reims) et Ségolène Le Men (Paris X).

 

Bibliographie indicative

Roland Barthes, S-Z, Paris, Éditions du Seuil, 1976.

Fabienne Bercegol, La Poétique de Chateaubriand : le portrait dans les «Mémoires d'outre-tombe », Paris, H. Champion, 1997.

Régine Borderie, Balzac, peintre de corps : « La comédie humaine » ou le sens des détails, Paris, SEDES, 2002.

Michel Delon, L'Idée d'énergie au tournant des Lumières : 1770-1820, Paris, Presses Universitaires de France, 1988.

Michel Foucault, Les Mots et les choses : une archéologie des sciences humaines, Paris, Gallimard, 1966.

Anne-Marie Perrin-Naffakh, Le Cliché de style en français moderne : nature linguistique et rhétorique, fonction littéraire, Presses universitaires de Bordeaux, 1985.

Christof Schöch, La Description double dans le roman français des Lumières, 1760-1800, Paris, Éd. Classiques Garnier, 2011.

David d’Angers : les visages du romantisme, exposition, Paris, Bibliothèque nationale de France, Département des monnaies, médailles et antiques, 22 novembre 2011-25 mars 2012, Thierry Laugée, Inès Villela-Petit.

« Les Français peints par eux-mêmes » : panorama social du XIXe siècle, exposition, Paris, Musée d'Orsay, 23 mars-13 juin 1993, catalogue établi par Ségolène Le Men, Paris, réunion des Musées Nationaux, 1993.