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Poétique/politique : l'esthétique en partage ? (Créteil)

Poétique/politique : l'esthétique en partage ? (Créteil)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Éric Athenot)

Poétique/politique : l’esthétique en partage ?

14-15 octobre 2016

IMAGER/Université Paris-Est Crétei

 

Dans le sillage de son dernier colloque, consacré à la notion de valeur(s), le groupe de recherche Texte, Image Et Sons propose de réfléchir cette année aux liens unissant la poétique et le politique.

On offrira en préambule la lucidité ironique d’un Henri Meschonnic, qui pose le problème en des termes aussi pertinents en 2016 qu’ils ne l’étaient en 1995 :

La question est : est-ce qu’on pense tout le politique, si on pense le politique seul, sans l’art, la littérature, le langage ? Est-ce qu’on pense l’éthique de même sans l’art, la littérature, le langage ? Et la réversibilité de ces questions, qui en fait une seule et la même, n’est pas matière à ricanement : est-ce qu’on pense l’art, la littérature sans qu’il manque quelque chose à cette pensée, si on les pense sans le politique, sans l’éthique ? Tout comme il manque quelque chose au politique, sans l’éthique, et réversiblement. Surtout, comme il manque quelque chose au politique et à l’éthique ensemble sans une réflexion qui tienne l’un par l’autre le langage, la littérature, l’art[1]

Depuis que les philosophes se sont penchés sur les liens entre littérature et politique, le moins que l’on puisse dire est que ces deux notions entretiennent des rapports aussi étroits qu’ambigus. A ceux qui prônent la séparation totale du littéraire et du politique, Jean-Paul Sartre assène que la littérature « est elle-même idéologie »[2]. Une telle affirmation, aussi trompeusement évidente que sujette à controverse, ne saurait impliquer que la dimension politique d’une œuvre se réduit automatiquement à l’engagement de son auteur ou au point de vue adopté ou prôné par celui-ci dans ses écrits. Si « politique de la littérature » il y a, Jacques Rancière (qui utilise le terme « politique » principalement au féminin), la situe dans « le lien essentiel entre la politique comme forme spécifique de la pratique collective et la littérature comme pratique définie de l’art d’écrire »[3]. Comme l’avait cependant pressenti Platon, qui ne préconisait rien de moins que l’expulsion du poète hors de la Cité, le cœur des rapports éthiques entre littérature et politique pourrait être à chercher du côté de l’esthétique plutôt que de celui de la thématique, ajoutant à « la politique de la forme », la question, cruciale et fuyante, de son éthique[4].

Cette imbrication de l’idéologie (pour reprendre le terme employé par Sartre) et de l’esthétique, ou pour formuler le problème autrement, les rapports éthiques que la forme entretient avec le fond, invite à une approche du poïesis, de la façon dont tout écrivain travaille un matériau qu’il constitue en texte, non plus comme secondaire à la portée politique d’une œuvre littéraire mais bien comme le lieu même où cette pensée du politique s’élabore.

 Le rapport poétique/politique ne saurait davantage se réduire aux seuls liens que le texte entretient avec son contexte, voire avec une communauté de lecteurs éventuels. Dans une telle optique, ainsi que le rappelle Terry Eagleton[5], on peut se sentir autorisé à percevoir la dimension politique de la littérature en tant que celle-ci délimite un espace de contradictions au sein duquel chaque texte œuvre résolument contre lui-même, en vertu d’une perception du langage littéraire qui, au fur et à mesure qu’il se construit, élabore les outils nécessaires à sa propre déconstruction. C’est en cela que l’on pourrait boucler la boucle et tenter d’affirmer avec Henri Meschonnic :

Que les problèmes littéraires sont des problèmes politiques n’apparaît que si le poème, l’éthique, l’histoire font le texte inséparablement, c’est-à-dire s’il y a vraiment la responsabilité d’une parole qui agit sur les modes de sentir et de penser, transformant son rapport et les rapports de tous avec le langage, donc avec eux-mêmes et avec les autres[6].

 

En lien avec la problématique esquissée plus haut, seront encouragées, entre autres propositions, celles qui tenteront de répondre aux questions suivantes :

- existe-t-il un pouvoir esthétique ? Quelle est sa nature ? Quel rôle joue-t-il dans l’élaboration ou la consolidation d’une communauté ?

- est-il une éthique de l’engagement en littérature ? Peut-elle faire l’économie de l’esthétique ?

- la littérature peut-elle encore prétendre jouer un rôle dans la constitution d’un sujet politique ?

- y a-t-il encore une politique de la littérature dans l’institution universitaire ?

Les propositions de 300 mots seront à envoyer avant le 15 juin 2016 à Éric Athenot (eric.athenot@u-pec.fr) et à Laure de Nervaux-Gavoty (denervaux@u-pec.fr)

 

 

[1] Henri Meschonnic. Politique du rythme : politique du sujet. Paris : Verdier, 1995, pp. 14-15.

[2] Jean-Paul Sartre [1948]. Qu’est-ce que la littérature ? Paris : Gallimard, 1985, p. 128.

[3] Jacques Rancière. Politique de la littérature. Paris : Galillée, 2007, p. 11.

[4] Voir Tim Woods. The Poetics of the Limit: Ethics and Politics in Modern and Contemporary American Poetry. London: Palgrave, 2002; p. 1 : ’’Much has been written about the politics of form, but little has been specifically written about the ethics of form’’.

[5] ‘’Aesthetic is thus always a contradictory, self-undoing sort of project, which in promoting the theoretical value of its abject risks emptying it of exactly that specificity or ineffability which was thought to rank among its most precious features. The very language which elevates art offers perpetually to undermine it’’. […] ‘’Art for Adorno is thus less some idealised realm of being than contradiction incarnate. Every artefact works resolutely against itself, and this in a whole variety of ways. It strives for some pure autonomy, but knows that without a heterogeneous moment it would be nothing, vanishing into thin air. It is at once being-for-itself and being-for-society, always simultaneously itself and something else, critically estranged from its history yet incapable of taking up a vantage-point beyond it’’ (Terry Eagleton. The Ideology of the Aesthetics. Oxford: Basil Blackwell, 1990, p. 352).

[6] Henri Meschonnic, op.cit. p. 164.

  • Adresse :
    Université Paris-Est Créteil