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Philosophie et littérature: comment les philosophes lisent-ils?

Philosophie et littérature: comment les philosophes lisent-ils?

Publié le par Marie de Gandt

« Philosophie et littérature : comment les philosophes lisent-ils ? »

Pour son premier numéro, la revue en ligne LHT adopte une perspective décalée sur une question qui a récemment connu un regain d'attention, celle des rapports entre philosophie et littérature. Si leur opposition est devenue un lieu commun, la glose autour du « et » qui les relie semble vouer la réflexion à une certaine stérilité. Trop souvent, la tentative revient à subordonner un domaine à l'autre, en faisant de la littérature le lieu d'une révélation philosophique, ou de la philosophie une littérature qui s'ignore. De même, la condamnation ambivalente de la littérature par les philosophes, ainsi que la part littéraire, de poésie ou de fiction, inhérente à toute philosophie, ont été largement réévaluées, notamment par la philosophie de la déconstruction, mais cela au risque d'une disparition de la distinction entre les deux royaumes. Alors, nulle sortie ? Pour échapper à ce jeu de permutations, on déplacera la question en envisageant ce rapport sous un angle décalé : comment les philosophes lisent-ils la littérature ?
Une telle interrogation implique la reconnaissance de facto de l'existence de la littérature, comme un domaine autre, auquel le philosophe se rapporte concrètement par sa lecture.
On ne cherchera pas de quelle façon la philosophie définit en théorie la place de la littérature, mais selon quels modes les philosophes posent face à eux l'oeuvre littéraire pour s'y rapporter, et par quelles opérations le texte littéraire devient un point dans la réflexion et le texte philosophiques. Cette piste permet de reprendre a minima l'hypothèse d'une opposition des disciplines et l'exploration du propre de la littérature. L'objet littéraire existe aussi par son maniement dans la pensée philosophique. Comment est-il reçu, et quelle place lui est-elle faite dans la pensée discursive ? Mauvaise foi, salut distant depuis l'autre rive, reconnaissance d'une altérité qui l'inspire, ou méconnaissance de cette littérature qui l'influence malgré qu'il en ait, le philosophe-lecteur entretient des rapports complexes avec les oeuvres littéraires. C'est donc dans les signes d'une résistance du matériau littéraire et dans la variété des traitements qui lui donnent existence au sein du texte philosophique que nous chercherons de nouvelles pistes. Peut-être pourra-t-on alors esquisser certains éléments propres à la littérature, tels qu'ils apparaissent vus de l'autre bord. Tenir l'opposition des deux domaines s'avèrera peut-être impossible (qu'est-ce qu'un philosophe ? comment témoigner de sa lecture hors de l'écriture qui la retrace ?), mais on cherchera néanmoins à échapper à l'éternelle alternative entre lecture philosophique et philosophie littéraire. En lisant le texte littéraire, le philosophe instaure un rapport, donc reconnaît une distance, une étrangeté concrète, qui peut s'analyser de façon pragmatique, en partant d'une interrogation modeste.
Dans la mémoire culturelle de notre époque, le doublet littérature et philosophie évoque toute une série de « couples ». La rencontre de certains auteurs ou oeuvres littéraires a constitué un tournant dans la pensée de nombreux philosophes : Nietzsche lisant Stendhal et Dostoïevski, Sartre lisant Flaubert, Heidegger lisant Hölderlin, Schlegel lisant Goethe. Derrière ces figures existent différents modes de rapport par lesquels les philosophes, ou les textes philosophiques, se rapportent au texte littéraire. Dans la philosophie contemporaine, l'usage de la littérature est même devenu, outre une façon d'écrire, une forme de la pensée philosophique, que l'on songe à Deleuze, Derrida, ou Rancière. Là encore, les procédures de lecture sont complexes, jusqu'à donner d'étranges superpositions dans l'hommage d'un philosophe-lecteur à un autre, qui fait de l'oeuvre littéraire le point de rencontre de deux pensées, comme Derrida lisant De Man lisant Baudelaire ou Rancière lisant Deleuze lisant Melville, dans La chair des mots.
Plus généralement, l'ensemble du corpus philosophique présente une grande variété d'opérations par lesquelles la littérature se trouve utilisée, reconnue, saluée ou citée à comparaître : de la citation à l'herméneutique, quelles lectures, quels genres, quelles traces et inscriptions de la littérature dans le texte philosophique ?
Loin des tentatives pour faire avouer à la philosophie sa part littéraire, notre interrogation vise à repérer des procédures de reconnaissance apaisées, qui manifestent d'autres formes par lesquelles la littérature hante la philosophie.
Marie De Gandt

Les textes, de libre longueur, sont à adresser par mail avant le 5 janvier à la rédaction de Fabula-LHT (jeannelle@fabula.org), qui les soumettra anonymement, selon le principe de la revue, à son comité de lecture.