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Appels à contributions
Polémiques entre intellectuels

Polémiques entre intellectuels

Publié le par René Audet (Source : Valérie Robert)

Université Paris III - Sorbonne Nouvelle, UFR d'Allemand

Polémiques, controverses et conflits publics entre intellectuels dans l'espace germanophone Colloque international - Paris, 20, 21 et 22 mars 2003 - Appel à contributions

Comité scientifique :
Valérie ROBERT (Paris III), Joseph JURT (Freiburg), Gilbert KREBS (Paris III), Hansgerd SCHULTE (Paris III)



Organisation :
Valérie ROBERT - Université Paris III - Institut d'Allemand, 94 avenue des Grésillons, F 92600 Asnières - courriel : valerie.robert@web.de - Tel/Fax 00 33 (0)1 43 57 67 79

Les propositions de communication (en français ou en allemand) sont à faire parvenir sous la forme d'un résumé d'1 page maximum à l'adresse ci-dessus (mail ou courrier) avant le 15 juin 2002


Se fondant sur une définition large des intellectuels comme "professionnels de la manipulation des biens symboliques" (P. Bourdieu), sans préjuger de leur activité politique, ce colloque pluridisciplinaire (langues de travail : français et allemand) se concentrera sur l'espace germanophone sans exclure une perspective supranationale et comparatiste, en particulier entre la France et l'Allemagne, la référence française étant fondamentale dans l'histoire des intellectuels allemands (C. Charle, Les intellectuels en Europe au XIXè siècle, 1996). Si l'on ne fixe pas de limites temporelles, c'est parce qu'il s'agira de dégager des régularités à travers les époques, d'établir un inventaire de traits récurrents, de rituels propres aux polémiques entre intellectuels. Nous proposons de définir la polémique comme une discussion suivie, "un ensemble de deux textes au moins qui se confrontent et s'affrontent" (C. Kerbrat-Orecchioni, "La polémique et ses definitions", in : Le discours polémique, Lyon, 1980). Ainsi, pamphlets, libelles et autres manifestes seront à examiner dans le cadre de cette interaction. D'une manière générale, on en étudiera les différents aspects : protagonistes, public visé, thèmes, déroulement, moyens, médias, motifs et enjeux.

Plus précisément, on pourrait envisager d'étudier les points suivants :

Considérer les polémiques comme des dialogues (réels ou fictifs) permet de les étudier comme des interactions verbales. Comment ouvre-t-on, lance-t-on, suscite-t-on une polémique? Quels supports et médias interviennent? Les controverses naissent-elles spontanément ou bien sont-elles "organisées" (cf. par exemple L. Krenzlin : "Große Kontroverse oder kleiner Dialog? Gesprächsbemühungen und Kontaktbruchstellen zwischen 'inneren' und 'äußeren' literarischen Emigranten" in : Galerie, 15 (1997), N°1)? Qu'est-ce qui, dans le texte premier, suscite la controverse? L'objet polémique est-il directement attaqué ou interpellé? Comment naît, se propage et meurt une polémique, se déroule-t-elle selon une dramaturgie immuable? Et pourquoi certaines attaques à caractère polémique restent-elles sans réponse? On pourrait ainsi dessiner les frontières fluctuantes entre polémique et ex-communication, polémique et procès symbolique (V. Robert : Partir ou rester? Les intellectuels allemands devant l'exil 1933-1939, 2001) lorsque justement le dialogue est explicitement exclu.
En ce qui concerne les protagonistes, qui sont alternativement "sujet" et "objet" de la polémique (J. Stenzel : "Rhetorischer Manichäismus" in : A. Schöne (Ed.) : Kontroversen, alte und neue, Bd.2, Formen und Formgeschichte des Streitens. Der Literaturstreit, 1986), on pourrait étudier la manière dont ils se présentent et se définissent, mais aussi dont semblent coexister personnalisation d'un débat et "collectivisation" de celui-ci. En effet, si dans une polémique s'affrontent souvent des thèses ou des courants par le biais de l'affrontement entre individus (comme par exemple lors de la controverse Cassirer-Heidegger que retrace K. Wuchterl : Streitgespräche und Kontroversen in der Philosophie des 20. Jahrhunderts, 1982/1997), on pourrait étudier dans quelle mesure l'émergence de l'intellectuel "moderne" va de pair avec l'apparition de polémiques et débats menés par des individus en leur nom propre. Par ailleurs, lorsque une polémique "prend", ses acteurs représentent souvent plus qu'eux-mêmes : un individu devient le porte-parole de groupes, de camps qui en s'affrontant se donnent une existence et une identité (Robert, op. cit.). Enfin, les protagonistes semblent souvent se référer à une "mémoire polémique" nourrie de l'affrontement éternel entre grands camps réduits à des archétypes (D. Maingueneau, L'analyse du discours, 1991), des couples antithétiques (Zivilisation/Kultur, Dicher/Literat, Asphalt/ Scholle etc., cf. J. Meyer (Ed.) : Berlin-Provinz, Literarische Kontroversen um 1930, 19882). Quelles sont les généalogies des polémiques, quel est le panthéon de grands "ancêtres" (Heine par exemple), à la fois modèles de parole et d'action, auxquels se réfèrent les controverses et leurs acteurs?
Le public visé, "l'instance polémique" (Stenzel, op. cit.), doit lui aussi être pris en considération, comme pourrait le montrer une comparaison entre échanges privés et conflits publics impliquant les mêmes protagonistes. Si la polémique vise à disqualifier l'autre vis-à-vis d'un tiers à la fois témoin et juge, qui est ce tiers et à qui s'adresse réellement la polémique? On pourrait ici distinguer entre débats a priori internes au champ intellectuel (comme des débats entre chercheurs ou des controverses sur des questions esthétiques) et controverses portant sur des problèmes intéressant l'ensemble de la société. Quand, comment et pourquoi un débat a priori interne devient-il un débat intéressant et visant l'opinion publique? La notion d'opinion publique, indissociable du débat public, sera probablement centrale (J. Habermas : "Heinrich Heine und die Rolle des Intellektuellen in Deutschland", in : J.H. : Eine Art Schadensabwicklung.Kleine Politische Schriften VI, 1987). Ainsi, les querelles littéraires (A. Schöne (Ed.), op. cit., Bd. 2: Der Literaturstreit) pourront faire l'objet d'un examen approfondi, avec la question de savoir si elles ne permettent pas de traiter aussi de manière cryptée de questions fondamentales de l'époque ( H.-D. Dahnke, B. Leistner (Ed.) : Debatten und Kontroversen. Literarische Auseinandersetzungen in Deutschland am Ende des 18. Jahrhunderts, 1989). Les moyens utilisés devront aussi être examinés : argumentation (Stenzel, op. cit., en esquisse une première classification), fonction et expression de la péjoration, place de la réfutation, utilisation de l'implicite, des sous-entendus, disqualification explicite (fonction des injures et insultes, cf. Kerbrat-Orecchioni, op. cit.). Les images, arguments et topoi évoluent-ils avec le temps ou retrouve-t-on à travers les époques un arsenal commun? Quels sont les types de textes les plus utilisés (lettres ouvertes, pamphlets, allocutions radiophoniques)? On pourrait aussi se pencher sur la proximité entre polémique et satire, polémique et critique littéraire (cf. par exemple P.U. Hohendahl, Geschichte der deutschen Literaturkritik, 1985).
Quels sont les motifs et les enjeux des polémiques: action de l'un ou de l'autre, concurrence, antipathie personnelle, conflit de générations? A-t-on affaire à un affrontement d'idées, un véritable débat, ou à une tentative d'effacement de l'autre et de sa pensée et/ou son discours? S'agit-il de confronter des opinions ou de prendre le pouvoir (symbolique ou institutionnel?) dans le champ intellectuel? Au nom de quoi l'attaque est-elle menée? Quels sont les thèmes débattus, quels sont les "points clés" (Maingueneau, op. cit.) des controverses de chaque époque? On pourra se pencher sur la manière dont réapparaît régulièrement le topos de la trahison de l'esprit ("Verrat am Geist") et ses connotations religieuses (péché, chute, etc..) ainsi que les conséquences qui en sont tirées : est-on encore dans une polémique? Plus généralement, quelle conception du rôle et de la mission de l'intellectuel se fait-elle jour à travers les polémiques ? Celles-ci accélèrent-elles la maturation et/ou l'émergence de discours, courants ou concepts? Enfin, sur le plan de l'évolution historique, on s'interrogera sur les périodes où se multiplient les controverses, comme la fin du 18ème siècle dans le domaine littéraire (Dahnke, Leistner, op. cit.) : y a-t-il des moments de cristallisation particuliers, les crises politiques ont-elles une influence en ce domaine?